Avec Richard Brooks (réalisateur et scénariste), Diane Keaton (actrice), Richard Gere (acteur), Tom Berenger (acteur), William Fraker (chef opérateur), Freddie Fiels (producteur), Judith Rossner (autrice), William Atherton (acteur), Tuesday Weld (actrice).
Richard Brooks : Après l'échec de La Chevauchée sauvage, j'ai écrit un scénario sur une mère célibataire qui élève son enfant seule. Columbia m'a dit « Tournez plutôt ça », en me montrant le livre de Judith Rossner. J'ai accepté, mais à la condition d'être libre, de dépenser peu d'argent, de tourner sans star. J'ai demandé qu'on me fiche la paix, j'ai dit que personne ne verrait le scénario, que je voulais un droit de regard sur tout.
Judith Rossner : J'étais tout à fait d'accord pour que mon livre devienne un film, tant que je n'avais pas à en écrire le scénario : il y a beaucoup d'argent à gagner avec les films, mais avez-vous déjà lu un scénario ? Il y a si peu de mots dedans. On pourrait penser qu'il y en a davantage. Il y a des années, j'ai essayé de transformer l'un de mes livres en scénario, et je n'ai pas réussi. Parce qu'un bon dialogue est très différent entre un livre et un film.
Richard Brooks : J'ai dit à la Paramount que leur best-seller ne signifiait rien, qu'il y aurait probablement 30 versions du livre et peut-être six films avant que le nôtre ne soit terminé. Et je les ai prévenus : « Si vous mettez beaucoup d'argent là-dedans, vous êtes fou, et je ne le ferai pas. »
Freddie Fiels : J'ai voulu Richard Brooks dès l'instant où j'ai entendu ses idées, mais il m'a fallu six semaines pour le vendre à Paramount. Tout le monde perçoit Dick comme un réalisateur dur et orienté vers des sujets masculins. En apparence, il est cassant, dur, grossier, et il crie beaucoup. C'est un homme très différent en réalité, sensible et extrêmement timide.
Richard Brooks : Ce film devait être tourné dans une grande ville. Un endroit où les gens peuvent se perdre, qui ait l'air grand. L'histoire ne se déroule pas spécifiquement à Chicago, mais quelque part dans une grande ville américaine solitaire. Peut-être Kansas City, St. Louis, Detroit. Mais pas New York, ou LA ou San Francisco – les gens en ont assez de les voir à la télé. Pas comme Chicago, qu'on ne voit pas si souvent. Mais c'est dans une ville comme celle-ci que j'imaginais les personnages.
Freddie Fiels : Brooks fait ses devoirs mieux que tous ceux que j'ai jamais rencontrés. Il est allé dans des bars à San Francisco, Kansas City, Chicago. Pour savoir si les bars étaient différents, si les gens étaient différents, si les conversations étaient différentes. Quand il a eu fini, il savait tout. Et il a tout mis dans son scénario.
Richard Brooks : En un an, j'ai visité près de 300 bars pour célibataires de New York, Denver, San Francisco, Los Angeles... Les bars commencent à se transformer en discothèque, pour faciliter les rencontres. Cela dispense de faire la conversation ; on demande simplement, vous voulez danser ? Tout est ouvert, il y a des glaces partout pour que les gens puissent se voir. Et même des télévisions en circuit fermé... pour se regarder, prouver qu'on existe.
William Atherton : J'ai quelques réserves sur le film. Pas sur les personnages, non. Mais j'ai toujours pensé que dans le film, les bars ne sont pas réalistes. Tous les bars de New York – Maxwell's Plum et tous les bars pour célibataires –, c'étaient de beaux endroits, absolument magnifiques. C'est le seul reproche que j'aurais à faire : ce monde n'existe plus. La culture a évolué, je suppose. Et puis, le film n'a pas non plus été tourné à New York. On n'a pas totalement l'impression d'être à New York. Or, c'était une histoire tellement new-yorkaise, avec une ambiance tellement new-yorkaise, que ça ne pouvait pas se passer dans une autre ville.
Judith Rossner : L'été après avoir acheté le film, Freddie Fiels m'a emmenée déjeuner et m'a demandé : « Avez-vous des idées sur le casting ? » Je lui ai répondu qu'une de mes amies avait cité Diane Keaton pour Theresa. Fields a rejeté l'idée – ce qu'il démentirait probablement aujourd'hui.
Richard Brooks : Diane Keaton n'avait pas encore obtenu son Oscar, Annie Hall n'était pas sorti. Diane est parfaite pour le rôle. C'est une fille timide, plutôt calme. Une merveilleuse actrice.
