Pour une vraie histoire des films : un générique peut en cacher un autre

1 juin 2022

La vraie histoire des films est un titre volontairement présomptueux, mais cette sélection en apparence disparate cache une méthode. Une tentative, si l'on veut, de parler des films autrement : d'écrire leur biographie. Les trois volumes de Génériques : la vraie histoire des films illustrent un travail de longue haleine dispersé au gré des fascicules ou livres écrits pour accompagner des éditions DVD ou coffrets vidéo. Le choix des films traités dépendant des commandes, il ne peut s'agir ici ni de thèse ni de nouvelle école critique, seulement d'une démarche que l'auteur pratique depuis vingt ans (mais qui connaît de gros succès d'édition grand public aux États-Unis, comme par exemple les livres de Sam Wasson sur Chinatown et Diamants sur canapé) : raconter, de la façon la plus détaillée et vérifiable possible, la genèse de certains films et, ce faisant, attirer l'attention sur ces sables mouvants que peuvent représenter les génériques pour les amoureux du cinéma – parfois exacts, plus souvent trompeurs, difficilement interprétables.

Champs d'étude

Malgré le titre provocateur, il s'agit donc moins d'invoquer ici une nouvelle approche du cinéma classique hollywoodien, que de susciter la curiosité sur des champs d'étude possibles encore peu explorés. Examiner les états successifs des scénarios se pratique désormais depuis des décennies, mais on peut encore par exemple trouver des choses surprenantes en dépouillant le keybook de certaines productions (le travail rendu au producteur par le photographe de plateau). Ou encore puiser dans les press books de l'époque. En examinant de près ces manuels à l'usage des directeurs de salles ou les planches contact du keybook, il est souvent possible de se faire une idée de l'atmosphère d'un tournage, ou de tomber sur telle ou telle scène filmée, mais supprimée au montage. Cela donne au moins un ancrage concret et une épaisseur qui manquent souvent aux études cinématographiques. Avec quel genre de bannières et publicités (souvent mensongères) a-t-on par exemple lancé l'étonnant western d'Andre de Toth, La Chevauchée des bannis, en 1959 ? C'est un bon exemple de l'intérêt qu'il peut y avoir à étudier ces matériaux sûrement estimés moins nobles que les scripts et les entretiens, ou surtout les infinies considérations plastiques qui occupent le plus gros des étagères des bibliothèques spécialisées. Le photo-book de ce western enneigé révèle par exemple à quel point De Toth a pu frustrer les attentes des distributeurs (United Artists) en ce qui concerne le seul atout qu'ils avaient à jouer, vu la sobriété glaçante du film : Tina Louise et son sensationnel physique, ses fameuses dimensions que De Toth persiste perversement à dissimuler sous de sévères manteaux. Mais il est amusant de faire état de cette guéguerre entre employeurs et employé : on voit sur certaines photos que Tina Louise a bien été filmée en train de se faire culbuter et violenter dans la neige. Et d'où sortent les frous-frous et corsets affriolants de Tina sur lesquels United Artists mise toute sa campagne publicitaire, et qui ne figurent nulle part dans ce western si austère ? De Rio Bravo ? De la garde-robe d'Angie Dickinson ? On peut juste poser la question.

En amont des tournages : ce qu'on ne verra pas

Ce qui nous amène à qui croire, les traces papier ou les témoins de l'époque ? On ne peut que faire les recoupements du mieux possible. Ce dilemme atteint son summum lorsque Jules Dassin, par exemple, confronté à toutes les preuves matérielles possibles qu'on lui présente, refuse jusqu'au bout (après un demi-siècle, et un pied dans la tombe) d'admettre que Darryl F. Zanuck a peut-être eu une main plus que déterminante dans le succès artistique des Forbans de la nuit en 1950, même s'il le faisait de l'Hôtel du cap sur la Côte d'Azur. On a toujours aussi choisi d'ignorer (sans jamais chercher) le parcours parfois inouï qui précède le tournage de certains films des plus connus : les trois ans passés par le super-agent Charles K. Feldman à essayer d'adapter ces mêmes Forbans de la nuit à la pointure d'un séducteur comme Cary Grant, avant de revendre les droits du roman et les dix-neuf versions de scénarios à Zanuck, qui en fera le classique que l'on sait avec Richard Widmark. On peut aussi s'amuser des cocasses déboires du même énergumène Feldman quand il s'évertue à adapter l'inadaptable roman de Nelson Algren Walk On the Wild Side (La Rue chaude), s'alliant pourtant les talents de John Fante, Ben Hecht et Clifford Odets (et une dizaine d'autres), pour finalement composer avec un chat de gouttière et un générique filmé par le grand Saul Bass, sauvant du coup son affaire. Sur le même registre, on peut aussi illustrer pourquoi Le Grand Chantage, devenu un classique certifié depuis sa sortie, a été l'un des plus gros échecs financiers de son époque, une gabegie scandaleuse mettant pratiquement fin à la compagnie de Burt Lancaster, H. H. L. Ce qui devait au départ être la première réalisation du scénariste et auteur du livre Ernest Lehman a été froidement approprié par Lancaster et ses associés Hill et Hecht, pour se voir détourner à son tour par le réalisateur écossais Alexander Mackendrick dans le chaos d'un tournage d'anthologie sous les néons de Times Square. On peut aussi se faire une idée du pouvoir de suggestion de certains génériques en lisant les critiques d'époque, comme les navrantes gymnastiques que fait Truffaut pour expliquer qu'il aime Le Grand Chantage, attribuant sa réussite artistique aux producteurs (une fois n'est pas coutume !) et à Clifford Odets (bien vu), mais tout en privant l'« irrémédiablement anglais » Mackendrick de toute part à l'affaire. Enfin, cette sélection est surtout l'occasion de parler des hommes de l'ombre et de leur importance méconnue, comme Edward Small (les premiers policiers d'Anthony Mann), Howard Hughes, Mark Hellinger (Dassin et La Cité sans voiles), Charles Feldman, ou Lawrence Gordon qui, en 1976, permet à John Flynn de s'illustrer sur un projet conçu deux ans plus tôt par et pour Paul Schrader : l'épatant Rolling Thunder (Légitime violence). C'est surtout d'évoquer le parcours haut en couleurs de ces flibustiers qui a motivé la présente entreprise.