Mary Pickford : naissance d'une vedette

Amandine Dongois - 13 mai 2020

Hollywood n'aurait jamais été Hollywood sans Mary Pickford, et sa personnalité si particulière. D'abord comédienne – 236 films en 27 ans de carrière –, elle cofonde en 1919 les studios United Artists, et devient l'actrice la mieux payée en ces débuts du cinéma. L'American Film Institute la désigne comme la 24e plus grande star féminine de tous les temps. Comment la petite Gladys Smith, enfant pauvre de Toronto, est-elle devenue l'une des pionnières du cinéma muet ?

Le chef-d'œuvre d'une mère

En 1898, le mari de Charlotte Smith, John Charles, périt dans un accident du travail, la laissant sans ressources avec trois enfants. Charlotte enchaîne les métiers de subsistance, jusqu'à tomber sur une annonce pour une comédienne, publiée en 1899 par The Valentine Stock Company à Toronto. Elle obtient la place et débute une carrière d'actrice dans des pièces de théâtre de troisième ordre.

Quand la Compagnie cherche à monter Bootle's Baby, Charlotte propose pour le rôle de l'enfant son aînée, la petite Gladys, 5 ans. La fillette est très à l'aise sur scène et sa mère prend immédiatement conscience de son talent. La famille déménage alors à New York, qui offre plus d'opportunités théâtrales, et Gladys poursuit sa carrière d'enfant prodige.

Charlotte Smith met tout en œuvre pour sculpter ce personnage de petite fille ingénue aux boucles blondes et au sourire désarmant. Lors de ses premières apparitions au cinéma, la petite Gladys porte encore ses cheveux comme les autres petites filles, noués à l'arrière de la tête. Mais bientôt les longues boucles dorées magnifiquement arrangées, sur une idée de Charlotte, renforcer l'innocence angélique de l'enfant. La petite Gladys devient alors Mary Pickford, « The sweetheart of the world », la petite fiancée du monde, l'une des premières grandes icônes hollywoodiennes en ces débuts du star system.

Jusqu'à sa mort, Charlotte Smith reste omniprésente dans la carrière et dans la vie personnelle de sa fille. À la fois agent et manager, c'est elle qui négocie les contrats avec les producteurs et influence Mary dans ses choix artistiques. Elle est pour Raoul Walsh, « la femme la plus intelligente dans l'industrie du cinéma ». Une fois United Artists créée avec Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin, elle reste en retrait, mais il n'est pas rare de la voir assister aux conseils d'administration. En 1928, dans un article du magazine Photo Play, Adela Roger St. Johns considère l'influence de « Mumsey » comme celle « d'une domination aimante et miraculeusement réussie ». Sans sa mère, Mary Pickford n'aurait jamais été, selon l'historien Ethan Katz, « la star la plus populaire des écrans américains ».
Mary Pickford et sa mère Charlotte Smith

La fille aux cheveux d'or

Jusqu'à l'âge de 36 ans, Mary Pickford entretient sa longue chevelure bouclée. Ses « curls » sont un outil de travail, un symbole de respectabilité, et lui permettent de tenir des rôles ne portant pas atteinte aux bonnes mœurs. Elle se souvient dans ses mémoires que « les mères faisaient confiance à ces boucles comme elles faisaient confiance à leur propre conscience ». Cette chevelure est alors aussi connue que la moustache de Chaplin. Edgar Morin écrit, dans son ouvrage emblématique Les Stars, « qu'un coiffeur pourrait écrire une histoire du cinéma à partir des boucles de Mary Pickford ». Elles sont tout à la fois un gage de moralité, le chef-d'œuvre d'une mère et une marque à succès.

Pourtant, en réalité, Mary Pickford est brune, et sa blondeur n'est d'abord que pur artifice dû à la pellicule orthochromatique. Elle utilisera par la suite du peroxyde, afin de rendre ses cheveux authentiquement dorés, et elle se procurera également dix-huit fausses boucles à 50$ pièce, soit l'équivalent de 600$ d'aujourd'hui !

L'entretien des cheveux de l'actrice est évoqué dans plusieurs périodiques ; lavés à l'eau de pluie chaude toutes les deux semaines « avec du savon liquide obtenu en faisant bouillir des raclures extraites de morceau de savon de Castille », rincés deux fois à l'eau chaude puis à l'eau tiède mêlée à du citron, et une dernière fois à l'eau froide. Ils sont ensuite séchés naturellement sous le soleil dans les jardins de la propriété Pickfair.
Ladies Home Journal October 1919
À la mort de sa mère en 1928, la fille aimante décide de s'affranchir du poids de la tradition, afin de laisser la place à Mary Pickford, l'artiste. Dès son arrivée à New York, après son voyage annuel en Europe avec Douglas Fairbanks, elle cède « aux nécessités du modernisme » et opte pour un carré court qui sera plus tard appelé le « Mary Pickford Bob ».