Diane Keaton : Je ne sais toujours pas pourquoi il m'a choisie pour le rôle. Il avait vu des images de moi dans Harry and Walter Go to New York [de Mark Rydell], qui n'avait pourtant pas vraiment reçu de bonnes critiques.
Richard Brooks : J'ai rencontré Diane Keaton à plusieurs reprises pour des séances de travail de trois ou quatre heures. J'ai eu très vite la conviction qu'elle pourrait jouer le rôle. Pour le rôle de Tony, j'ai demandé à Diane de se planquer dans un coin du plateau et d'observer le défilé de jeunes acteurs que j'avais convoqués. Elle arrive, habillée comme un routier, pantalons avachis, blouson mazouté, gros croquenots et sac musette, méconnaissable. D'un signe de tête, elle désigne Richard Gere. Heureusement. C'est un garçon sensible qui, entre les scènes ravageantes, s'en remettait avec elle, comme deux blessés s'entre-pansant leurs blessures.
Richard Gere : Je suis allé chez Richard Brooks à l'heure convenue et j'ai été conduit dans une pièce avec une table à thé et une chaise à dossier droit. Le script était posé sur la table. Il a dit : « Vous avez une demi-heure. » Il avait supprimé tout ce qui ne concernait pas mon personnage. Tout ce que j'ai pu lire, c'est les scènes où je devais figurer.
Judith Rossner : J'ai aussi dit à Freddie Fiels que ma sœur voulait que William Atherton joue James.
William Atherton : Il n'y avait pas beaucoup de rôles pour quelqu'un avec mon genre de physique. La première fois que j'ai pensé que je pouvais enfin en tirer parti, c'était pour Goodbar. Je voulais changer le personnage et le rendre étrange, plutôt que simplement fade et gentil, parce que, sinon, pourquoi s'intéresserait-elle à lui ?! C'est donc ce que j'ai essayé de faire, et ça a donné une atmosphère qui, je pense, a influencé tout le reste.
Tuesday Weld : J'ai décidé de revenir à l'écran avec Mr. Goodbar. C'était un caprice. J'en ai discuté avec Richard Brooks, et puis j'ai dit oui, parce que je l'ai trouvé enthousiasmant.
Judith Rossner : Hollywood ne se montre pas particulièrement sensible à la vision originale de l'artiste. Beaucoup de gens très intelligents ont pensé que c'était un film merveilleux. Pourtant, le sens que j'avais donné au livre a été totalement modifié. Richard Brooks pensait que la fille, dans le livre, était trop peu attachante. Alors, pour le film, elle est devenue cette gamine joyeuse et on a de la compassion pour elle. Pour moi, c'était une fille très névrosée et stupide, qui ne se souciait pas vraiment des conséquences de ses actes.
Richard Brooks : J'étais perturbé par le caractère de la fille et la structure du livre. Je n'aimais pas la fille parce qu'elle était puérile, qu'elle s'apitoyait sur elle-même. De plus, je pensais qu'il y aurait un énorme problème pour faire passer le sexe présent dans le livre à l'écran, sans faire un film pornographique.
Judith Rossner : C'était le film de Richard Brooks, il pouvait faire ce qu'il voulait. Je ne voulais tout simplement pas m'immiscer.
Richard Brooks : Vous savez que l'histoire originale a été publiée sous forme d'article par une femme reporter du New York Times, Lacy Fosburgh, et que Rossner s'est bornée à augmenter le texte en l'embellissant. Moi, j'ai repris la vraie histoire de Theresa, j'ai enquêté auprès de la justice, auprès de ceux qui avaient connu le meurtrier en prison avant qu'il ne se suicide. Et comme le policier avait été muté et qu'il n'y avait pas moyen de lire la confession du meurtrier qui commence le livre et que l'auteure a complètement inventée, j'ai cherché à mettre dans le film MA vérité.
Tuesday Weld : En ce qui me concerne, je ne peux pas dire en quoi je m'identifie au personnage de Katherine. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'a pas grand chose à voir avec le livre.
Richard Brooks : Je me suis glissé dans Theresa. Comme tout écrivain, je suis moitié homme, moitié femme. Je crois que je suis féministe. Tout homme qui ne l'est pas, d'ailleurs, est un idiot. Si les hommes ont le courage de voir Goodbar, peut-être cela leur évitera-t-il de commettre eux-mêmes des violences. J'aimerais que le film soit un avertissement.
Richard Gere : C'était un scénariste-réalisateur-producteur, très intelligent, très énergique. Il adorait mon personnage et nous avons travaillé tous les deux ensemble à l'emmener encore plus loin.
