Revue de presse de « La Lectrice » (Michel Deville, 1988)

David Duez - 6 mai 2019

Quand La Lectrice sort sur les écrans le 17 août 1988, Michel Deville a déjà signé plus d’une vingtaine de films, dont Ce soir ou jamais (1960), Benjamin ou les Mémoires d’un puceau (1967), Eaux profondes (1981) ou Le Paltoquet (1986). La Lectrice, son vingt-deuxième long métrage, est l’adaptation du livre éponyme de Raymond Jean, publié aux éditions Actes Sud en 1986 : Constance, lectrice passionnée, se glisse dans la peau de Marie, lectrice professionnelle et héroïne de roman. Michel Deville, « l’homme qui aimait les femmes » (France Soir), s’entoure pour le tournage de sa femme Rosalinde, à la fois assistante, coscénariste et productrice, et offre à Miou-Miou le rôle-titre. C’est sur la scène du Café de la Gare, en 1969, que le réalisateur la repère, inscrivant dans son carnet : « Miou-Miou : très jeune, très mignonne, très drôle ».
Majoritairement très bien accueilli par la presse, La Lectrice obtient le Prix Louis-Delluc ainsi que le Grand prix des Amériques au Festival des films du monde à Montréal.

Patrick Chesnais et Miou-Miou dans La Lectrice

« De l’actrice à la lectrice »

Anna Karina, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, Isabelle Huppert, Nicole Garcia, Fanny Ardant… Depuis son premier film (Ce soir ou jamais), Michel Deville s’entoure des plus belles actrices. Pour La Lectrice, il offre le rôle principal à la révélation des Valseuses. Gracieuse, charmante et délicieusement « naturelle » (La Croix), « surprenante » (Le Figaro magazine), « étourdissante » (Révolution) ou « gourmande » (VSD), Miou-Miou fait l’unanimité. Sophie Cherer de 7 à Paris est conquise : La Lectrice est un rayonnant chant d’amour tout entier à sa gloire », remarque la journaliste. Pour Jean-Michel Frodon du Point, le metteur en scène « dispose d’un atout maître, imbattable. La Miou. Tordante, émouvante, excitante, corps, visage et voix toujours mobiles, toujours attirants, elle est la flamme qui éclaire et réchauffe le jeu de piste disposé par ce coquin sachem de Deville ». Dans Le Canard Enchaîné, qui fait de La Lectrice son film de la semaine, Jean-Paul Grousset partage l’avis de son confrère. Le film doit sa réussite à son actrice principale, « attentive, délicate, grave, enjouée, charmeuse ». « La chair se fait verbe », écrit Alain Masson, dans Positif. La revue qui consacre au film un dossier complet, et fait l’« éloge de la voix de Miou-Miou, chaleureuse et mesurée, capable de faire sortir les mots du livre (…). Discrète, mais assurée, nuancée par la situation et épousant sans s’y fondre le mouvement des textes, la diction de l’actrice convient à une lectrice professionnelle, mais débutante, présente mais point obscène ».

Les hebdomadaires ne sont pas les seuls à chanter les louanges de l’actrice. Ainsi, dans les pages cultures du Figaro, Claude Baignères lance un vibrant « bravo ! ». « La voix doucement modulée, l’inflexion toujours intelligente, le ton à la fois explicatif et sensible donnent un charme fou aux textes qui servent d’amorce à ses aventures ». Pour Éric Leguèbe du Parisien, « Miou-Miou conduit le bal avec une fraîcheur contrastant heureusement avec les travers de ceux que sa lecture intéresse pour d’autres raisons que l’explication de texte ! ». Pierre Murat n’oublie pas de féliciter la « douzaine de partenaires » qui complète la distribution. Pour Télérama, le journaliste en retient trois : Maria Casarès, une Générale « sublime, forcément sublime » ; Patrick Chesnais, en PDG « irrésistible » ; et enfin, Marianne Denicourt (Bella) « que l’on avait vue, excellente, sous le nom de Marianne Cuau dans le téléfilm de Jacques Doillon : L’Amoureuse ».

Suprême honneur : la blonde héroïne a l’estime de Raymond Jean, auteur du roman adapté. Dans les colonnes de L’Événement du jeudi, l’écrivain souligne que « la performance de Miou-Miou est d’être à tout moment légère corporellement et gestuellement, et jamais légère d’esprit ou de conduite (…). De l’actrice à la lectrice (…), il y avait un pas à franchir subtilement. Elle l’a fait avec une aisance toute particulière grâce à son exactitude et sa lucidité provocante et douce ».

