Revue de presse de « La Mort en direct » (Bertrand Tavernier, 1979)

Véronique Doduik - 30 mai 2022

Lorsqu'il réalise La Mort en direct, Bertrand Tavernier a déjà derrière lui de grands films (Que la fête commence, 1974, ou Le Juge et l'Assassin, 1975). La Mort en direct est adapté du livre de l'Américain David Compton, The Continuous Katherine Mortenhoe, paru en 1974. Tavernier en écrit le scénario avec David Rayfiel, collaborateur régulier de Sydney Pollack. Le film est tourné en 1979 à Glasgow et dans la campagne écossaise. Il est dédié à Jacques Tourneur, réalisateur admiré de Bertrand Tavernier.

Romy Schneider et Harvey Keitel dans La Mort en direct

Changement de registre

Pour les critiques, Bertrand Tavernier opère avec La Mort en direct un véritable changement de cap. « Jusqu'alors particulièrement attentif à la réalité française, historique ou contemporaine, le réalisateur aborde ici le domaine de la science-fiction, totalement nouveau pour lui. L'action se situe dans un futur indéterminé, sans doute assez proche », précise Les Échos. « Dans cet univers glacial où l'on écrit des romans à l'aide d'ordinateurs, la mort, qui a reculé devant la science, est devenue un spectacle rare » (L'Humanité). La technologie triomphe : « on a pu greffer une caméra électronique miniaturisée dans le cerveau d'un homme qui devient reporter en direct, 24h/24, de tout ce que son champ de vision peut appréhender. Un voyeur permanent » résume encore Les Échos.

L'homme-caméra

« Mieux que Dziga Vertov et son Ciné-Œil, plus loin que Jean Rouch et son cinéma-vérité, c'est en effet un homme-caméra que Tavernier lâche dans la nature, un homme qui devient une sorte de petit neveu de Big Brother. Roddy (Harvey Keitel) est bel et bien « l'homme-caméra » comme il y avait des « hommes-livres » dans le Fahrenheit de Truffaut », constate Les Nouvelles littéraires. « Filmer la mort n'est-il pas l'acte ultime du voyeurisme ? La question court, en filigrane, tout le long du film », écrit L'Express. Pour Les Cahiers du cinéma, « Tavernier fait reposer son film sur une télévision avide de chair fraîche, à la recherche de proies vivantes dont elle veut capter le moment de bascule entre la vie et la mort, une télévision en plein délire de voyeurisme, d'amoralité, d'obscénité ». La revue se déclare néanmoins peu convaincue qu'une telle société du spectacle puisse advenir un jour. Jeune cinéma reproche au film un certain conformisme : « on a tant célébré la dénonciation du pouvoir des médias, la défense de la dignité humaine et de la liberté individuelle devant une société de plus en plus contraignante et robotisée, qu'il n'apparaît guère nécessaire de revenir sur cette idée, sinon pour s'étonner qu'on éprouve le besoin d'enfoncer à l'envie une porte aussi largement et depuis si longtemps ouverte ».

Romy Schneider face à Harvey Keitel

La presse est unanime pour saluer la prestation des deux acteurs principaux. Romy Schneider est « sublime et sublimée » (Pariscope), « enlaidie, alourdie, violente et sereine, bouleversante » (Les Échos), « de plus en plus belle « de l'intérieur » à mesure qu'elle se délite » (Le Quotidien de Paris). « Elle apporte au personnage de la femme en sursis une tension et une force dramatique peu commune » (Les Nouvelles littéraires). « Voilà l'actrice arrachée à son image aujourd'hui trop fignolée des films psychologiques de Sautet », se réjouit Le Monde, « confrontée avec un acteur au jeu et au style totalement différent », observe Les Cahiers de la Cinémathèque. Harvey Keitel, « acteur au regard électronique et fascinant » (Les Échos), choisi par Tavernier pour « sa formidable façon de regarder », est ici « dans un rôle maîtrisé où font merveille cette ambiguïté et ce don d'enfance qui le caractérisent » (France Soir). Une mention spéciale pour Max von Sydow, l'interprète de Bergman, « qui, en quelques séquences, confère au film sa noblesse » (La Nouvelle République du Centre-Ouest).

Fantastique social

« La grande force de Bertrand Tavernier, c'est d'avoir inscrit son histoire dans un contexte quasiment familier : aucun effet spécial, aucun trucage. Le cinéaste évoque ce futur proche à travers de simples glissements de la réalité », écrit Les Échos. Le Monde observe : « La mythologie décorative des films de science-fiction est refusée au profit d'un fantastique social plus dépaysant que l'univers des robots et des constructions de verre ». En filmant une grande partie de son histoire dans le cadre vieillot des bâtisses fin-de-siècle de Glasgow, Tavernier a sciemment recherché le décalage entre le passéisme du décor et le « science-fictionnisme » du propos », résume Jeune cinéma.