Richard Brooks : Je ne parle pas des femmes mais d'UNE femme, d'un cas. Je n'ai pas cherché à faire le moindre constat moral ni un film sur la condition féminine. C'est un film sur une jeune femme qui refuse la pitié, qui veut goûter intensément à la vie. Theresa est autant le produit de son époque que de ses propres fantasmes. [SPOILER] Sa mort n'a aucun sens symbolique de justice ou de péché. Il n'y a ni bons ni méchants dans ce film, il y a seulement des gens avec leurs forces et leurs faiblesses, qui commettent ou ne commettent pas certaines erreurs. Aujourd'hui, je suis incapable de faire du prosélytisme. Je faisais cela quand j'étais plus jeune, mais je ne suis plus assez malin et avisé pour le faire maintenant : je cherche à dire ce qui me paraît vrai !
Diane Keaton : Presque toutes les femmes à qui j'ai parlé s'identifient énormément à Theresa.
Richard Brooks : Je voulais faire une histoire sur une fille d'aujourd'hui, influencée par le monde dans lequel elle vit, et pas seulement par son éducation et son handicap physique, mais par les Unes de Hustler et Penthouse qu'elle voit sur les kiosques. Par les publicités à la télévision, qui sont parfois bien plus violentes que des agressions au couteau ou des poursuites en voiture.
Freddie Fiels : Vous avez bien compris, Mr. Goodbar n'existe pas. Il y a sans doute un jeu de mots : cette femme cherche un homme, qui pourrait être un bon coup, une bonne pâte.
Richard Brooks : Je voulais que les spectateurs aient l'impression de regarder Theresa à travers une fenêtre, d'être les témoins d'événements qui les fascinent et dont ils ne peuvent modifier le cours.
William Atherton : le tournage a été assez long, peut-être trois mois. À l'époque, tous les tournages duraient beaucoup plus longtemps.
Richard Brooks : J'ai finalement tourné en 76 jours pour 2.5 millions de $ et, à la grande horreur de Columbia-Paramount, j'ai investi au total deux ans de ma vie dedans.
Diane Keaton : Cueillir un homme dans un bar est sans aucun doute une idée que j'avais en tête, alors le film était une excellente occasion de jouer toutes ces choses. Comme si je me disais « Bon sang, c'est génial, mais je ne le fais pas vraiment ». Je pouvais jouer tous mes fantasmes, puis rentrer à la maison le soir.
Richard Brooks : Lorsque le cinéma américain traite de la sexualité, c'est presque toujours avec un grand sérieux, d'une manière tragique. Mais il y a, la plupart du temps, un aspect humoristique dans les relations sexuelles. Je me suis servi des talents comiques de Diane pour les faire ressortir, et j'ai découvert qu'elle avait un éventail très étendu, ce dont je n'avais pas été totalement conscient auparavant. C'est une des meilleurs pros que je connaisse.
Diane Keaton : J'avais déjà fait du théâtre dans les deux Parrain. La comédie et le drame sont tout aussi difficiles. J'ai essayé de mettre certains éléments de comédie dans le rôle, comme Brando l'a fait dans Le Dernier Tango à Paris. Évidemment, ce n'est certainement pas une comédie, mais mon personnage était parfois très drôle.
Richard Brooks : Elle n'a pas manqué un jour de tournage, malgré une grippe et une côte fracturée. Il y avait certaines scènes dans ce film qui lui faisaient un peu peur, mais elle savait qu'elle devait les faire. Elle savait aussi que nous veillerions sur elle, et elle s'est sentie assez libre pour les faire.
William Atherton : Diane était fabuleuse. Pour elle, ça a été une année énorme, elle a obtenu un Oscar pour Annie Hall, et Goodbar est sorti en même temps. Le monde entier a pu voir l'étendue de son talent, tout ce qu'elle pouvait faire. Deux performances extraordinaires.
Richard Brooks : Terry est pleine de joie de vivre. Elle a des désirs très profonds – physiques aussi bien qu'émotionnels – et elle veut simplement les exprimer. Le plus difficile était de transposer sa sensualité à l'écran sans faire un film pornographique. Comment rendre le sexe joyeux, agréable, à l'écran sans montrer d'organes génitaux ? Car personne n'est d'accord sur ce qui peut être sensuel ou érotique.
William Fraker : Le réalisateur est le capitaine du navire, le directeur de la photographie est l'officier exécutant. On doit vraiment apprendre à connaître les gens avec qui on travaille, comprendre ce qu'ils pensent. C'est comme un mariage. Pour Mr. Goodbar, Richard m'a prévenu : « Billy, dans cette scène, nous allons avoir quatre personnes nues sur un lit. Je ne veux pas voir de poils pubiens, je ne veux pas voir de seins. Je ne veux pas voir de nudité, mais je veux que tout le monde, parmi les spectateurs, ait l'impression d'avoir tout vu »... Puis il est parti. Il m'a laissé faire ce pour quoi il m'avait engagé. Plus tard, après avoir montré le film à l'Académie [des Oscar], une femme que je connaissais est venue me voir et m'a dit: « Billy, comment as-tu pu faire de telles images ? Toute cette nudité ! » Nous avions atteint notre objectif !
