Ciné-phono magazine : revue internationale du film et du disque (1930-1934)

Laurence Lécuyer - 15 janvier 2021

Positionnement, particularités

Ce magazine parisien naît tandis que le film parlant commence sa carrière dans les salles françaises. Alors que cette révolution technique et artistique fait couler beaucoup d'encre, et que le sujet est omniprésent dans les nombreuses publications de l'époque, aussi bien professionnelles que grand public, Ciné-phono magazine tente de tirer son épingle du jeu. Sous-titré « revue internationale du film et du disque », cette nouvelle parution soigne sa profession de foi : dans la « Déclaration » assez emphatique du premier numéro, les deux directeurs Charles Duclaux et J. de Hortega, dont sont publiés les portraits solennels, se promettent de faire de la revue « l'organe parfait de liaison entre les producteurs, les exploitants et les amateurs de films et de musique mécanique ». En la matière, la publication ambitionne de faire autorité, en se désignant sous les termes de « document-type », et de « guide sûr ».

Ciné-phono magazine n° 3 (Juin 1930) - détail couverture

Ciné-phono magazine n°3 (juin 1930)

Elle se positionne d'emblée comme un intermédiaire entre deux industries en fort développement (cinéma et disque), mais aussi entre la France et l'étranger : en témoignent les annonces avertissant en plusieurs langues de l'impartialité des conseils fournis aux abonnés étrangers, à la fois sur les films français, et sur les meilleurs équipements de salles en sonore et parlant disponibles sur le marché. L'aspect international est mis en avant dès le premier numéro par la mention, dans le bandeau du titre, des langues représentées dans les rubriques (« français, english, deutsch, portuguez ») – même si les prétentions de magazine multilingue seront assez vite abandonnées. Avant même la liste des collaborateurs, Ciné-phono magazine affiche celle de ses correspondants étrangers, présents dans de nombreux pays : Allemagne, Angleterre, Belgique, Chine, États-Unis, Hollande, Italie, Palestine et Syrie, Pologne, Roumanie, Suisse, Yougoslavie. Dans son éditorial du n°8, Duclaux se vantera du « nombre et de la qualité de [ses] correspondants – uniques dans la presse cinématographique. »

Ciné-phono magazine n°1 (mars 1930) et n° 2 (mai 1930)

Ciné-phono magazine n°1 (mars 1930) et n°2 (mai 1930)

L'aspect luxueux cherche également à en imposer. Cette belle revue comptabilise une quarantaine de pages à chaque numéro, illustrées de photographies en noir et blanc. Une couleur, variant à chaque fois, vient orner seulement les premières et quatrièmes de couvertures, tour à tour déclinées en orange, vert, bleu, jaune ou rouge. La publication adopte finalement un gris aux reflets argentés pour ses couvertures à partir de la deuxième année de parution, 1931.

Ciné-phono magazine s'adresse à « tous les amis » du film et du disque, qu'ils soient professionnels ou amateurs. Les articles destinés à ces derniers sont progressivement incorporés à la formule initiale du corporatif classique, afin de répondre aussi aux exigences d'un magazine plus grand public. Font ainsi leur apparition dès le troisième numéro : un film raconté, une page de réponses aux courriers des lecteurs, et une double page sur la mode à l'écran – celle-ci étant bientôt confiée à Lucie Neumeyer, spécialiste de mode, journaliste par ailleurs dans Eve et Art, Goût, Beauté.

Ciné-phono magazine n° 8 (décembre, janvier 1931) – rubrique Mode

Ciné-phono magazine n°8 (décembre-janvier 1931) - Extrait de la rubrique mode

Les critiques de films se divisent en deux sections distinctes, à partir du n°6 (septembre 1930) : l'une pour les professionnels, intitulée « La critique des présentations corporatives », l'autre pour le public, titrée « Allons au cinéma – oui, mais quel film irons-nous voir ? ». La revue ambitionne d'être la première à porter une attention particulière au son dans un film : « Nous inaugurerons, les premiers, une formule de critique des films du point de vue parlant et musical [...] : le choix et la longueur des dialogues, l'art de les dire, la valeur des couplets et de la musique, la qualité de l'enregistrement présentent [...] autant d'intérêt que le scénario lui-même et le jeu muet des artistes. » (éditorial du n°8, janvier 1931).

