Revue de presse du « Rayon vert »

Véronique Doduik - 5 février 2019

Dans la filmographie d’Éric Rohmer, Le Rayon vert est le cinquième volet du cycle des « Comédies et proverbes », et succède aux Nuits de la pleine lune (1984). Ce cycle, au titre générique emprunté à Alfred de Musset, est réalisé à vive allure. Débuté en 1980 avec La Femme de l’aviateur, il se clôt en 1986 avec L’Ami de mon amie. Avant lui, Rohmer a réalisé un autre cycle, celui des « Contes moraux ». Le titre du film, Le Rayon vert, est une allusion à la lueur fugitive de couleur émeraude que l’on peut observer, quand le ciel est limpide, au moment précis où le soleil couchant disparaît sur la mer. Ce phénomène optique et atmosphérique donne aussi son titre à un roman de Jules Verne, Le Rayon vert, publié en 1882, auquel il est fait référence dans le film. Selon l’écrivain, quand on a la chance d’observer ce rayon fugace, on peut lire dans ses propres sentiments et dans ceux des autres. Le film d’Éric Rohmer est introduit par des vers empruntés à Arthur Rimbaud : « Ah ! Que le temps vienne/où les cœurs s’éprennent », extraits du poème Chanson de la plus haute tour.

Le Rayon vert (Éric Rohmer, 1986)

Le Rayon vert a été présenté au public selon une formule originale. Simultanément à sa présentation en soirée d’ouverture à la Mostra de Venise (où il remportera le Lion d’Or), le film est diffusé (en crypté) sur la chaîne de télévision payante Canal Plus le 31 août 1986, trois jours avant sa sortie en salles. Il a bénéficié d’un prix d’achat exceptionnellement élevé, et a du même coup acquis le statut officiel de téléfilm, statut qui le met à l’abri de la réglementation sur les délais de diffusion. Une expérience comparable avait déjà été tentée, dans un contexte médiatique certes très différent, avec Le Testament du Docteur Cordelier de Jean Renoir (1959) et Ne pleure pas de Jacques Ertaud (1977), sortis simultanément dans les salles de cinéma et à la télévision. Pour Les Films du Losange et la distributrice Margaret Ménégoz, l’enjeu est de voir si la diffusion sur Canal Plus va vider les salles ou amorcer un bouche à oreille favorable. Avec un score honorable sur la chaîne cryptée, le lancement télévisuel servira finalement la promotion du film, en lui apportant un public nouveau. Le pari sera gagné, dans la limite de l’audience d’un « film d’auteur » : Le Rayon vert totalisera environ 500 000 entrées en salles. L’accueil critique au moment de sa sortie est très positif.

Un scénario ténu

De l’avis général, le scénario du Rayon vert est des plus minces. Delphine (Marie Rivière), une « petite secrétaire parisienne morose » (Starfix), déjà marquée par une rupture amoureuse, est plaquée au dernier moment par l’amie avec qui elle devait partir en voyage. Elle ne veut pas partir seule, mais ne sait pas avec qui partager ses vacances d’été. « Rien de bien romanesque, de prime abord, dans le parcours de Delphine, livrée à un triste été de solitude et d’errance », note Pierre Jailloux dans L’Art du cinéma, poursuivant : « son voyage prévu annulé, c’est le film tout entier qui semble abandonné à lui-même, à la dérive, délaissant les apprêts du beau langage auquel Éric Rohmer nous a habitués. Ce lâcher prise n’embarque pas le spectateur sur les courants tumultueux de l’aventure, mais sur les eaux stagnantes d’un terne quotidien ». Annie Coppermann renchérit dans Les Échos : « Rien donc, ici, que la dérive douce-amère d’une jeune fille trop seule, mal à l’aise dans sa peau, et que l’été rend encore plus mélancolique ».

