Revue de presse du « Livre de Marie » (Anne-Marie Miéville, 1984)

Véronique Doduik - 28 janvier 2020

Le Livre de Marie (1984) est le deuxième court métrage d’Anne-Marie Miéville, après How Can I Love (1983). Diffusé en salles avant le long métrage de Godard, Je vous salue Marie (1984), il en constitue une sorte de prologue. Et, s’il est prévu au même programme, il s’agit bien d’un film à part.

Le Livre de Marie (Anne-Marie Miéville)

Un film gigogne

C’est ainsi que les critiques conçoivent cet opus en deux volets : « deux films qui se répondent autour du personnage de Marie. Une femme et un homme, deux cinéastes amis se renvoyant l’image de la Sainte Vierge. Cette rencontre du masculin et du féminin introduit à l’un des thèmes centraux de cette œuvre double, à la recherche de l’unité », écrit Patrick Grainville dans VSD. Alain Bergala analyse les deux œuvres dans Les Cahiers du cinéma : « dans le film d’Anne-Marie Miéville, la petite Marie s’enferme dans son mystère de petite fille, dans son livre ou sa musique, pour refuser d’être marquée par ce qu’elle traverse. Dans le film de Jean-Luc Godard, c’est parce qu’elle a reçu la marque qui en fait l’Unique que Marie a la force de se replier sur son mystère, de veiller sur lui, de le protéger contre les assauts des hommes. L’une apprend à son corps défendant le malheur et la dégradation de toute une vie, l’autre est touchée dans son corps par une grâce unique qui l’en préserve. Si ces deux films font programme, c’est en inversant complètement les thèmes qu’ils ont en commun ».

« On ne s’intéresse pas assez aux petites filles »

Cette phrase de la réalisatrice, citée par Le Figaro, pourrait servir d’exergue au film. « Anne-Marie Miéville avait envie de parler de la famille, de la maison, des rapports parents-enfants, et surtout des petites filles », constate le quotidien, qui note néanmoins que « pour ne pas tomber dans l’étude psychologique, la réalisatrice a cherché une approche très physique de la manière dont la fillette perçoit cette séparation, et en réémet en quelque sorte les ondes ». Pour VSD, l’imaginaire est pour Marie le « seul moyen d’échapper à la tragédie en la mettant en scène ». Télérama rejoint ce raisonnement : « la petite fille réagit à la séparation en dansant, en chantant, en racontant des histoires, bref, en se livrant à de sortes de psychodrames qui enchanteraient un psychanalyste ». « La fillette est étonnante : à la manière des images calmes et tranquilles du film, elle en dit plus en exprimant moins », observe aussi Télérama.

« Quelque chose de rossellinien »

Pour Les Cahiers du cinéma, « Anne-Marie Miéville a pris le parti d’observer Marie, sans s’identifier à elle, mais simplement en enregistrant comment elle traverse ce premier bouleversement de sa vie, ou plutôt comment cet évènement la traverse. Car Marie est réfractaire au scénario que se jouent ses parents, elle n’y joue pas son rôle, elle en refuse le dialogue ». La revue poursuit : « Il y a dans ce projet à la fois modeste et ambitieux quelque chose de rossellinien. La modestie, c’est de rendre compte d’une situation en observant précisément celui sur qui les coups se marquent. L’ambition, c’est que cette observation indirecte et microscopique témoigne du monde tel qu’il va, ou plutôt tel qu’il ne va pas, en particulier les hommes et les femmes ».

Une épure stylistique

Pour les critiques, Le Livre de Marie constitue aussi une défense et illustration du court métrage, « à la fois une bonne école pour débuter et un art à part entière » (Le Figaro). En effet, le petit film d’Anne-Marie Miéville est aussi remarqué pour son écriture cinématographique. « L’image est admirable, originelle, faite d’objets, de lumières, de visages angéliques et bruts », s’enthousiasme VSD. « Anne-Marie Miéville fait feu de tout mot, flèche de toute image, miel de tout geste. C’est d’une beauté sans tache, d’une simplicité… biblique » renchérit Le Point. Le style cinématographique sert merveilleusement le propos : « les femmes ont l’espace, le mouvement et des bribes de discours auxquelles elles se raccrochent encore. Les hommes sont statues. Les femmes ont la liberté de la profondeur de champ, l’homme est coincé dans des plans serrés », note Les Cahiers du cinéma, tout en remarquant que « c’est par la justesse de l’observation de Marie que le film atteint à une émotion sèche et pure et à une vérité neuve, plus tranchante, sur la fin de l’enfance ».


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.