Feu Vittorio De Sica
« Qui est ce Vittorio De Sica ? » s’interroge Pierre Marcabru dans Arts. « Un vague parent de l’auteur d’Umberto D. (1951) et du Voleur de bicyclette (1947). Une ombre. Un souvenir. » « Ce mariage ressemble hélas à un enterrement », répond Michel Capdenac dans Les Lettres françaises, « Feu Vittorio, avec fleurs et couronnes. Un bel enterrement, en Eastmancolor et à Naples. Il est vrai que De Sica a jeté lui-même depuis longtemps les dernières pelletées de terre sur le cadavre d’un néo-réalisme dont il fut l’un des maîtres les plus prestigieux ».
Une infidélité coupable
Que reprochent les critiques à Mariage à l’italienne ? Tout d’abord la trahison de la pièce de théâtre originelle, Filumena marturano d’Eduardo De Filippo (représentée pour la première fois en 1946, elle fut déjà portée à l’écran par son auteur en 1951). « La pièce était une comédie napolitaine, avec tout ce que cela comporte de vigueur nonchalante, d’outrances comiques, mais où perçaient, derrière une fausse joie de vivre, une grande tristesse et une terrible colère », constate L’Humanité. « Une comédie napolitaine », précise Les Lettres françaises, « c’est-à-dire un mélange explosif de truculence et de tendresse, de mélodrame et de folklore, d’amertume dans le vérisme et d’ironie cruelle dans le comique débraillé, bref, un mélange tonique et tonitruant, qui se reconstitue difficilement, à moins d’y mettre du génie, dans le creuset de l’écran ». C’est bien ce qui chagrine Jean Rochereau (La Croix) : « Germi faisait déboucher la comédie burlesque sur le drame, en évitant le piège du mélo. De Sica, lui, se soucie peu d’analyse sociologique et opte pour une sentimentalité excessive ».
La misère pittoresque
Mariage à l’italienne se veut une satire sociale qui dénonce l’hypocrisie morale d’une certaine société à travers l’aventure d’une pauvre fille tirée du ruisseau par un bourgeois. « Hélas ! le génie de Vittorio De Sica a cédé la place à toutes les vulgarités », déplore Les Lettres françaises. Et pour L’Humanité, « la vraie misère, le pathétique napolitain, la chaleur populaire, que le cinéma italien sut parfois nous montrer, s’estompent ici, délayés dans des jeux gracieux et de vaines turlupinades ». « Pour De Sica, la misère, c’est le pittoresque, le folklore, le détail qui dépayse », regrette Henry Chapier (Combat), « un monceau de poncifs mélodramatiques qui déferlent en vrac : les enfants naturels, élevés en cachette, les domestiques au grand cœur, les innombrables maîtresses de l’ingrat, de l’égoïste, du fat qu’est ce prototype de petit bourgeois latin. Autant Divorce à l’italienne était une charge, autant le film de De Sica est complaisant, sans velléité de contestation ».
Mélo folklorique
Pour Les Lettres françaises, « l’histoire est un beau prétexte : on n’y ressent pas la moindre émotion sincère, la moindre authenticité. Du réalisme au rabais, un humour pachydermique ». Télérama s’insurge : « Avec la signature de Vittorio De Sica, on pouvait espérer un film en demi-teinte où l’on aurait retrouvé un peu de l’émotion d’Umberto D. et une pointe du réalisme social du Voleur de bicyclette. C’était méconnaître la nouvelle veine dans laquelle s’est enfermé le réalisateur vieillissant : la farce napolitaine ». Pierre Marcabru, dans Arts, porte l’estocade : « La pièce de théâtre était une pièce mélodramatique, d’un sentimentalisme débordant. De Filippo n’hésitait pas sur les gros effets. C’était du mélo farceur. Le film de De Sica a peur de tout. C’est, au cinéma, ce qu’est un petit commerce le souvenir de Paris : tour Eiffel dorée et Sacré-Cœur en plastique. Tout est en toc, même le Vésuve ».
Une tragi-comédie ratée
Paradoxalement, certains critiques incriminent la fidélité forcée à la pièce de théâtre, aussi bien dans la tonalité que dans la narration. Selon La Croix, Mariage à l’italienne souffre d’un manque de construction : « au lieu de ces deux maladroits flashbacks (le second donnant la version de la femme), il eût fallu narrer chronologiquement, sous un angle objectif, les faits. De la sorte, les aspects tragi-comiques de la liaison s’estompaient au seul profit d’un drame : celui d’une femme au grand cœur, victime de l’égoïsme masculin ». Le journal poursuit : « De Sica n’avait en fait nullement l’intention de faire rire. Pourquoi, dès lors, avoir choisi ce mode de narration contraire à ses desseins ? Mais par fidélité à De Filippo, dont la verve napolitaine masquait constamment la gravité du propos. Pourtant, Mariage à l’italienne est un drame. Propice à l’émotion, non au divertissement ».
Les acteurs sauvent la mise
Pour la critique, si le film ne sombre pas totalement, c’est grâce aux acteurs principaux, Marcello Mastroianni, « irrésistible de drôlerie » (L’Aurore), mais surtout Sophia Loren, « qui nous donne ici un véritable festival de son registre varié, du mauvais goût outrancier, volontaire, aux prouesses audacieuses et truculentes » (L’Humanité). Le journal regrette toutefois « ce feu d’artifice qui finit par nous aveugler et escamote quelque peu la signification réelle du personnage : Filumena, victime d’un certain système social qui fait d’elle une marchandise, est bien plus humaine dans sa fourberie apparente que tous ceux qui l’entourent et particulièrement son faux bienfaiteur ». Pour L’Aurore, « Sophia, toute en couleurs et palpitations de narines, est une canaille de toute beauté ». Quant à Marcello Mastroianni, Combat le trouve déjà moins convaincant, « comme conscient d’avoir manqué le pastiche d’un autre de ses personnages » (il avait joué un rôle comparable dans le film de Pietro Germi, Divorce à l’italienne). Ainsi, « les rares moments d’émotion de Mariage à l’italienne, c’est à Sophia Loren qu’on les doit, à son talent de comédienne, à son intelligence, à sa présence », conclut le journal.
Véronique Doduik