Les pages consacrées aux nouvelles des tournages (« À travers les studios ») rendent compte de l'activité cosmopolite des studios en ce début de l'ère du parlant. Par exemple, dans les studios Paramount de Joinville, en janvier 1931 : « On a terminé les films parlants suédois, roumain et polonais en cours. On prépare d'autres versions étrangères. ». S'ensuit la liste des cinéastes allemands, suédois, italiens, polonais, espagnols employés à la Paramount.

La revue se distingue également dans le soin apporté aux rubriques, toujours très pointues et fournies, consacrées aux disques et à la T.S.F., qui occupent la dernière partie de chaque numéro : « Les meilleurs disques » recensent sur quatre, voire six pages, les dernières sorties, commentées, classées par genre (classique, opérette,..) ou par instrument (piano, violon, accordéon..).

Ciné-phono magazine n° 8 (décembre - janvier 1931) - Rubrique Les Meilleurs Disques

Ciné-phono magazine n°8 (décembre-janvier 1931) –  rubrique Les meilleurs disques

Là encore, il s'agit de faire référence, de se démarquer des autres journaux et revues dans lesquels la critique de disques (dont il est rappelé au passage que « le fondateur en France est M. Émile Vuillermoz ») « a pris aujourd'hui [...] une extension qui n'est pas toujours justifiée ». Une rubrique spécialisée « Disques de films » fait son apparition à partir du n°10 (mars-avril 1931).

Sont parfois publiées des adaptations sonores, par exemple celle du compositeur André Messier pour le film La Servante de Jean Choux, 1930 (n°2, mai 1930) : un film muet est alors découpé en séquences minutées, chacune correspondant à un morceau bien précis donné avec la référence du disque, ce qui permet à l'exploitant de sonoriser lui-même le film en suivant le découpage préconisé.

Ciné-phono magazine n°2 (mai 1930) - Adaptation Sonore

Ciné-phono magazine n°2 (mai 1930) – Adaptation sonore

« Dans le domaine de la T.S.F. » est la rubrique qui rassemble des articles de vulgarisation et de documentation sur la radiophonie. On peut lire également des articles techniques sur l'acoustique, des conseils techniques destinés aux particuliers, par exemple pour régler son phonographe électrique à la bonne vitesse, ou pour corriger le son « pleurnichard » d'un gramophone...

De nombreuses publicités pour le matériel (pour la sonorisation d'une salle, ou l'équipement des particuliers) émaillent la publication, ornant parfois les couvertures.

Publicité pour l'appareil sonore BOMA en couverture de Ciné-phono magazine n° 3 (juin 1930) et dans le n° 5 (août 1930)

Publicité pour l'appareil sonore BOMA en couverture de Ciné-phono magazine n° 3 (juin 1930) et
dans le n° 5 (août 1930)

Enfin, une « Rubrique financière » est inaugurée dans le n°11 (juin-juillet 1931), dans laquelle sont notées les dissolutions, formations, modifications de sociétés (avec mention du capital).

Défense du cinéma parlant...

Naturellement, la revue soutient le développement du sonore et du parlant, en ne tarissant pas d'éloges pour des films comme Broadway Melody de Harry Beaumont, 1929 (« Quelle magnifique leçon de film parlant ! »), ou encore Halleluyah de King Vidor, 1929 (« Quel film extraordinaire ! [...] Il nous montre de façon éclatante que l'on ne peut plus maintenant séparer le son du geste, et que le cinéma vient de s'adjoindre définitivement un élément qui, sans que nous nous en rendions compte, laissait par son absence l'art des Images incomplet dans son expression avortée »). Quant à Parade d'amour de Lubitsch, 1929, il est considéré comme le « plus réussi de tous les films sonores et parlants ».