Du pointillisme psychologique

De Cherbourg à La Plagne, de Paris à Biarritz, la jeune femme emporte avec elle son mal-être, quels que soient ses lieux de villégiature et les gens rencontrés. Le Figaro constate : « Le Rayon vert, c’est l’histoire d’une adolescente dont les timidités paralysent les élans et qui fait de sa solitude un drapeau dont les plis lui servent surtout à essuyer ses larmes. Instable, incertaine, armée de trois robes d’été et des Frères Karamazov, elle va errer durant trois semaines de vacances sans parvenir à s’ancrer nulle part malgré le chaleureux accueil d’amis de rencontre. Annie Coppermann analyse : « Il n’y a qu’Éric Rohmer pour partir de prémisses aussi ténues et arriver, avec la sensibilité et la grâce dont il a le secret, à bâtir un film de mille menus riens et qui forment un tout aussi cohérent, prenant, intelligent. Dans le droit fil, donc, de cette peinture du cœur humain que le cinéaste poursuit de film en film ». « Si l’on est sensible à l’impressionnisme psychologique, ici subtilement mâtiné d’humour, on sera conquis », remarque la critique, qui apprécie « ce portrait, composé de petites touches comme prises sur le vif d’une réalité observée avec la précision d’un entomologiste et le sourire d’un observateur plus complice que juge ».

Un récit fragmenté

À ce « pointillisme psychologique » correspond une construction éclatée du récit. Comme le constate L’Art du cinéma, « La cohérence du parcours de l’héroïne est effacée au profit de mouvements fragmentés, tandis que gestes et paroles sont brutalement interrompus par un intertitre, d’une manière qui semble arbitraire autant qu’aléatoire. Erratique, le langage navigue à vue, sans destinée ni destination manifeste, dénué de rivage où accoster ». Gérard Legrand écrit dans Positif, « le récit est découpé selon les feuillets d’un agenda. Mais cet agenda est tout impersonnel, il n’y a pas de voix off pour suggérer un auteur qui le tiendrait (comme c’était le cas dans Le Genou de Claire en 1970) ». « Autant de démonstrations d’une passivité qui signifie une acceptation de la contingence des choses », conclut L’Art du cinéma.

Une improvisation très contrôlée

En effet, Delphine semble vivre « en direct » sous le regard indiscret de la caméra de Rohmer. En 1986, le cinéaste a la réputation d’être l’auteur « d’un cinéma à texte ». De formation littéraire (il a été professeur de lettres à la Sorbonne), il affectionne les citations et les références à la littérature. Si Le Rayon vert, inspiré du titre d’un roman de Jules Verne, ne fait pas exception, la « méthode rohmérienne » se trouve ici néanmoins comme renouvelée. « On sait l’importance qu’a la langue pour Éric Rohmer », lit-on dans la revue Cinéma. « Certains de ses dialogues comptent parmi les plus écrits, les plus ciselés de la langue française. Or, avec Le Rayon vert, il semble abandonner cette maîtrise, la déléguer à ses acteurs ». « Le voilà qui prend le pari de l’improvisation, de la confiance donnée aux acteurs dans le développement des thèmes, des motifs imposés sur lesquels ceux-ci sont libres de broder pour l’adapter à leur registre propre », écrit Jean Roy dans L’Humanité. En effet, si le réalisateur a donné à ses acteurs une trame précise pour chaque scène, il les a laissé improviser librement, selon leurs rythmes, avec leurs propres mots. Il en résulte selon Le Monde « un mélange détonnant du style Rohmer hautement sophistiqué et d’un langage brut ». « D’abord, on pense que la trame est trop lâche et les dialogues trop fades. Mais brusquement, le sortilège opère. Les personnages se mettent à exister très fort, avec leurs simples mots et leurs histoires de tous les jours », s’enchante La Vie ouvrière. Enfin, pour Anne Andreu dans L’Évènement du jeudi, « Le Rayon vert représente pour l’auteur des « Contes moraux » un tournant radical sur le plan de l’écriture. Après Les Nuits de la pleine lune qui portaient à un point de perfection un cinéma d’expression littéraire, Rohmer a voulu plonger dans l’improvisation totale ».