« Ce vice impuni, la lecture »

Raymond Jean, Sade, Maupassant, Lewis Carroll, Duras, Dostoïevski, Prévert… La Lectrice est une ode cinématographique à la littérature. Selon Gilles Le Morvan, du quotidien L’Humanité, « le texte fait plaisir à voir. L’actrice s’évertue à tricoter les mots dans une combinaison inflexible. Voici la littérature bien servie par la pellicule. Événement bien singulier : le film donne envie de lire ». Avec ce « film au phrasé subtil, joyeusement littéraire, qui se plait à honorer les belles lettres », Deville nous « convie à la joie de lire », se réjouit le critique. L’édition dominicale de L’Humanité partage le même engouement. Selon Claude Sartirano, « La Lectrice mériterait bien d’être reconnue d’utilité scolaire. À une époque où l’on se lamente, non sans quelque raison, de l’impérialisme de l’image, de la cacophonie télévisuelle et, d’une manière générale, de notre brouille avec la lecture, voici donc un film qui prend hardiment la défense du texte. Mieux, qui en flatte la puissance évocatrice, qui en cerne le confort sensuel, qui en souligne la valeur thérapeutique, qui en fait même le lien privilégié d’une vraie communication entre les individus », applaudit le critique. Anne de Gasperi du Quotidien de Paris y voit « un hommage subtil à l’écrit dit, lu, entendu, retrouvé, au-delà de l’impression cinématographique, et sans l’embarras du langage rapporté, emprunté ou bavard ».

François Quenin, du magazine Témoignage chrétien, va dans le même sens : « Le meilleur du film passe par cette confrontation permanente qui va d’une œuvre littéraire à une autre. La vieille rivalité de l’image et de l’écrit apparait alors surannée, caduque. Quand on sort de ce film à la gloire de la littérature, on n’a qu’un désir, combler ses lacunes, lire ou relire Dostoïevski, Balzac, Duras ». Deville parvient à filmer « l’infilmable, c’est-à-dire la lecture », écrit Danièle Heymann dans Le Monde. « C’est en effet un pari impossible qui est ici gagné, un double saut périlleux que Deville réussit, célébrant les épousailles inespérées de deux plaisirs incompatibles : le cinéma et la lecture, le voir et le croire, le représenté et le rêvé », poursuit-elle. Pour la revue Cinéma 88, l’« hymne à la gloire de la lecture » est ici dépassé. Sa chroniqueuse, Anne Eddi, y voit plutôt une mise en garde : « Attention, nous dit Deville, lire un livre n’est jamais un plaisir innocent. Sans être un vice, c’est un jeu dangereux. Lire, c’est se perdre dans les mots, c’est vibrer au son des phrases, c’est oublier son identité, c’est laisser libre cours, surtout, à la sensibilité et au plaisir de vivre ». « Comment peut-on être une femme libérée et heureuse de l’être ? », s’interroge encore Anne de Gasperi, qui répond : « En lisant, c’est tout simple ».

L’érotisme façon Deville

« Depuis Le Voyage en douce, j’avais envie de faire un film sur l’érotisme, un érotisme quotidien, naturel, pas pervers comme on dit aujourd’hui », confie Michel Deville à Chantal Noetzel-Aubry du journal La Croix. « Sensible au caractère léger du divertissement XVIIIe siècle, Deville n’hésite pas à donner gentiment dans la coquinerie, voire le libertinage. La scène où Constance-Marie s’applique à lire avec une froideur embarrassée une page canon des Cent vingt journées de Sodome à un vieux magistrat (Pierre Dux) qu’on imagine libidineux est un grand moment d’humour corrosif malgré la crudité des mots », jubile Jean-Luc Macia, seconde plume du quotidien catholique.