Attentif à faire profiter l'industrie du disque du succès des films, Ciné-phono magazine cite scrupuleusement, dans ses critiques de films, en les indiquant parfois en caractères gras, les titres des chansons originales qui « gagneront la France toute entière », comme par exemple Avoir un bon copain, issue de la version française du film en double version Le Chemin du Paradis / Die Drei von der Tankstelle (Wilhelm Thiele, Max de Vaucorbeil, 1930). Un tiers de la critique du film Prix de Beauté de A. Genina avec Louise Brooks, 1930, est consacré à son leitmotiv musical. Serge Plaute, parolier de chansons pour le cinéma, plaide pour que le film sonore soit avant tout chantant, car c'est là pour lui que réside la clé du succès (ici, financier plutôt qu'artistique). « Le public doit sortir en chantant tous les airs ».

Ciné-phono magazine n° 6 (septembre-octobre 1930) et n° 10 (mars-avril 1931)

Ciné-phono magazine n°6 (septembre-octobre 1930) et n°10 (mars-avril 1931)

À l'occasion, la revue théorise sur la « bonne formule » du cinéma parlant : selon elle, il ne faut pas trop de dialogues figés, de longues tirades, il faut garder à tout prix l'art du mouvement hérité du cinéma muet, « car le cinéma ne sera jamais du théâtre ». Dans le même ordre d'idées, afin d'éviter de plaquer un modèle théâtral sur le film parlant, il faut « hâter la naissance du scénario parlant conçu et dialogué spécialement pour le cinéma » selon Alfred Machard, lui-même scénariste (notamment pour Duvivier et Grémillon). La revue n'est pas toujours tendre avec Marcel Pagnol, et si Fanny est très bien reçu (n°18), Charles Duclaux se montre très cassant dans son éditorial du n°21 (mars 1934), et aussi péremptoire que Pagnol lui-même dans ses tout neufs Cahiers du film (paraissant depuis décembre 1933, et auxquels manifestement Duclaux répond) : « Le cinéma parlant cherche sa voie. Ce n'est pas celle que M. Pagnol indique. [...] Le cinéma parlant n'est pas du théâtre filmé. Le cinéma parlant est une forme de spectacle aussi éloignée du film muet que du théâtre. » La critique de Léopold le bien-aimé (production Marcel Pagnol) est sans appel et se conclut par : « ce genre de film [qui parle intarissablement] est à proscrire ».

La production française est exhortée à suivre le rythme, à ne pas se laisser distancer par le progrès en marche, et à produire des films parlants de qualité. L'éditorial du n°2 tente de briser ce qui est dénoncé comme une « léthargie » nationale : « Le film parlant nous donne aujourd'hui une chance inattendue de reprendre notre rang. Mais vous allez voir – et vous le voyez déjà – que les films parlants français vont venir de partout, sauf de France ». Les correspondants à l'étranger donnent des indications sur les débouchés possibles pour les films parlants français, qui sont dans certains pays mieux accueillis que les films américains. Une correspondante yougoslave interpelle : « Ne travaille-t-on donc plus dans les studios français et n'avez-vous pas quelques beaux films comme ceux qui nous viennent d'Amérique et d'Allemagne ? »

En 1931, de nombreux films étrangers, surtout américains et allemands, sont distribués à Paris dans leur langue originale, sans sous-titres, dans des salles spécialisées : bien qu'ils soient accessibles à un public restreint, la revue soutient cette « excellente politique », puisqu'au moins les originaux ne sont pas « altérés » et « rendus médiocres dans leur adaptation en langue française. »

Parmi les prises de position de la revue, il faut souligner son soutien indéfectible à Bernard Natan, qui subit les attaques d'une certaine partie de la presse : l'article intitulé « L'homme qu'on voudrait abattre », paru dans le n°19, rappelle les efforts de production du patron de Pathé-Natan. « Si contre vents et marées, au milieu de l'incohérence et du lâche abandon de tous, le film français est encore debout, c'est grâce à M. Natan. »

Ciné-phono magazine n°18 (novembre-décembre 1932) - publicité Films Pathé-Natan

Ciné-phono magazine n°18 (novembre-décembre 1932) – Publicité Films Pathé-Natan

Quant au contingentement (décret Herriot, destiné à réguler la distribution de films étrangers sur le marché français), il est régulièrement critiqué : « inspiré du désir de satisfaire tout le monde, il ne satisfait personne ».

