Revue de presse de « L'Avare » (Jean Girault, Louis de Funès, 1979)

Véronique Doduik - 20 avril 2020

L'Avare, comédie en cinq actes de Molière, est l'une des pièces de théâtre les plus populaires du répertoire. Dès lors, incarner Harpagon, c'est un peu prendre place dans le patrimoine. Beaucoup ont tenu le rôle au théâtre. Charles Dullin s'y est illustré, Raimu refusa de le jouer. « Que le cinéma ait attendu si longtemps avant de relayer le théâtre n'est pas le moindre signe de cet étrange respect pour cet archétype » constate Le Quotidien de Paris. Louis de Funès rêvait de jouer Harpagon depuis qu'il avait refusé la proposition de Jean-Louis Barrault en 1955. En 1979, avec Jean Girault, son vieux complice de la série des « Gendarmes », il cosigne la mise en scène, et s'empare enfin du rôle pour une adaptation cinématographique à son image. L'Avare sort en France en mars 1980.

L'Avare (Jean Girault, Louis de Funès, 1979)

Molière à la portée de tous

Molière servi par l'un des plus grands acteurs populaires ? De nombreux critiques applaudissent la rencontre entre le comique français numéro un et l'un des textes les plus célèbres du théâtre classique. Ils soulignent en particulier la fidélité rigoureuse du film au texte original. « L'Avare est un modèle d'intelligente transposition cinématographique d'une comédie classique, et fourmille de trouvailles de mise en scène qui en font un joyau de la comédie cinématographique », observe La Croix, qui constate que « les leçons de Gérard Oury ont été bien apprises et retenues ».

La revanche des comiques

« J'aime que Louis De Funès ait profité de la gloire discutable de ses gendarmes pour permettre à Molière de redevenir lui-même » écrit Le Figaro Magazine. « On comprend que ce puissant comique, plus ou moins consciemment lassé de scénarios débiles qu'on n'a pas cessé de lui imposer, trouve une éclatante revanche en allant chercher son inspiration dans un super-classique », renchérit Cinéma. Pour Le Point, « ces noces de la grande littérature et du spectacle plébéien réjouissent l'esprit. Molière se déscolarise, De Funès le popularise. Bravo ! ». Dans L'Express, Jean-François Revel dénonce « notre culture élitiste qui se drape dans sa dignité chaque fois qu'un comédien qui a réussi dans le divertissement populaire prétend interpréter un rôle du répertoire classique ». Poursuivant sa charge, le critique fustige ceux qui « se montrent sévères pour le " viol " des classiques par un héros du Boulevard ou du cinéma de quartier », et conclut : « L'Avare est un grand numéro de clown, taillée sur mesure pour permettre à un virtuose burlesque d'étaler toute la gamme de ses pitreries de haute voltige ».

Un blockbuster à la française

L'alibi culturel revendiqué de L'Avare est largement contredit par un lancement commercial digne d'une superproduction. « Il est difficile de parler en toute sérénité d'une production qui vous écrase par un matraquage promotionnel à gros budget », s'indigne Le Quotidien de Paris. En effet, le film a été tenu secret pour les journalistes avant sa sortie orchestrée dans 210 salles par le très puissant producteur Christian Fechner. Pour La Revue du cinéma, « la figure de l'avare est ici utilisée par de Funès comme support de son propre personnage auquel la signature de Molière viendrait apposer un label de qualité ». Et le journal ajoute : « Molière sort appauvri de ce mauvais théâtre filmé, et De Funès, malgré ses efforts, ne parvient pas à faire oublier qu'il n'est encore ici que le pitre de Jean Girault. Dommage, car l'un comme l'autre mérite beaucoup mieux ». « Voilà du culturel propre, sans douleur, sans odeur et d'une saveur à peine discernable. C'est le film-suppositoire idéal pour la famille, il ne dérange personne », ironise Roland Topor dans Les Nouvelles littéraires.

Une mise en scène indigente ?