Une morale du regard

Pour certains critiques, La Mort en direct est plus qu'une simple dénonciation de l'avidité morbide des médias. « On voit à quel point le film rejoint les préoccupations majeures du cinéaste. À partir d'un postulat futuriste, Tavernier propose plus largement une réflexion sur le pouvoir de l'image », souligne La Revue du cinéma. « Qu'est-ce que le cinéma, sinon l'art qui nous offre la possibilité de regarder d'une chambre noire dans une chambre éclairée par un trou de serrure ? Un art de voyeur », constate Télérama. Pierre Billard analyse dans Le Point : « cet homme-caméra, est-ce qu'il n'incarne pas le rêve de tout cinéaste, reporter, photographe, journaliste, lancé dans la chasse au vécu ? Demain, pourvus d'ultimes gadgets électroniques, résisterons-nous à l'envie, au pouvoir de donner à voir tous les actes de l'homme, de l'obscénité de l'enfantement à l'obscénité de la mort ? Où s'arrêtera notre « droit de regard » ? La Mort en direct vibre tout entière sous cette question vigoureusement posée ». Pour Télérama, « il s'agit d'un film sur la morale du regard, et Bertrand Tavernier montre l'exemple », car, selon La Revue du cinéma, « ce qui frappe ici, c'est le décalage entre le voyeurisme du propos et l'extrême pudeur de la mise en scène ». « D'où le caractère insolite d'une écriture cinématographique qui se tient à distance, qui évite d'organiser le spectacle de la femme traquée, mais se fait magnifiquement lyrique pour défendre Katherine, son identité et sa dignité », conclut Le Monde. L'écrivaine Katherine Mortenhoe est choisie pour offrir au public le spectacle de son agonie, filmée par ces yeux bioniques. La revue Cinéma observe : « la dramaturgie essentielle du film, c'est la volonté de l'héroïne d'échapper au viol insupportable que constitue cette expérience télévisuelle, et l'axe psychologique et narratif du film, c'est la détermination du personnage à échapper à cette investigation morbide ». En effet, écrit France-Soir, « beaucoup plus que de mort, c'est d'amour qu'il s'agit. Le vrai sujet de La Mort en direct, c'est la célébration lyrique des ressources passionnelles qui permettent à chacun d'entre nous de se dépasser, de créer de la beauté et du bonheur, avec en parallèle l'évolution des sentiments du reporter, peu à peu déstabilisé et bouleversé par sa victime ». « Paradoxalement, ce film qui, un peu partout, épie la mort, nous donne le goût du bonheur », renchérit Télérama.

Plein la vue

De nombreux critiques apprécient la subtilité de la mise en scène de Bertrand Tavernier qui s'attache à révéler les mouvements intérieurs des personnages. « La description de l'itinéraire des personnages se fonde sur l'espace. Les nombreux et amples mouvements d'appareil agrandissent leurs gestes et les replacent toujours dans un décor précis où ils s'intègrent. Aucune gratuité dans ces mouvements », s'enthousiasme Positif. Certaines revues ne partagent pas ce point de vue : Cinématographe évoque « une mise en scène en chantier et d'inutiles mouvements de grue », tandis que Les Cahiers du cinéma se dit profondément déçu par « un film trop visiblement écrit pour le plaisir intrinsèque de mettre en scène, de filmer en steadicam, d'en mettre plein la vue au spectateur ».

Un film à part

Pour la majorité des critiques, ce film occupe une place particulière dans le parcours de Bertrand Tavernier. « Méditation sur le cinéma sous l'apparence d'un suspense » (Le Nouvel Observateur), La Mort en direct « cristallise, sur le mode symphonique, les thèmes de son œuvre : la mort, le mensonge, l'image. Qu'il filme le XVIIIe siècle, le monde contemporain ou le futur, le cinéaste de L'Horloger de Saint-Paul reste ce badaud intrigué, curieux de la poésie des choses et des gens », s'enthousiasme L'Express. Pour La Revue du cinéma, La Mort en direct « se réfère explicitement à Delmer Daves (pour le lyrisme du style) et à Jacques Tourneur (pour l'économie des moyens dramatiques) ». Et pour Le Figaro, « fondé sur une synthèse intelligente et efficace du classicisme français et hollywoodien, le style un peu impersonnel mais souvent assez brillant de Bertrand Tavernier semble aujourd'hui trouver un équilibre ».


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.