Photoplay 091928 Title

L'événement est tel qu'il fait la une du Times et est relayé dans la presse mondiale. L'actrice ne s'attend certainement pas à autant de réactions, parfois violentes, de la part de la presse et de ses admirateurs. Elle a le sentiment que son succès dépend en grande partie de sa chevelure mais ne regrette nullement cet acte de libération et d'indépendance. Pour le magazine Ciné-Miroir, c'est « la naissance d'une nouvelle Mary Pickford et d'une nouvelle artiste ».
Ciné Miroir (n° 220 du 21 juin 1929)

Ainsi coiffée, Mary gagne en maturité et peut enfin accepter des rôles plus en adéquation avec son âge. Pari gagné avec le film Coquette, réalisé par Sam Taylor en 1928, qui lui permet d'obtenir l'Oscar de la meilleure actrice pour le rôle de Norma Besant.

La beauté philosophe

« La star est précisément star dans la mesure où le rôle qu'elle joue déborde les frontières de l'esthétique ». Edgar Morin

Avec ses rôles d'éternelle petite fille, Mary Pickford se doit d'être intègre et vertueuse, de donner une image éloignée des pratiques hollywoodiennes. Dans un article publié en 1933 par le magazine Pour Vous, les lecteurs apprennent que l'actrice « ne fume pas, ne jure guère, ne parle pas argot. Elle est restée la jeune femme bien élevée suivant l'éducation sévère que lui donna sa mère ».

C'est donc tout naturellement que Mary Pickford prodigue des conseils de beauté en accord avec les bonnes mœurs américaines. La règle universelle d'après la star est d'être « sympathique envers tout le monde », « les idées biscornues » se reflétant sur le visage et le maquillage n'étant qu'une façon de masquer temporairement les arrières pensées. « Seuls les souliers étroits et le souci sont les ennemis de la beauté féminine », affirme-t-elle.
Mary Pickford (Photographies de personnalité)

En 1935, deux ans après avoir mis un terme à sa carrière d'actrice, Mary Pickford envisage de se présenter comme candidate aux élections sénatoriales américaines. Le magazine Cinémonde retranscrit son discours prononcé lors d'une réunion préparatoire : elle souhaite « améliorer le niveau moral de la vie publique américaine si gravement outragée dans ce pays ». Rien d'étonnant pour une femme pour qui « la pureté de pensée importe plus que la propreté du corps »...

 


Références

Ouvrages

  • EYMAN, Scott, Mary Pickford, America's Sweetheart, Donald I. Fine, 1990
  • MORIN, Edgar, Les Stars, Galilée, 1984
  • PICKFORD, Mary, Sunshine and Shadow, W. Heinemann, 1956

Périodiques

  • BOURDET, Maurice, « Comment Mary Pickford fait sa campagne électorale », Cinémonde, n°375, 26 décembre 1935
  • GENOVA, « Pourquoi Mary Pickford n'avait pas coupé ses boucles ! », Ciné-Miroir, n°220, 21 juin 1929
  • CALHOUN Dorothy, « Mary Pickford bids good-bye to curlhood », Motion Picture Magazine, octobre 1928
  • ROGERS ST. JOHNS, Adela, « Why Mary Pickford bobbed her hair », Photoplay, septembre 1928
  • QUIRK, James.R, « The public just won't let Mary Pickford grow up », Photoplay, septembre 1925
  • « Mary Pickford fait couper ses cheveux », Mon Ciné, n°341, 30 août 1928
  • PICKFORD, Mary, « Chevelures, Comment je soigne mes cheveux », Pour Vous, n°302, 30 août 1934
  • PICKFORD, Mary, « Ce qu'il faut faire pour être belle par Mary Pickford et Bébé Daniels », Pour Vous, n°12, 07 février 1929
  • PICKFORD, Mary, « Le maquillage ne supplée pas à l'expression », Pour Vous, n°57, 19 décembre 1929
  • « Mary Pickford chez nous, Confidences », Ciné-Miroir, n°97, 1er mai 1926
  • BEAUCHAMP Cari, « Mary cuts her hair », Mary Pickford Foundation
  • ANONYME, « Mary Pickford's famous curls », Ladies' Home Journal, octobre 1919

Films

  • Friends, 1912 – D.W. Griffith (cote : DVD 5623)
  • The Gay desperado, 1936 – Rouben Mamoulian (cote : DVD 1354)
  • In the Border States, 1910 – D.W. Griffith (cote : DVD 3434)
  • Love Happy, 1948 – David Miller (cote : DVD 3230)
  • The New York Hat, 1912 – D.W. Griffith (cote : DVD 4288)
  • The Pride of the Clan, 1917 – Maurice Tourneur (cote : DVD 6272)
  • Ramona, 1910 – D.W. Griffith (cote : DVD 4127)


Toutes ces sources sont consultables à la bibliothèque de la Cinémathèque française


Amandine Dongois est médiathécaire à la Cinémathèque française.