« Les Adolescentes » d'Alberto Lattuada en version restaurée

Hervé Pichard - 6 février 2019

Les Adolescentes d’Alberto Lattuada vient d’être restauré, en prévision de la rétrospective consacrée au cinéaste, par TF1 Studio, avec le soutien du CNC, de la Cineteca di Bologna et de la Cinémathèque française. Sorti en 1960, le film est certainement l’une des plus belles œuvres consacrées à l’adolescence et au désir amoureux. La toute jeune Catherine Spaak (alors âgée de 15 ans) en sera la révélation, magnifiquement filmée, entourée notamment par Christian Marquand et Jean Sorel sur une bande musicale de jazz omniprésente composée par le génial Piero Piccioni…

«  Era quel dolce
E irrevocabil tempo, allor che s’apre
Al guardo giovanil questa infelice
Scena del mondo, e gli sorride in vista
Di paradiso.  »

«  C’était ce temps
Léger irrévocable, alors que s’ouvre
Aux yeux enfants la misérable
Scène du monde et leur sourit comme l’image
D’un paradis.  »

Citation de Giacomo Leopardi lue dans le film

La première séquence du film : une jeune italienne, Francesca, adolescente de dix-sept ans, se réveille doucement d’un songe érotique. Dans la pénombre, elle semble troublée et encore perdue dans un demi-sommeil. La caméra traduit son émotion sans ambigüité, se promenant sur son corps encore sous le choc d’une émotion inédite et d’un désir palpable. Ce désir naissant la poursuivra toute la journée. Au lieu de suivre ses cours, Francesca se précipite pour voir l’homme qu’elle aime et lui raconte timidement l’histoire de son rêve, annonçant son désir de découvrir l’amour charnel. L’homme (Christian Marquand), au profil idéal, architecte cultivé, attentif et élégant, en est l’objet. Durant toute cette journée que dure le film, Francesca se promène dans la capitale italienne, guidée par cette obsession troublante. Au hasard des rencontres, face à ce désir incontrôlable, elle est dans une curieuse observation du monde. Elle déambule dans Rome, ville labyrinthique et contrastée, mondaine et populaire, interrogeant son entourage. Les filles de son âge, comme les femmes mûres, affichent toutes de façon plus ou moins assumée ce besoin de l’autre, de la présence des hommes.

Alberto Lattuada accompagne cette longue promenade en posant sans cesse sa caméra, non plus sur le corps de la jeune fille, mais essentiellement sur son visage, cherchant à sonder le raisonnement confus de l’adolescente. Il profite aussi de son regard discret pour étudier ainsi, avec un certain sarcasme ces femmes, issues de la haute bourgeoisie romaine, dissimulant derrière une élégance inégalable, leur ennui et un désir inassouvi. De même, les hommes, derrière une certaine forme d’arrogance, cachent leur faiblesse et leur inquiétude. Alors que le désir sexuel est omniprésent, le réalisateur contourne la dimension charnelle et s’attarde davantage sur le trouble et le besoin intérieur qu’il suscite, portant un regard féministe, insolite et impertinent pour 1960. Il devra d’ailleurs se battre contre la censure, dénonçant le tabou concernant la sexualité des adolescentes et le discours puritain d’une Italie sclérosée socialement et enfermée dans une religion infantilisante. La question de la sexualité des adolescentes est ainsi abordée avec douceur et retenue. Il n’apporte pas de réponse frontale, bien au contraire, il souligne son existence et son importance non négligeable dans le parcours initiatique pour sortir de l’adolescence et devenir femme. De même, la transformation imperceptible du corps de Francesca se traduit par son rapprochement contenu vers le monde des adultes, décrit par Alberto Lattuada paradoxalement comme immature et hystérique. Francesca préfère sortir avec la mère d’une de ses amies, au comportement plus irresponsable et insouciant, plutôt que de passer du temps avec les filles de son âge. Elle enchaîne ainsi les rencontres, pour ne retrouver que bien plus tard des jeunes de sa génération, extravertis, brillants et profitant pleinement de la vie, mais qui semblent finalement ne plus l’intéresser. Lors d’une course de voitures dans la compagne romaine, conduite par cette jeunesse dorée, cheveux au vent, guidée par l’accélération jouissive du moteur des décapotables, Francesca prendra avec son frère un soi-disant raccourci, vers un autre terrain de jeu, celui de la confidence et de la complicité.
Derrière la légèreté de certaines séquences qui pourraient s’apparenter à un teen movie classique de cette époque, une certaine forme de mélancolie, perçue comme un signe de maturité, accompagne cette adolescente, laissant entrevoir dans l’écriture romanesque et tragique du réalisateur, que le jeu amoureux est intimement lié au doute des sentiments. À plusieurs reprises, les personnages s’appuient sur les propos du poète et philosophe Giacomo Leopardi qui peindra sans cesse avec la noirceur de ses mots la fragilité de la condition humaine. Le recueil de poèmes de Leopardi fait partie des livres d’école que Francesca transporte avec elle, soulignant que le désespoir est l’autre alternative à la désillusion.

Alberto Lattuada aborde ainsi tout en nuances ce sujet sensible des premiers désirs amoureux, en décryptant l’activité mentale de son héroïne. Ce cinéma introspectif révèle la finesse et l’intelligence de sa mise en scène.

La restauration du film

Le film a été restauré en 4K en grande partie à partir du négatif image original et des négatifs son conservés à la Cineteca di Bologna. Les travaux de restauration numérique et photochimique, suivis par Céline Charrenton de TF1 Studio, ont été réalisés au laboratoire L’Image retrouvée à Paris et à Bologne. Le négatif image a nécessité au préalable un travail important de réparation mécanique et un contretype muet a dû être utilisé afin de remplacer une partie de l’élément original.

Les éléments argentiques ont été scannés sur Arriscan en 4K et la première bobine a été traitée en immersion afin d’éliminer les nombreuses fines rayures.

Notons, lors de la restauration, le remarquable travail d’étalonnage. S’appuyant sur une copie positive italienne d’époque, la photographie numérique noir et blanc de cette restauration permet de retrouver la douceur des visages tout en offrant une belle image contrastée, respectant ainsi le travail du chef-opérateur Gábor Pogány.
TF1 Studio a mené en parallèle la restauration de Guendalina, autre film d’Alberto Lattuada. Les deux films seront distribués ultérieurement en salles par Les Acacias et feront l’objet d’une édition DVD.

La Cinémathèque française avait déjà accompagné TF1 Studio dans la restauration d’Adieu Bonaparte et des Dames du Bois de Boulogne. Les deux films d’Alberto Lattuada confirment la qualité de ce catalogue riche et diversifié.


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.