...comme du cinéma muet

Mais les films parlants moyens ou médiocres, d'où qu'ils viennent, hâtivement sonorisés, sont légion, et sont sévèrement retoqués dans les colonnes critiques, le film muet bénéficiant toujours d'un grand prestige. « Depuis l'avènement du film sonore, le cinéma a reculé au moins de quinze ans » s'exclame un correspondant suisse. De plus, puisque de nombreuses salles françaises ne sont pas équipées en sonore en 1930, il faut encore les approvisionner, pour qu'elles ne meurent pas. Une situation paradoxale est relevée par Jacques Noël (n°2, mai 1930) : le film muet est toujours produit aux États-Unis alors que les salles sont presque toutes équipées pour le parlant, mais la France qui s'équipe plus lentement a presque abandonné le muet. « Il ne faudra pas s'étonner si 90 % des salles françaises passeront, l'année prochaine, du muet étranger » conclue-t-il. « Faisons du parlant, mais ne négligeons pas le muet, il en faut encore ! »

La revue relaie donc le souhait des directeurs de salles de ne pas laisser mourir le muet et publie des articles qui alarment sur la situation : les petites salles ne peuvent s'équiper, faute de moyens, et sont condamnées à passer des « vieux coucous » muets, des copies rayées, qui intéressent de moins en moins le public. Or, il reste un marché pour le film muet, moins cher à la fabrication, et international.

Un film comme Le Crime de Sylvestre Bonnard (André Berthomieu, 1929) « montre que le cinéma muet peut victorieusement subsister à côté du parlant » et Mor'vran (Jean Epstein, 1930) est « un beau poème en images « muettes » ». Certains films muets sont sonorisés après coup, ce qui n'est pas toujours du goût de Ciné-phono magazine, qui préfère dans ce cas largement les versions muettes. À propos de Hell's Heroes (William Wyler, 1929) : « On le goûte beaucoup mieux quand on le voit dans sa version muette ».

Jusque tard (mars 1934), le muet est idéalisé car supposé stimuler davantage l'imagination du spectateur. « Le muet donnait aux spectateurs des impressions que le parlant est, actuellement, incapable de lui donner. » estime Hubert Revol. Du coup, n'ayant pas ou peu de possibilités d'interprétation, l'imagination du spectateur « s'encroûte et son esprit s'abrutit » ( !), « la curiosité s'en va »...

Responsables et collaborateurs

Difficile de retracer le parcours des responsables de la revue. Le fondateur directeur général, Charles Duclaux, est exploitant en 1929 d'un cinéma d'Antony. On ne sait rien par contre du co-propriétaire directeur, le baron J. de Hortega, dont le nom disparaît de l'ours à partir de 1932.

Théo-Duc est à la fois secrétaire de rédaction, critique musical (rubrique « Les meilleurs disques ») et illustrateur. Il est à l'origine d'une particularité de la revue. En effet, celle-ci fait grand cas de certains films tchèques, à partir de 1932, et pour cause : ces films sortent « aux Éditions Théo-Duc » (en version originale, avec sous-titres en français).

Ainsi en est-il du film D'une nuit à l'autre, de Gustav Machaty, réalisateur l'année suivante du célèbre Extase, qui lancera la carrière d'Hedy Lamarr.

Ciné-phono magazine n°19 (mars-avril 1933) et n°18 (novembre-décembre 1932)

Ciné-phono magazine n°19 (mars-avril 1933) et
quatrième de couverture du n°18 (novembre-décembre 1932)

Ciné-Phono magazine redouble d'efforts pour la promotion de La Vie à 18 ans, de Vladislav Vancura et Svatopluk Innemann, toujours aux éditions Théo-Duc, en consacrant au film une couverture (n°19, mars-avril 1933), une longue critique et une revue de presse élogieuses, et en accordant un reportage aux « immenses » studios A.B. Film de Prague, « nouvel Hollywood européen ».

