« We Can't Go Home Again » de Nicholas Ray

Alexandra Reveyrand-de-Menthon - 26 juillet 2019

« I can’t teach you how to make a film. Filmmaking is an experience. » En 1972, Nicholas Ray enseigne le cinéma à l’université de Binghamton, New York, et incite ses jeunes étudiants à réaliser eux-même un film, inspiré de leurs histoires personnelles et recourant à diverses expérimentations : split screen, superpositions, manipulations d’images…

We Can't Go Home Again (Nicholas Ray)

We Can’t Go Home Again est la dernière obsession de Nicholas Ray, et sa mort, en 1979, laisse le film inachevé. Susan Ray se consacre alors à le terminer. Il sera restauré en 2011 par la Nicholas Ray Foundation, La Cinémathèque française, le EYE Film Institute d’Amsterdam (pour l’image), et l’Academy Film Archive de Los Angeles (qui reconstruit la bande-son à partir des enregistrements originaux et d’un commentaire audio du réalisateur).

Il s’agit donc d’un travail collectif, l’œuvre d’un cinéaste convaincu que « le cinéma commençait à peine, qu’on ne faisait que l’entrevoir, qu’il nous surprendrait ».
En 1971, une dizaine d’années après avoir quitté Hollywood, l’auteur de Johnny Guitar et de La Fureur de vivre accepte un poste de professeur au Harpur College dans l’État de New York. Partisan d’une intense collaboration avec ses étudiants, il s’engage, et les engage, dans un projet ambitieux, personnel et expérimental. Il fait d’abord leur connaissance, un par un, puis décide de les rassembler au sein d’une même communauté. Ils seront quarante-cinq à se former, sous sa direction, et à tour de rôle, à tous les métiers, d’accessoiriste à ingénieur du son, de comédien à directeur de la photo.

Le film naît, peu à peu, des relations qui se créent entre les participants au projet. L’entreprise implique un engagement total de chacun. La communauté d’étudiants est enthousiaste, motivée et influencée par Ray qui, lui, « enseigne pour apprendre », dit-il. Lors du tournage de Nick’s Movie / Lightning Over Water en 1979, coréalisé avec Wim Wenders, et consacré à ses derniers jours, Ray expliquera : « Je rêvais de pouvoir raconter tout Charles Dickens en un film, tout Dostoïevski en un film. Je croyais qu’il était possible pour un film de contenir tous les aspects de la personnalité humaine… »

We Can’t Go Home Again est réalisé avec tous les équipements possibles, et dans de multiples formats, dont le Super 8, le 16 mm, le 35 mm, avec entre autres un synthétiseur vidéo permettant de manipuler l’image. Quant au son, sa qualité médiocre est due à sa prise en direct, sans aucun souci de synchronisme. À peine les séquences sont-elles tournées que Ray les montre à ses étudiants en utilisant plusieurs projecteurs, soit de façon simultanée, soit à intervalles calculés.

Mais dès la rentrée suivante, le département cinéma de l’université reproche à Ray de monopoliser le matériel. Les relations se dégradent, l’équipe se réduit, le principe de roulement aux différents postes ne fonctionne plus. Dans un climat social marqué par la réélection de Nixon, la contestation et la drogue, l’année 1972-1973 est morose, et il apparaît de moins en moins sûr que le film soit un jour terminé.

En 1973, Ray présente néanmoins un premier montage à Cannes, espérant y trouver quelques soutiens financiers. En vain. Entre 1973 et 1974, il tourne de nouvelles scènes à Amsterdam et Londres, monte et remonte indéfiniment le film.
En 1976, une nouvelle version s’ouvre sur un long commentaire de Ray : le cinéaste replace le film au cœur du processus d’enseignement, dans le mouvement même de la création en train de se faire.


Alexandra Reveyrand-de-Menthon a été stagiaire et assistante sur la première édition de Toute la mémoire du monde, en 2012, à la Cinémathèque française.