Richard Brooks : La première scène de ce genre que William Fraker a tournée était inutilisable. Non pas que son travail ne soit pas bon, mais c'était trop explicite. Alors je l'ai emmené se promener sous un soleil brûlant. Je lui ai dit de continuer à marcher pendant dix minutes, avant de me rejoindre. Je suis retourné sur le plateau et j'ai enlevé mon pantalon. Il est revenu, clignant des yeux pour s'habituer à l'obscurité. Je me suis retourné rapidement et lui ai fait face, puis je me suis détourné. Je lui ai demandé : « Qu'as-tu vu ? » Il a répondu : « Je ne sais pas. Juste un éclair de peau. » Je lui ai dit que c'était exactement ça que je voulais. Les acteurs le joueraient pour de vrai, mais ce n'était pas ce que nous montrerions. Nous allions essayer de toucher quelque chose d'intime chez le spectateur, de faire en sorte que ces voyeurs n'aient qu'une envie : « Oh, si ça pouvait m'arriver comme ça... »
Judith Rossner : Diane Keaton fait une Theresa convaincante. Elle a cette merveilleuse haine de soi névrotique et ambivalente. Elle est très attachante. Tous ceux qui se détestent ne sont pas aimables, mais elle, oui.
Richard Brooks : Elle est timide et merveilleuse. Au début, elle ne voulait jamais se déshabiller, mais alors qu'un jour, par hasard, j'écoutais de la musique de Bach, elle me dit « Ça m'aiderait s'il y avait un peu de musique ».
Diane Keaton : Je n'ai pas envie de parler de ma façon de travailler. Seulement d'une série d'exercices de l'Actors Studio qui détendent. Dans Mr. Goodbar, je les ai utilisés pour essayer d'atteindre cette part de moi qui a trait à la sexualité. Je voulais aller aussi loin que possible dans les sentiments de douleur, exprimer ce que les hommes signifient pour Terry Dunn, et comment moi, en tant que personne, je pouvais craquer sur quelqu'un. J'y ai travaillé, et j'ai fini par ressentir, imaginer ce que c'était que de ramasser un homme. La méthode Stanislavski est très bonne, elle me permet d'être très précise dans ce que je fais. Et cela libère les émotions.
Richard Gere : Brooks m'a donné un conseil : faire quelque chose de nouveau dans chaque scène, pour marquer le film.
Tom Berenger : J'aime jouer des rôles de bad guys. Ils ont souvent quelque chose de très humain en eux. À l'exception de Mr. Goodbar. C'était un personnage tellement immonde, sans aucune qualité pour le racheter. Pour moi, c'était comme jouer Charles Manson. J'en ai fait des cauchemars après avoir fini le tournage. Je me sentais sale.
Richard Brooks : La plus grande récompense, en fait, c'est de réaliser le film. La déception arrive plus tard, lorsque tous les gens du studio montent dans de grosses voitures noires, regardent votre film et ensuite vont dîner dans un restaurant cher. À cet instant, le film ne vous appartient plus. Depuis la sortie du film, que, d'ailleurs, l'Église a condamné (excellente pub !), des hommes m'ont écrit leur haine : « Vous êtes un traitre à notre sexe ». Mais des femmes m'ont dit : « Vous nous déculpabilisez ». J'ai reçu plus de lettres que pour tous mes autres films réunis. Des lettres de haine, de menaces, de malades. J'ai perdu beaucoup de mes amis hommes, et ma femme [Jean Simmons] n'a pas supporté le film. Elle a refusé de le voir et elle m'a quitté.
Richard Gere : J'ai adoré tourner avec Brooks. C'était un vrai personnage, vieil Hollywood. Il a réussi à réunir l'ancien et le nouvel Hollywood.
Richard Brooks : Finalement, l'important, pour moi, c'est que dans ce film les spectateurs ressentent quelque chose. Peu m'importe quoi. Je ne me doutais en rien du succès du film, et je suis allé voir les queues au cinéma en me disant, stupéfait, que ça ouvrirait peut-être la brèche pour un cinéma « nouveau ».
Sources : Richard Brooks (Patrick Brion, éditions du Chêne) ; Une fois encore (mémoires de Diane Keaton, chez Robert Laffont) ; Directors at work: interviews with American film-Makers (chez Funk&Wagnalis) ; The Independant ; New York Times ; The Guardian ; interview video en ligne de Richard Brooks (1985), site web www.tomberengeronline.com/us, site web www.rogerebert.com.