« Les Éditions Théo-Duc éditent en France les meilleures productions tchèques » lit-on dans un encadré publicitaire. La Vie à 18 ans sera finalement doublé en français par les studios Gaumont-Franco-Film-Aubert.

Ciné-phono magazine n°19 (mars-avril 1933), en Tchécoslovaquie le nouvel Hollywood Européen

Ciné-phono magazine n°19 (mars-avril 1933)
En Tchécoslovaquie - Un nouvel Hollywood Européen

Le comité de rédaction comprend par contre des noms de plume connus, pour certains journalistes dans d'autres publications.

Ainsi, la prolifique Lucie Derain, aux multiples talents, participe activement dès le numéro 2 : elle signe sans doute le plus grand nombre d'articles, après Théo-Duc. Critique de cinéma pour de nombreux périodiques (parmi lesquels La Semaine Cinématographique, Cinémagazine, Pour vous, Cinémonde, Ciné-Miroir, Photo-Ciné, et La Cinématographie Française), réalisatrice, monteuse, écrivaine de fiction, cofondatrice du Ciné-club de la femme, elle est attirée par l'avant-garde, par l'expression de la modernité à l'écran.

Ici, elle s'insurge contre « l'idéal yankee » qui s'impose, l'emprise américaine sur les industries d'Europe (Paramount s'installe en France), et implore les chefs du cinéma français : « ne nous laissons pas envahir » (n°2). Elle s'élève contre le dubbing (n°11), à son avis « un tripatouillage immonde », et soutient la levée de boucliers de l'Union des Artistes contre ces nouvelles pratiques qui compromettent « les intérêts des artistes français qui peuvent être ainsi, petit à petit, supplantés dans tous les rôles pour les films faits à l'étranger. » Elle revient à la charge dans le n°17, en blâmant ce « résultat navrant », puis dans le n°18 (« si le doublage fut durant un an un spectre illusoire, une menace falote, il devient un danger sûr. À cause de son perfectionnement »), ceci malgré le ton beaucoup plus clément de la revue dans son ensemble, qui ne considère pas le doublage d'un œil mauvais (le n°20, août 1933, s'ouvre sur une page de publicité pour les meilleurs studios de doublage).

Ciné-phono magazine n°20 (août 1933) et n°22 (novembre 1934)

Ciné-phono magazine n°20 (août 1933) et n°22 (novembre 1934)

Elle n'est pas très tendre non plus avec « M. L'Auteur Dramatique », qui, souvent « incompétent », se mêle de cinéma, et intervient un peu trop sur les plateaux : « Il se pend aux basques de son « assistant technique » (c'est ainsi qu'il appelle le metteur en scène) et l'empoisonne si fort que celui-ci, complètement dégoûté, le laisse commander à sa place. » (n°17, 1932). Là encore, on peut penser à une pique en direction de Pagnol, mais Derain prend la précaution d'indiquer que « quand il s'agit de gens de valeur comme Henry Bernstein [...] ou Marcel Pagnol, qui vient de fonder sa propre société de films, cela va encore. ». Elle est attentive à la presse filmée, en particulier à son indépendance, à sa liberté d'expression, et réagit vivement à la censure qui s'exerce sur les actualités retraçant (mal) les émeutes de février 1934, suite aux manifestations antiparlementaristes de groupes d'extrême droite à Paris. Dans son article « Une nouvelle campagne contre Natan », elle défend elle aussi « le plus vaillant et le meilleur capitaine de notre industrie ». « Nous le défendons car c'est un devoir ».

Ciné-phono magazine n°21 (mars 1934) Publicité projecteur familial Pathé-Natan

Ciné-phono magazine n°21 (mars 1934) – Publicité pour le projecteur familial Pathé-Natan.