Lectures équivoques, scènes osées, publicité suggestive (par voie d’affiches et de photos promotionnelles) : La Lectrice se pare de sensualité, d’un « érotisme subtil, jamais graveleux, plutôt… cérébral, qui pimente l’ensemble », rassure Les Échos. Après Le Voyage en douce, Eaux profondes, Péril en la demeure, Jean-Michel Frodon du Point retrouve avec plaisir la « signature de Deville » : « miroirs de la séduction », « dispositifs érotiques » et « humour en clin-d’œil ». Pour Le Figaro magazine, La Lectrice confirme « la place de Michel Deville dans le cinéma d’aujourd’hui : celle d’un maître qui développe depuis vingt-cinq ans des variations faites de sensualité, d’élégance et d’émotion. C’est un cinéma à la fois littéraire et libertin qui, à l’inverse de celui d’Éric Rohmer, n’érige pas l’innocence en vertu ». Voyeurs passifs s’abstenir, prévient Le Quotidien de Paris. Si le film invite aux plaisirs, « il a ce ton moqueur, enjoué, un rien provocant, ni trop savant ni trop érotique, qui donne à l’image et à ses personnages une touche d’inspiration futée et personnelle. Comme la lectrice dans ses draps, le spectateur savoure à son tour chaque moment choisi », pour Anne de Gasperi. Le jeu tout en finesse de Miou-Miou évite tout dérapage scabreux. « L’air de rien sous son turban bleu, elle dompte les délires en bonne ménagère, montre sa petite culotte mais ne perd pas son âme. Érotique ? Si l’on veut. Et si l’on croit les affiches sur les colonnes Morris. Mais, en fait, beaucoup plus et mieux que cela : compatissance, allègre, irréfutable, Miou-Miou est elle-même et toutes les autres », apprécie Danièle Heymann.

À l’occasion de la sortie de plusieurs films érotiques, Starfix fait le point chaud sur la question, et propose dans son n°62 un dossier spécial « Films cul(tes) ». Sous le titre « Des mots pour le faire », François Cognard, dans un long entretien avec le réalisateur, note que « depuis Benjamin ou les Mémoires d’un puceau jusqu’à Péril en la demeure, Michel Deville n’a cessé d’évoquer un certain érotisme raffiné. Avec La Lectrice, cet érotisme passe par les mots, les dits et les non-dits ». Pour la revue de genres, La Lectrice, c’est « l’érotisme du caché » : « l’érotisme, ne s’affiche pas, il se complote. Miou-Miou en est l’incarnation. C’est au travers de ce que sa voix évoque, lors de lectures intimes chez les hommes, que ces derniers succombent. C’est en parlant qu’elle marivaude. Pas en se déshabillant ».

Pourtant, la sensualité du film laisse Libération et Télérama de glace. Dans les colonnes du quotidien, Marion Scali fait part de sa déception et de son profond ennui : « De ce vice impuni devenu métier, on pouvait attendre quelques situations érotiques inédites. Raté : on dirait un clip pédagogique à la gloire de la lecture ». Pour la journaliste, « le fantasme du rite, de la répétition, cher à Sade, tombe à plat sur chaque séquence. Rien n’en ressort, hormis le plaisir évident du cinéaste à filmer son modèle, avec gentillesse et sans la moindre douleur ». La Lectrice n’est malheureusement qu’une « histoire bien proprette où l’amour n’est jamais sale, l’intrigue toujours confortable ». Et pour Télérama, le film ne permettrait aucune empathie. Il est réalisé par et pour Michel Deville, considère Claude-Marie Trémois. « Le réalisateur fantasme à ma place, et, si ses fantasmes ne sont pas les miens, je suis exclue du jeu. Car dans La Lectrice, les personnages ne sont pas des modèles, mais des silhouettes à plat. Ils n’ont pas assez d’épaisseur pour qu’on puisse se glisser dans leur peau. Impossible aussi de se promener dans une mise en scène trop réaliste. L’érotisme, le vrai, c’est celui qui sourd du personnage de Mlle Lotte (Fanny Ardant), le mirage tout blanc qui hante le hangar du Paltoquet. Mais les ébats de Patrick Chesnais et Miou-Miou ne sont guère porteurs de rêve ».

Double jeu

« Astuce digne des poupées russes » (Le Quotidien de Paris) ; « film à tiroirs » (Paris-Match et Présence du cinéma) ; « brillante composition intellectuelle » et « numéro de haute voltige » (La Croix), La Lectrice pose son réalisateur en « virtuose de l’exercice de style » (Cinéma 88). La presse admire la double narration d’un film qui a pour axe Miou-Miou à la fois héroïne (Constance) et lectrice (Marie)…