Un tournage minimaliste

Éric Rohmer a ainsi entrepris, « par délassement » selon ses propres mots, ce « film de vacances » très largement improvisé. Le Rayon vert a des allures de film expérimental, remarquent les critiques, c’est « une aventure qui aurait pu s’arrêter » (Le Nouvel Observateur). Entreprise hasardeuse selon Rohmer lui-même, le film a été tourné avec une très grande économie de moyens : le budget est très limité (2,5 millions de francs, alors que la moyenne pour un film français à cette époque est de 10 millions). Marie Rivière est la seule comédienne professionnelle avec Vincent Gauthier, le garçon qui apparaît à la fin, de manière fugace. Les autres acteurs sont en majorité des non professionnels, pour certains « recrutés » au dernier moment sur les lieux même du tournage. Comme le précise L’Évènement du jeudi, « Rohmer a tourné en 16 mm, avec en tout et pour tout une équipe technique de trois jeunes filles, une à la caméra, une au son, et la troisième à l’intendance, et avec une histoire qui n’existait que dans sa tête, bref, un film à gros risques ». La presse note l’emploi de la caméra IGmm qui donne une image moins « propre » que la 35 mmm, et décrit un tournage rapide, sans recherche particulière au niveau de la lumière. « Rohmer a tourné vite, avec une toute petite équipe, sans beaucoup se soucier d’une image léchée, pour garder la spontanéité des propos de la vie quotidienne et la musicalité des voix de la jeunesse. Le Rayon vert y gagne une grande drôlerie » (La Croix). Les conditions de tournage sont proches de celles d’un reportage, les prises ne sont pas refaites en général (sauf la dernière, où apparaît le rayon vert, et qui a été capturée à part, aux îles Canaries). Le Point peut ainsi affirmer : « Le Rayon vert brille de cette liberté, de cette souplesse économe qui portèrent jadis le beau nom de « Nouvelle vague ». Une manière implacable et gaie de parler de très peu de chose. L’essentiel sans doute ».

Capturer le réel

Pour Éric Rohmer, « filmer, c’est souvent tuer ce qu’on filme. La vie réelle disparaît de l’endroit où l’on installe caméras et projecteurs », déclare-t-il. Les critiques attribuent au Rayon vert une surprenante authenticité. « On est frappé, dès les premières images, par la fraîcheur d’un filmage dont la simplicité restitue aux personnes (acteurs comme non-acteurs) et aux paysages filmés l’évidente innocence que leur préserve parfois le cinéma amateur », observent Les Cahiers du cinéma, poursuivant : « dans Le Rayon vert, les choses et les êtres filmés ne donnent jamais l’impression d’être là pour la caméra, mais que c’est la caméra, le plus simplement du monde, qui est là, devant les choses ». Cinéma renchérit : « il y a dans ce film un parti-pris du plan long, voire du plan séquence, et une très grande liberté donnée aux acteurs. La caméra, volontairement humble, semble réduite à son unique fonction « d’enregistrement ». Afin de capter le plus possible de réel ». « La plupart des spectateurs éprouvent comme un miracle cette proximité merveilleuse des personnages et des images, qui capture la vivacité même de la vie dans un film livré tout vif », conclut Le Quotidien de Paris.