C'est bien cette absence de parti pris artistique que la presse reproche à L'Avare. « Si l'on s'ennuie à certaines scènes, c'est parce qu'on n'a pas pris la peine de les réaliser, et qu'on se contente d'un plat enregistrement », regrette La Revue du cinéma. Certains déplorent « une mise en scène cousue de bric et de broc, sans idée directrice » (L'Humanité), « filmée avec une mollesse approximative » (Les Cahiers du cinéma). « Soucieux d'éviter la monotonie du décor unique, Jean Girault nous transporte dans une rue, un jardin, et chaque fois qu'il le peut, illustre par des images mentales ce qu'annoncent les dialogues », remarque Le Monde. Télérama stigmatise « ces vilains décors de studios, aux murs tapissés des fac-similés de nos petits classiques scolaires ». « Cette soudaine et ridicule distanciation trouverait-elle sa justification dans une volonté de faire « moderne » ? s'interroge l'hebdomadaire. « Il n'y a pas de transposition cinématographique », se lamente L'Express, tandis que pour Les Cahiers du cinéma « le réalisateur ne sait plus où mettre la caméra, comme si la notion d'espace sonore n'avait pas encore été découverte ».

Le gendarme chez Molière

Louis de Funès est-il l'Avare ? s'interroge Le Monde. « Oui, certes, et le plus hargneux, le plus atrabilaire, le plus délirant de tous », répond le quotidien, « un tyran qui, autant que par les mots, exprime son amour de l'or et son monstrueux égoïsme par des trépignements furibonds, des torsions de nez, des mimiques convulsives ». « Peu de rôles classiques étaient donc davantage faits pour un acteur comme De Funès, dont les ressources résident presque entièrement dans la mimique et les gestes », constate L'Express. Hélas, la vedette n'habite pas le personnage. « À se déchaîner ainsi pendant cinq actes, le génie funésien finit par s'essouffler. Des tics apparaissent, que souligne la lenteur du tempo théâtral (Le Monde). « De Funès, qu'on attendait avec impatience pour être un Harpagon de choc, s'enlise dans la plus banale convention. Le gendarme de Saint-Tropez s'est simplement costumé », note amèrement Télérama.

La vraie incarnation de l'avarice n'était pourtant pas loin. « À deux ou trois reprises, une expression dramatique, une lueur de panique dans ce regard si bleu, nous font croire que De Funès va changer de registre et toucher le fond de la vérité humaine », admet Le Monde, « mais ce ne sont que de brèves, trop brèves notations ». C'est que Louis De Funès a trop décidé de tout sur ce film. « Il a choisi les personnages et a auditionné tous les rôles secondaires, a choisi les décors et tracé les grandes lignes de la mise en scène », explique La Revue du cinéma. Il se trouve pourtant des critiques pour défendre l'interprétation de l'acteur. « Qu'importe le spectacle, qu'importe même le médiocre parti tiré de la pièce. C'est De Funès qu'on attend, c'est lui qu'on est venu voir. Collerette blanche et pourpoint noir, il surgit tel un très maigre oiseau de proie, et d'emblée vitupère, éructe, ricane, s'indigne, bouillonne, s'étouffe ou bien minaude et se confond en de sournoises politesses », s'enthousiasme Le Monde.

La tradition de la commedia dell'arte ?

L'acteur en fait-il trop ? Pas pour L'Express : « une part essentielle de Molière provient de la comédie italienne, c'est-à-dire de la bouffonnerie, de la pantomime et du cirque. Si un acteur de farces joue une farce de Molière en farce, on se prend à crier au sacrilège. [...] Pour les spectateurs du XVIIe siècle, il fallait que l'acteur " en rajoute ", " leur en donne pour leur argent " ». « L'Avare emprunte presque toutes ses scènes ou ses idées scéniques au canevas de la commedia dell'arte. Ce personnage était un personnage clé de la farce italienne », renchérit Télérama. De Funès joue cette pièce de la façon dont elle doit être jouée : comme une comédie à l'état pur, un peu grosse, écrite dans la seule intention de faire rire. « Le comédien nous convie à une bouffonnerie certainement conforme à la tradition inaugurée par Molière, qui, en bon disciple des comédiens italiens, devait, comme on dit, en faire des tonnes », approuve Georges Charensol dans Les Nouvelles littéraires. Et d'ailleurs, comme le rappelle Le Matin, « De Funès ne peut pas être tragique, car il vient de la slapstick comedy ».


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.