Revue de presse de « Fenêtre sur cour » (Alfred Hitchcock, 1953)

Hélène Lacolomberie - 12 novembre 2019

À sa sortie en 1954, Fenêtre sur cour reçoit un accueil mitigé. Louis Chauvet du Figaro explique les impressions divergentes de ses confrères en avançant que le film recèle « des éléments assez contradictoires, notations ironiques ou de bonne psychologie, et effets de Grand guignol et traits rocambolesques ». Ce n’est « certes pas le meilleur film qu’ait signé ce fameux conteur d’histoire terrifiantes », concède-t-il.

Fenêtre sur cour

Et pourtant. Tous les ingrédients sont là : un film de voyeurs, une blonde impeccable, un acteur fétiche, de l’ironie, un crime parfait… Les éléments hitchcockiens sont en place. Le Maître du suspense tente même de renouveler le genre et relève le défi qu’il s’est fixé avec délectation. « Ne doutons pas que ce qui l’a enchanté dans son dernier film, ce sont toutes les astuces techniques que l’histoire rendait nécessaires » note Jean de Baroncelli dans Le Monde avec amusement. Dans L’Aurore, Claude Garson est enthousiaste : « une leçon de cinéma va vous être donnée, car M. Hitchcock est l’un des metteurs en scène qui manie avec le plus d’aisance la caméra. Il sait comme nul autre photographier sous tous les angles une quelconque action ». Même admiration dans Combat, qui salue une « mécanique bien huilée », celle d’un orfèvre expérimenté et méticuleux : « il construit, il cheville, il cloue, il colle. C’est une œuvre de précision où la mise en scène proprement dite sert l’action mais ne s’en sert pas ». Cette fois-ci, Hitchcock a mis sa virtuosité légendaire au service d’une histoire certes à suspense, mais dans une veine plus sociale et humaniste qu’habituellement. L’Aurore évoque « une tranche de vie américaine moyenne », l’œuvre « la plus humaine et surtout la plus complète » du réalisateur.

Hitchcock convoque par ailleurs à sa façon le cinéma muet, par les scènes d’observation d’un voisinage que personne, ni protagonistes ni spectateurs, ne peut entendre. Paradoxalement, ce sont les « bavardages » qui ont irrité Louis Chauvet dans Le Figaro : « ici le verbe crée souvent des impressions proches de l’ennui », déplore-t-il. Autre reproche dans Les Nouvelles Littéraires : Hitchcock livre « un plat habituel, mais servi à une sauce qui n’est pas ravigotante ». L’Humanité est pour sa part passé totalement à côté du film, et affirme que « la vulgarité du scénario n’a d’égale que celle de la réalisation et des couleurs ».

Seuls les acteurs font l’unanimité. Grace Kelly, talentueuse et ravissante avec « ses cinq robes » maintes fois évoquées, et James Stewart dont l’interprétation, même assis et en pyjama, séduit toujours.

Ainsi Fenêtre sur cour « n’est pas un excellent Hitchcock. Mais c’est un film que l’on ne regrette pas d’avoir vu », conclut sagement Jean de Baroncelli.


Hélène Lacolomberie est rédactrice à la Cinémathèque française.