Revue de presse du « Rideau déchiré » (Alfred Hitchcock, 1965)

Hélène Lacolomberie - 12 novembre 2019

« Un suspense savant », titre Le Canard Enchaîné, « arriver à passionner avec des calculs, chapeau ! », poursuit l’hebdomadaire, en totale contradiction avec Les Lettres Françaises pour qui « l’impossible est arrivé, Hitchcock a réussi à nous ennuyer ». Pourquoi cette controverse ? Et d’abord, « quel est le sens exact de ce nouveau film ? Comment Hitchcock le situe-t-il lui même ? » s’interroge Neal Stakerlee dans Arts.

Le Rideau déchiré

Réponse du réalisateur : « avec Torn Curtain, je démystifie les films d’espionnage. Je détruis aussi le cliché qui veut que tuer soit chose aisée ». Pour Le Monde, « voilà donc Hitchcock qui revient pour nous raconter sa cinquantième histoire, pour exploiter, à travers elle, la vogue des films d’espionnage en se moquant de leurs clichés, pour nous donner une nouvelle preuve de son talent de narrateur suprêmement habile et malicieux ». Cette fois, Sir Alfred a choisi de mettre en scène un physicien atomiste américain en pleine guerre froide, et « en franchissant le Rideau de Fer, il a retrouvé tout son punch » jubile Le Canard Enchaîné.

Au service de cette histoire et de la malice du ton, la technique légendaire du réalisateur. Arts mentionne « l’hitchcovision, c’est-à-dire un éclairage moins rude des personnages et des visages ». L’Aurore évoque « de gros moyens : couleurs, reconstitutions en studio de nombreux décors, et une distribution menée par des vedettes internationales ». Du reste, précise le journal, « les rebondissements se succèdent à vive allure. Le scénario a été fabriqué comme une mécanique bien huilée. Il n’y a pas de ratés ».

Malgré cela, tout un pan de la critique boude voire conspue Torn Curtain. À commencer par Les Lettres Françaises qui fustige « un film glacé, lent, au scénario infantile (…). Depuis bientôt trois films, le réalisateur se contente d’apposer sa signature à des kilomètres de pellicule qui n’ont d’autre intérêt que de nous faire nous souvenir qu’il y eut, autrefois, Hitchcock » s’indigne Alain Vanier. Même tonalité pour L’Humanité qui raille « un film en carton pâte » et brocarde le peu de crédibilité du scénario : « personne ne peut croire à la véracité de l’histoire ». Hitchcock pêche enfin par manque d’innovation et parce que sa malice est comme souvent prise pour un manque de respect. « Ce qui est mauvais, dans ce film, c’est la façon dont Hitchcock se moque d’un public qui vient s’amuser à ses trousses et ne trouve plus, en guise de film, qu’une médiocre resucée de ses précédents ouvrages », ironise encore L’Humanité.

En réalité, la clé de Torn Curtain est, une nouvelle fois, à chercher du côté de l’humour et du second degré. La Croix l’a bien compris, et prévient : « Hitchcock abat tout de suite ses cartes et met les rieurs de son côté ». Angoisse et humour sont brillamment imbriqués. Ce que d’aucuns qualifient de mépris serait plutôt un jeu de chat et de souris avec le public. Mais également avec les acteurs, « parfaits » selon Le Canard Enchaîné. Toujours dans La Croix, Jean Rochereau développe : « à Paul Newman, ce spécialiste des regards qui en disent long, Hitch a froidement confié l’emploi d’un cerveau machiavélique (…). Depuis Mary Poppins et La Mélodie du bonheur, tous les publics familiaux tiennent Julie Andrews pour l’incarnation de la pudeur et du charme éthéré. Inexorable, le cinéaste la met au lit dès le générique… ».

Et le journaliste balaie les dernières réticences avec amusement : au final, Torn Curtain est « un film délibérément burlesque, mais agencé avec tant de talent (…) que certains critiques sérieux ont cru, de la meilleure foi du monde, à un ratage volontaire. Comme si le père Hitchcock pouvait rater un film ! »


Hélène Lacolomberie est rédactrice web à la Cinémathèque française.