Un cinéma ethnographique

Les critiques s’accordent pour retrouver dans Le Rayon vert un schéma narratif spécifiquement « rohmérien », c’est-à-dire, comme l’écrit La Revue du cinéma, « un groupe de personnages (généralement jeunes) tournant autour d’une figure centrale (souvent une femme), et dont le metteur en scène s’évertue à saisir les rapports et les chassés-croisés affectifs ». « Comme Marivaux autrefois, Rohmer se délecte de tous les petits travers du cœur et de l’esprit, dramatise méchamment le futile, pour finalement le faire triompher » (Starfix). Mais, selon L’Humanité, avec Le Rayon vert, « si la matière est toujours la même, la manière a changé. Éric Rohmer semble vouloir partir de la réalité brute pour que d’elle naisse l’histoire ». Laissant toute latitude aux comédiens pour improviser et broder autour du canevas de base, le cinéaste leur permet d’exprimer, lors du tournage, leurs préoccupations du moment qui sont celles de leurs contemporains, des gens de leur âge. Cinéma écrit : « on connait aussi son attachement à mettre en relief les différents langages des groupes sociaux, ce qu’on pourrait sommairement appeler sa préoccupation ethnographique ». « Jusqu’à présent, note Télérama, Éric Rohmer avait toujours eu une prédilection pour les intellectuels, les mondains, voire les salonards. Et voilà que, pour la première fois, avec Le Rayon vert, il peint un autre milieu : des petits employés, des gens de condition et de culture modeste. Pour Libération, « Le Rayon vert est surtout un rayon laser qui, meurtrier ou caressant, promène sa chirurgie sans anesthésie sur le grand corps de la France contemporaine. Pas n’importe quelle France. Celle de la classe moyenne, peuplée de secrétaires, shampooineuses, employées de bureau, chauffeurs de taxi… La France du plus grand nombre saisie à l’été 1985 dans le collimateur du plus grand dénominateur commun des vacances aoûtiennes. Du Nord au Sud, du soleil à la pluie, de Paris à Cherbourg, de La Clusaz à Biarritz, à la mer, à la campagne, à la montagne ». « Et surtout, ajoute L’Humanité, pour la première fois chez Rohmer, on entend le français tel qu’on le parle (tel que le parle la jeunesse actuelle), et non le français tel qu’on l’écrit. Mais ce qui est le plus original, c’est que cette nouvelle approche, plus directe, de la situation et des personnages, s’inscrit dans un contexte par ailleurs violemment romanesque. Delphine est une jeune fille d’aujourd’hui et aussi une héroïne de conte ». Comme l’écrit d’ailleurs Libération, « le bovarysme de Delphine est à la fois universel et imparablement estampillé 1986 ». Néanmoins, certains critiques ne partagent pas cet avis, comme Louis Seguin qui désapprouve avec virulence dans La Quinzaine littéraire « la gestuelle toujours trop « naturelle » de ces personnages qui est le résidu d’une emphase contrariée », ajoutant : « la « spontanéité » que le film revendique est la part visible de ce désastre. Les comédiens n’ont rien à montrer et rien à dire. Ils sont réduits à la moue et au bafouillage. Ils déroulent un tissu terne de « vachement » et, tics de la mode obligent, d’« e » muets finaux trop accentués. Au retour de déambulations mornes, ils s’immobilisent et se coincent autour d’une de ces tables qui sont maintenant pour la mise en scène l’ultime recours de l’impuissance ».

Portrait d’une jeune femme romantique

Pour Alain Bergala dans Les Cahiers du cinéma, « le personnage de Delphine n’est pas quelqu’un qui construit entre son désir et le monde, entre soi et les autres, un écran de paroles ». C’est en cela un personnage atypique et inclassable dans la galerie des personnages rohmériens. « Delphine est une midinette d’aujourd’hui », relève Le Monde, « Rohmer la regarde, la scrute, la traque dans sa quête éperdue « de quelqu’un pour partir en vacances avec elle  », dans ses tentatives calamiteuses de contacts, dans les rêves romanesques derrière lesquels elle cache (à peine) sa peur des autres. Plus elle cherche à se mêler à la « vie normale », plus cette prétendue normalité la blesse, plus elle se sent différente, et coupable de l’être. Rohmer n’évite rien de ce calvaire dérisoire ». Les Cahiers du cinéma poursuivent : « Le Rayon vert est un grand film de l’attente. Il fallait à Rohmer un personnage vacant, en quête de rencontres, mais qui n’arrive pas à se stabiliser quelque part ni dans une relation. Delphine ne cessera de se protéger contre ce qu’elle a l’air de chercher, et se refuser, même si cela la fait souffrir, à tout ce qu’elle trouve en chemin qui la rapprocherait de ce que l’on croit qu’elle cherche ». La Croix va dans le même sens : « L’héroïne refuse avec un bel acharnement tout ce que le temps présent propose habituellement à la consommation des midinettes », ajoutant : « Delphine, femme ordinaire, est en fait en quête de l’extraordinaire. C’est bien par là qu’elle appartient à notre époque ».

Marie Rivière, actrice inspirée

L’actrice principale, Marie Rivière, fait l’unanimité chez les critiques. Pour Le Nouvel Observateur, « après les sublimes Nuits de la pleine lune, à la composition complexe, au subtil entrelacement de nombreux personnages, Le Rayon vert a des allures intimistes de sonate pour un seul instrument. Mais quel instrument ! Marie Rivière qui prête sa personnalité, ses inventions, sa poésie au personnage de Delphine. C’est la révélation du film ». La revue Cinéma n’est pas en reste : « le miracle, c’est Marie Rivière. On l’avait déjà remarquée dans Perceval le Gallois et La Femme de l’aviateur, mais ici, elle est confondante de sincérité, bouleversante de simplicité. Il s’est passé quelque chose de rare, de merveilleux, une osmose entre un acteur et un personnage ». La Croix souligne « une interprétation exceptionnelle de simplicité et de vérité ». L’Évènement du jeudi écrit, sous la plume d’Anne Andreu : « cette actrice appartient clairement à la famille des actrices de Rohmer. Le regard bleu délavé, les cheveux fous, une petite voix entre la candeur et la sophistication ». Elle ne se contente pas d’interpréter Delphine, jeune fille à l’abandon, elle « est » Delphine ».

