L'Histoire et le simulacre : un siècle de films d'espionnage

Jean-François Rauger - 1 juin 2022

Espions sur la Tamise (Fritz Lang, 1944)

On peut considérer ce que l'on appelle le film d'espionnage comme une catégorie impure de l'histoire du cinéma. Il s'est nourri de divers styles et motifs hétérodoxes. Il a emprunté un certain nombre d'attributs rattachés, habituellement, à d'autres genres cinématographiques : le film noir bien sûr, mais aussi le mélodrame, la comédie et même la science-fiction. Cette vampirisation s'est mise, depuis les origines, au service d'une représentation particulière des convulsions de l'Histoire et de la géopolitique. Le film d'espionnage aura été tour à tour propagandiste et critique.

Très vite, quelques grandes figures issues de l'imagerie de la Première Guerre mondiale sont devenues des mythes cinématographiques, telle Mata Hari (Mata Hari de George Fitzmaurice, Agent X27 de Josef von Sternberg, Mata Hari de Jean-Louis Richard). L'accroissement des tensions internationales dans les années 1930 permit aux services secrets français de chasser, sur les écrans, l'agent ennemi, dans des films comme Les Loups entre eux de Léon Mathot ou Deuxième Bureau de Pierre Billon. Longtemps limité par une volonté de neutralisme du gouvernement des États-Unis, Hollywood commença à traquer l'espion nazi peu de temps seulement avant le début de la Seconde Guerre mondiale (Confession of a Nazi Spy d'Anatole Litvak, Correspondant 17 d'Alfred Hitchcock), avant de fournir à la propagande guerrière un nombre incalculable de films antihitlériens (13, rue Madeleine et La Maison de la 92e rue d'Henry Hathaway, Espions sur la Tamise de Fritz Lang, Saboteur et Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock...)

La guerre froide, partie d'échecs impitoyable entre les blocs, inspira ensuite de nombreux réalisateurs comme Victor Saville (Guet-apens) ou Samuel Fuller (Le Port de la drogue) avant que le doute ne s'installe et que le monde de l'espionnage, délesté de ses valeurs héroïques, ne devienne le théâtre d'une bureaucratie kafkaïenne broyant les individus (L'Espion qui venait du froid de Martin Ritt, Ipcress danger immédiat de Sydney J. Furie, La Maison Russie de Fred Schepisi). L'ère pop sera propice à l'ironie, au glamour et à l'usage de gadgets divers, dont la série des James Bond constitue un exemple parfait. Mais si l'espionnage a inspiré nombre de grands cinéastes (Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Joseph L. Mankiewicz), c'est qu'il représente une image particulière, paranoïaque, de l'altérité, d'autant plus inquiétante qu'elle est invisible. Derrière la création de mondes de simulacres, derrière le piège des apparences, se cache toujours la hantise du double.

Les grands classiques du cinéma d'espionnage seront présentés tous les week-ends durant le temps que durera l'exposition. De nombreux films de séries B, raretés et excentricités seront, quant à eux, projetés les vendredis soirs, dans le cadre des séances de cinéma bis.


Jean-François Rauger est directeur de la programmation à la Cinémathèque française.