Si Michel Deville « est parti du texte d’un autre, plein de sel, il y a ajouté son propre grain de sel », en jouant « avec les mots, avec les corps et parfois les cœurs », se régale Robert Chazal dans France-Soir. Ludique, la mise en scène interpelle la plupart des critiques. « On se retrouve sur une aire de jeu que fréquentent aussi bien le chat Murr et le lapin d’Alice », jubile Michel Pérez du Nouvel Observateur. « Pour aller d’une case à l’autre de son itinéraire, précise-t-il, Miou-Miou emprunte des rues et des venelles d’un provincialisme joyeusement convivial, et si les musiques qui l’accompagnent sont de chambre et beethovéniennes, elle s’autorise un hommage éclaboussant au Gene Kelly de Chantons sous la pluie ». « Épatant ! Brillant ! Séduisant ! La Lectrice justifie les qualificatifs les plus élogieux », claironne Marcel Martin dans Révolution, avant de poursuivre : « Le film fonctionne de manière éblouissante sur ce double jeu entre l’imaginaire de Marie et le réel de Constance, ce réel n’étant sans doute que le produit de ses fantasmes ». « Jeux de miroirs, jeux de cache-cache, jeux de dés. Michel Deville est un ludique », juge Catherine Wimphen dans Studio Magazine : « À chaque case, chaque personnage, Deville donne une couleur, une musique, un style. Et une perversité ». Quatre ans après Péril en la demeure, La Lectrice « pose à nouveau la question de la manipulation », déclare Gilles Colpart pour La Revue du Cinéma : « Deville complique joyeusement les données des rapports réalité/fiction. Le premier degré se trouve banni, le dialogue est volontiers à double sens, surtout pour tout ce qui a trait au sexe, et la narration se plaît à être un dédale pour l’esprit ». Selon Claude Loiseau de Première, le film est un véritable « jeu de piste où le cinéaste a la suprême élégance de paraître désinvolte alors que son film est un monument de fantaisie prémédité ». Deville, « géomètre de l’insolite, crée un univers minutieusement original, le peaufine d’une caméra aérienne qui, souvent, vit sa vie propre, virevolte, s’insinue et ajoute sa touche d’impertinence à un récit d’une subtilité rare ». Pour Télérama, la caméra est bien au cœur du dispositif. « Depuis dix ans, rappelle Pierre Murat, la seule intrigue des films de Deville, c’est la mise en scène. Sa seule vraie héroïne, la caméra. Cette caméra tendre et voyeuse qui, dans La Lectrice, tourne lentement autour de Miou-Miou (…). Cette caméra qui fixe, en un plan inutile et beau, Miou-Miou allongée sur un banc avec un livre pour oreiller. Cette caméra qui, en une suite de plans brefs qui ressemblent à des signes de ponctuation – des virgules ! – saisit l’œil éteint de Patrick Chesnais qui s’ouvre brutalement ou le poing de Régis Royer qui se ferme sous le choc du plaisir ».

Un plaisir trop calibré ?

Mais ces choix de mise en scène désarçonnent cependant certains critiques. Si le potentiel érotique de La Lectrice suscite d’abord l’engouement de Starfix, l’agacement gagne au numéro suivant du magazine. Malgré son admiration, Laurence Hétier regrette le « côté artificiel, chic, trop bien léché » des séquences et des personnages « trop schématisés ». Froid, le film l’est aussi pour Jeune Cinéma. Si La Lectrice « se savoure comme un agréable exercice de style parfaitement maîtrisé, admet Alain Caron, il n’est pas interdit, en amoureux fervent de Michel Deville, de lui reprocher l’absence de ce supplément d’âme qui faisait le prix du Voyage en douce, lui aussi très littéraire ». Annie Coppermann, dans Les Échos, s’avoue franchement déçue : ce film « avait tout, vraiment tout, pour séduire. Trop, peut-être », déplore-t-elle. Ne pouvant suggérer, La Lectrice « montre trop. Au risque de frôler la lourdeur, et de sombrer dans la répétition ». Et si « certaines [scènes] sont des petits bijoux d’humour, d’autres irritent par la gratuité de leur sophistication » conclut-elle.

Précision des plans, science du montage, justesse du découpage, richesse de l’interprétation… La réalisation de La Lectrice, spectacle bien trop « calibré », irrite pourtant Les Cahiers du Cinéma. « À force de viser l’élégance, de sublimer ce qu’il peut y avoir de trivial, le film finit par s’enfermer dans sa logique externe, laissant apparaître les tics, l’ennui, le volontarisme d’auteur », s’agace Serge Toubiana, qui s’adresse directement au cinéaste : « Cessez de faire semblant de vous laisser aller, alors que vous ne pensez qu’à tout contrôler ». Trop technique, trop érudit, Deville, « clinicien » et « petit docteur ès plaisir », gâcherait ainsi le potentiel érotique de sa Lectrice


David Duez est chargé de production documentaire à la Cinémathèque française.