Un conte moderne

Le Nouvel Observateur constate : « en perpétuel décalage avec les autres, leurs conversations, leurs petits plaisirs quotidiens, Delphine, l’héroïne, se réfugie dans un jardin secret, un univers de superstitions, de signes annonciateurs du destin ». « Comme Musset, à qui il fait volontiers référence, Éric Rohmer pourrait dire que le hasard est son plus cher confident. Le Rayon vert est un jeu avec le hasard, les rencontres, les occasions, les coïncidences, autant pour le cinéaste que pour son héroïne. La solitude de Delphine est en effet peuplée de signes du destin. Mais il lui arrivera finalement ce qu’elle veut profondément, car si Éric Rohmer croit au destin, il croit davantage encore à la volonté qui le forge », écrit Le Figaro. « Par des touristes dont l’héroïne surprend sans l’écouter l’érudite conversation sur un roman de Jules Verne, elle apprend l’existence d’un phénomène météorologique rare, porteur d’un symbolisme précis, le rayon vert : si on réussit à le capter du regard, on peut en même temps lire en soi et savoir si un amour naissant est partagé » (Positif). « Le cinéaste le plus secret de France ne pouvait qu’être inspiré par un rayon aussi mystérieux », déclare France-soir. « Le Rayon vert dégage un charme presque magique. Ce film itinérant marque les étapes d’un véritable itinéraire spirituel », écrit Télérama, qui ajoute : « comme toute héroïne de conte, Delphine va déjouer les pièges et mener à bien sa traversée de la solitude ».

Un univers de signes

Dans Le Rayon vert, certaines couleurs sont chargées d’un sens symbolique. La couleur verte bien sûr, qui est celle de l’héroïne et constitue son fil conducteur (dans l’imaginaire collectif, c’est la couleur de l’espérance). Pierre Jailloux dans L’Art du cinéma en donne quelques exemples : « la verdure des bocages ou celle de ses habitudes culinaires, le béret qu’elle porte à Biarritz. Le vert va jusqu’à envahir le cadre à l’approche du dénouement. Tout ce jeu de pistes aboutissant naturellement au rayon vert, le vrai, vers quoi tend tout le mouvement du film, annoncé par son titre ». Gérard Legrand renchérit dans Positif : « le texte révélant l’existence du rayon vert est accompagné de présages ». Sur les rochers, elle trouve un valet de cœur… vert, elle croise une boutique de souvenirs dont l’enseigne porte : Au Rayon Vert. Positif ajoute : « dans l’environnement de la vacancière, il y a une montée insistante sur l’écran de la couleur verte, dans les vêtements des figurants comme dans ceux de Marie Rivière ». « Et à la gare où elle allait prendre son prochain train pour Paris, le destin l’attendait, sous les traits d’un garçon, gracieux, à qui elle a rendu son sourire, et avec qui elle va le voir, ce dernier fugace rayon de soleil « (Le Nouvel Observateur). « Rarement le cinéma français aura communiqué avec autant de lyrisme, dans la simplicité, et témoigné d’une osmose entre le cosmos et l’intériorité », écrit Gérard Legrand dans Positif. C’est la vue du rayon vert qui donnera à Delphine le bonheur d’aimer. Et Les Cahiers du cinéma de conclure : « Delphine a besoin d’un signe visible qui échappe au réseau truqué de la communication humaine, pour que le monde lui confirme objectivement, par une rarissime et somptueuse métaphore physique, que cette rencontre est bien LA rencontre qu’elle attendait. Le sublime des deux dernières minutes du film tient à ce que l’on bascule, tout à coup, de ce qui ne pourrait n’être qu’une émotion facile de roman-photo (une jeune femme, après avoir fait l’épreuve passagère de la solitude, rencontre le grand amour) au sentiment métaphysique d’une élection désignée par une sorte de miracle cosmique ».


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.