Asia Argento : Les Enfants terribles

Jean-François Rauger - 30 juin 2022

SCARLET DIVA Asia Argento

Elle a été une sorte d'enfant terrible du cinéma international. Elle a incarné de frêles et ambigües ingénues passant à travers le miroir dans les films démentiels de son père Dario Argento (Trauma, Le Syndrome de Stendhal, Le Fantôme de l'Opéra). Elle a su inspirer Abel Ferrara pour l'un de ses plus beaux titres, New Rose Hotel. On l'a vue dans des œuvres signées Patrice Chéreau, Olivier Assayas, Bertrand Bonello, Catherine Breillat, Gus Van Sant, Sofia Coppola, George Romero. Mais Asia Argento est aussi une cinéaste qui, en trois longs métrages, a réussi à imposer un style et un regard personnels, que ce soit dans deux titres, Scarlet Diva (2000) et L'Incomprise (2014), où l'on devine une tentation autobiographique, ou dans Le Livre de Jérémie, adaptation, en 2004, du roman de J.T. Leroy/Laura Albert.

Scarlet Diva, son premier long métrage, semble relever de l'autofiction, en tout cas de l'autoportrait. Asia Argento y tient le rôle d'une comédienne saisie sur le vif, entre son travail, ses passions, ses amours, une star en devenir déchirée entre une existence déréglée et des aspirations peut-être hors d'atteinte. C'est une sorte de journal intime impudique et rageur, de chronique à clefs sur un demi-monde qui fut celui du show-business dans les années 1990. La cinéaste s'y révèle une véritable artiste écorchée vive, triviale et profondément romantique. Dès son premier film, Asia Argento imposait la singularité d'un regard, celle d'une réalisatrice en quête d'expériences fortes et d'absolu. Le Livre de Jérémie et L'Incomprise s'emparent du motif de l'enfance, mais une enfance malmenée, découvrant l'âpreté d'un monde réel et adulte sans pitié, ni indulgence. Certes, Le Livre de Jérémie organise une descente aux enfers particulièrement âpre, le portrait d'une Amérique de déclassés et de perdants. Mais c'est aussi une vision cauchemardesque des rapports filiaux, le profond rejet de l'idée de famille comme structure protectrice. L'Incomprise, réalisé dix ans plus tard, semble proposer un regard moins terrible, plus léger en apparence. L'histoire de cette petite fille, (interprétée par une jeune comédienne incroyable, Giulia Salerno) ballotée entre deux parents séparés, mal aimée, errant dans la Rome des années 1980, devient le prétexte à une série de situations où le pathétique se mêle à une forme de burlesque, où le naturalisme se nourrit d'une cocasserie qui fait partie de la vie elle-même. On a produit beaucoup de récits de l'enfance au cinéma, mais celui-ci semble n'avoir encore jamais été conté auparavant. On peut deviner, dans ce film où des gamins saccagent un appartement au son du Requiem de Mozart, une volonté de retour à la prime jeunesse par la cinéaste elle-même. Comme une manière de mettre à nu et d'exorciser avec élégance d'intimes blessures.


Jean-François Rauger est directeur de la programmation à la Cinémathèque française.