Revue de presse de « Les Hommes veulent vivre » (Léonide Moguy, 1961)

David Duez - 4 février 2020

Les Hommes veulent vivre (1961) de Léonide Moguy est projeté en séance spéciale au Palais de l’UNESCO à Paris, le 6 novembre 1961. Deux ans après sa distribution en province, le dernier long métrage du réalisateur sort à Paris le 11 octobre 1963 sous le titre Le Crime du docteur Chardin. Après avoir filmé la vie des femmes en milieu carcéral (Prison sans barreaux, 1937), le manque d’éducation sexuelle (Demain il sera trop tard, 1949) ou les méfaits de la prostitution (Le Long des trottoirs, 1956), Léonide Moguy dénonce cette fois la course effrénée à l’armement atomique. Si le message est unanimement salué, la réalisation suscite quant à elle de sérieuses réserves.

Les Hommes veulent vivre (Léonide Moguy)

Un film pacifiste

« Avec tout son cœur, Moguy fait appel au bon sens populaire en mêlant l’amour, le drame familial, l’intrigue policière et la prise de conscience de deux savants qui se sentent responsables de l’avenir du genre humain. Les hommes veulent vivre… et aimer en paix. Personne au monde n’est contre », assure Jacqueline Fabre de Libération. Populaire, le film se veut aussi didactique, souligne Robert Chazal : pour « toucher le maximum de gens, Moguy a fait simplement un film simple. » Si « les personnages prennent le temps de prononcer les phrases jugées essentielles (…), cela permet à l’auteur de lancer avec sincérité son cri d’alarme », applaudit le critique de France Soir. Pour Le Canard enchaîné, hebdomadaire pacifiste et antimilitariste, le réalisateur propose ici un film « sympathique. » Avec habileté, Moguy mêle à son histoire « des documents authentiques. Nous y voyons Einstein protestant contre les explosions nucléaires. » Pour cette œuvre humaniste, Moguy « n’a reçu de la part du gouvernement français aucune aide, ni encouragement, à l’inverse de tant de navets », précise le palmipède. Film militant, « Le Crime du docteur Chardin est un film à voir, à défendre, à soutenir ! », martèle L’Humanité. Pour Samuel Lachize, critique au journal communiste, Léonide Moguy « est le seul cinéaste français à porter à l’écran un pareil sujet tiré de l’actualité immédiate. » L’humanisme du film de Moguy traverse les frontières. Pour le quotidien belge Le Soir, « l’œuvre ne s’adresse ni aux cinéphiles, ni aux intellectuels qui cérébralisent à outrance, mais au grand public, à la masse, qui doit être sensibilisée au danger atomique. On ne voit pas pourquoi les apôtres de la paix et de l’entente cordiale entre les peuples n’useraient pas de ce puissant moyen de propagande qu’est l’écran », estime Marcel Lobet.

Série B à la française ?

Éxilé aux États-Unis pendant la guerre, Léonide Moguy y réalisa trois films : Action in Arabia, Paris After Dark et Tragique rendez-vous. Le réalisateur renoue ici avec les films à petit budget. Trop audacieux, « Les Hommes veulent vivre a effrayé de nombreux producteurs » indique Le Figaro. Malgré « de faibles moyens, si l’on en juge par les décors, les extérieurs, la figuration », le film réjouit Pierre Mazars, qui juge le réalisateur « trop expérimenté pour n’avoir pas enrobé cette manière de drame philosophique dans une intrigue policière qui pique la curiosité des spectateurs dès le début. Le récit est découpé avec intelligence ; quelques retours en arrière font rebondir l’attention. Tout cela est à l’actif de son œuvre. » Pour Marcel Martin de la revue Cinéma 63, la réalisation est loin d’être satisfaisante. Le film est, selon lui, « raconté avec tous les poncifs et tout le pathétique qu’on pouvait redouter. Trop banale et trop rocambolesque à la fois, cette histoire ennuie et ne parvient pas à convaincre : le moindre bout d’actualités a une force de persuasion mille fois supérieure à cette accumulation dramatisante des situations les plus éculées. » À Bruxelles, où le film sort huit mois avant Paris, Les Hommes veulent vivre désole La Lanterne. Pour le quotidien belge, le nouveau film du spécialiste « des grandes causes généreuses » est, une fois de plus, voué « à l’échec : Moguy n’a pas un talent assez vigoureux pour pallier les inconvénients inhérents à ses entreprises louables. » Plus encore que dans ses précédentes réalisations, « la médiocrité du film ne sert pas précisément le rayonnement de sa thèse. »

Acteurs caricaturaux

Le jeu des acteurs peine à convaincre la critique. « L’interprétation, malheureusement, n’a pas suivi l’ambition du metteur en scène », regrette Pierre Mazars dans les pages du Figaro. Le magazine Télérama fustige la direction d’acteurs autant le casting : « un pauvre mannequin grotesque, un jeune premier de la science qui fronce le sourcil devant les équations difficiles et se frappe le front pour en faire sortir le génie. Quant à son épouse, porte-parole des aspirations au bonheur de toutes les femmes, elle est si parfaitement le prototype de l’égoïsme à courte-vue d’une petite bourgeoise bornée que ses plus nobles indignations tombent à plat. Ne parlons pas de l’autre savant, celui qu’on assassine. C’est le méchant de mélodrame. » Les quelques opinions favorables sont plutôt timides : « Yves Massard incarne le jeune savant avec la justesse qu’on lui connaît », signale Le Film français. « Les interprètes sont de dociles porte-parole et Jacqueline Huet peut enfin montrer qu’elle a des jambes, ce que la télévision nous avait fait oublier », déclare Robert Chazal pour France soir.

Critique et bons sentiments

Avec Les Hommes veulent vivre, les critiques s’interrogent sur leur rôle face à un film jugé insuffisant mais véhiculant un message positivement humaniste. Si « on ne fait pas forcément du bon cinéma avec de bons sentiments ; on ne fait pas non plus métier de critique en tenant compte des bons sentiments », considère Henry Chapier : « Ce qu’on nous demande de juger, ce n’est pas le comportement moral d’un homme ou la hauteur d’une idée, mais une qualité esthétique, il faut donc se résoudre à ne pas travestir la vérité. Ce qui nous mène à un constat d’échec – fût-il des plus douloureux ! », reconnaît le journaliste de Combat. Janick Arbois se montre bien plus sévère dans Télérama. « On voudrait bien louer ce film dont les bonnes intentions ne sont pas en cause (…). Mais c’est justement parce que cette cause nous tient à cœur que nous souffrons de la voir si maladroitement défendue », écrit-elle avant de conclure : « sa médiocrité même se retourne contre la générosité de ses intentions : la vérité ainsi déguisée ressemble tant au mensonge qu’on ne la reconnaît plus. » Jean de Baroncelli se veut plus nuancé. Cette production « a tous les défauts habituels des films à thèse : action artificielle, personnages bavards et stéréotypés, dialogues fâcheusement didactiques. » Ce constat interpelle néanmoins le critique du Monde : « Est-ce avec les yeux sévères du critique qu’il faut juger un film de ce genre ? Je ne le pense pas. Le Crime du docteur Chardin est moins du cinéma que de l’imagerie cinématographique. Pour traiter au niveau de l’œuvre d’art un sujet pareil, il eût fallu un puissant souffle poétique allié à une vigueur de pamphlétaire peu commune. Léonide Moguy a plus modestement et plus simplement donné libre cours à sa sincérité et à sa générosité. Un homme de bonne volonté s’adresse ici à d’autres hommes de bonne volonté. »


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.