Également très présent dans la revue, Raymond Berner est compositeur pour le cinéma (il signe par exemple la musique du Train des suicidés de E.T. Gréville, et la critique du film dans Ciné-phono magazine ne manque pas de rendre hommage à son talent), journaliste à La Cinématographie française et à Cinémonde, auteur dès le début des années 1920 d'une série d'articles sur « la musique au cinéma » dans le quotidien La Presse. Il propose (n°1) de créer une section de Musique mécanique à la Chambre syndicale de la Cinématographie française, afin de consacrer celle-ci auprès des exploitants, qui, craignant les représailles des musiciens, s'en méfient encore trop, malgré ses nets avantages pécuniaires et artistiques (un disque est infaillible, pas un musicien). Il se charge aussi, dans un autre article (n°5), de remettre un peu d'ordre dans le jargon nouveau et d'éclairer ainsi le public sur ce que l'on entend par film « parlant », « sonore », « sonorisé ». Plus tard (n°10), lorsque la bande sonore sera intégrée à la pellicule et non plus adjointe sur disque, il fournira des explications assez détaillées sur la façon dont on enregistre un film parlant. Dans un texte très drôle (n°8), intitulé « 120 pour cent parlant : le cinéma fait parler les syllabes muettes », il fustige la prononciation et l'articulation exagérée des acteurs qui se pensent obligés, sous la contrainte d'un bon enregistrement, de « faire un sort à chaque mot » : « Je ne connais rien de plus mortellement ennuyeux que ce débit impeccable et mécanique. Ah ! qu'on nous donne des artistes qui « boulent » un peu le texte, de grâce ! ».

Jacqueline Lenoir, bien connue des lecteurs de Cinémonde, intervient dans la section critique, dans celle des tournages en cours (très souvent des doubles, triples voire quadruples versions), et se charge du film raconté.

Marcel Manchez, réalisateur et scénariste, dramaturge et parolier, écrit un article juridique sur le « droit des exécutants en matière de reproduction mécanique ».

René Devigne, écrivain, journaliste, poète, fondateur de revues d'arts, qui deviendra en 1938 le directeur de la toute nouvelle Phonothèque Nationale, écrit un texte (n°4) sur les soirées mondaines de disques (!), où tout amateur éclairé peut établir, grâce aux disques, une programmation musicale de qualité quand il reçoit chez lui.

Ciné-phono magazine n°2 (mai 1930) - Les avantages du disque souple

Ciné-phono magazine n°2 (mai 1930) – Les avantages du disque souple

Georges Fronval, journaliste, dessinateur humoristique, auteur de bandes dessinées, romans populaires, ciné-romans, milite pour la création d'un conservatoire du cinéma pour former des acteurs spécialisés dans le film parlant.

Hubert Revol, critique bien connu ayant fait ses premières armes dans les années 1920 dans des revues liées à l'avant-garde (Cinégraphie de Dréville, Schémas de Dulac) puis dans Cinémonde et de nombreux corporatifs provinciaux, écrit ici des textes sur le paysage (n°18) et le décor dans le cinéma français, se demande « quand donc le cinéma s'efforcera-t-il d'être moins bête ? » et souhaite que celui-ci aborde « résolument les grands problèmes sociaux de notre époque » plutôt que de persister dans le genre « niais, démodé, stupide et antédiluvien qui ne fait même plus recette au théâtre ».

Enfin, c'est l'écrivain et officier Hubert de Lagarde, qui sera à la tête d'un réseau de résistants pendant l'Occupation, qui signe des pages de critique littéraire.


La Cinémathèque française met donc à la disposition du public, parmi les périodiques nouvellement numérisés, onze numéros consécutifs de Ciné-phono magazine (mensuel, du n°1 de mars 1930 au n°11 de juin-juillet 1931), complétés par une autre série de six numéros consécutifs (périodicité irrégulière, environ 2 numéros par an, du n°17 de août-septembre 1932 au n°22 de novembre 1934) provenant des collections du Centre national de la Cinématographie.

Numéros numérisés disponibles


Laurence Lécuyer est chargée de la collection des périodiques à la Cinémathèque française.