Alberto Lattuada, mode d'emploi

Jean-François Rauger - 24 janvier 2019

Électron libre du cinéma italien, il a su, après la Seconde Guerre mondiale, injecter dans l’esthétique du néo-réalisme des influences exogènes comme celles du Film Noir ou du mélodrame hollywoodien. La comédie « à l’italienne » se distingue difficilement, dans son œuvre, du drame et de la fable cruelle. Tous les prétextes, par ailleurs, pour exalter la beauté des jeunes filles seront bons pour lui.


Le Bandit (1946)

Cinq films de Lattuada - Le Bandit

Avec Le Bandit, Alberto Lattuada contamine le néo-réalisme naissant (Rome, ville ouverte date alors de quelques mois) par les motifs venus du Film Noir américain. Le destin du personnage principal, incarné par Amedeo Nazzari, est à la fois la conséquence d’une situation sociale et historique donnée tout autant que d’un déterminisme psychologique. Le Bandit s’inscrit ainsi dans le mouvement néo-réaliste, montrant les ruines de Turin portant les stigmates des bombardements, dénonçant les conditions de vie des pauvres, pointant du doigt les nouvelles caractéristiques de l’exploitation économique. Mais le film est marqué par un recours aux motifs et aux thèmes du Film Noir américain. La femme fatale, le gangster, l’usage de la musique de jazz renvoient à une généalogie qui est celle du cinéma américain, source à laquelle se nourrira toute une génération de réalisateurs italiens. Avec ce film, Lattuada témoigne de sa singularité au cœur du cinéma transalpin, d’une certaine manière de croiser les influences et les émotions, d’entremêler les genres. Une méthode qu’il réutilisera tout au long de sa carrière. Son film suivant, Sans pitié, mélangera ainsi, avec bonheur, une chronique de l’Italie de l’immédiate après-guerre avec des éléments mélodramatiques.


Le Manteau (1952)

Cinq films de Lattuada - Le Manteau

Le Manteau est l’adaptation d’une nouvelle de Gogol. Ce n'est pas la dernière fois qu’Alberto Lattuada s’empare d’un classique de la littérature russe. Il y aura La Tempête d’après Pouchkine en 1958, La Steppe d’après Tchekhov en 1962, et Cœur de chien d’après Boulgakhov en 1976. C’est Pavie qui remplace la ville de Saint-Pétersbourg de la nouvelle. Le film permet au cinéaste de mêler la farce satirique et le réalisme, la précision d’une description sociale avec une dimension fantastique. Le héros du Manteau, petit homme besogneux et timide, rejoint les figures masculines qu’affectionne Lattuada, ces personnages effacés, perpétuellement victimes du monde qui les entoure et des femmes en particulier, comme celui incarné par Aldo Fabrizi dans Le Crime de Giovanni Episcopo ou bien par Riccardo Billi dans Scuola elementare.


Les Adolescentes (1959)

Cinq films de Lattuada - Les Adolescentes

Avec Les Adolescentes s’affirme le goût du cinéaste pour les portraits de jeunes filles, tendance déjà entamée l’année précédente avec Guendalina et qui s’épanouira dans des films comme La Bambina, (1974) ou La Fille (1980). Le film s’attache à l’éveil à la sensualité et à la sortie de l’enfance d’une nymphette incarnée par la sublime Catherine Spaak, que la caméra de Lattuada exalte en la caressant littéralement dès les premières secondes. Entrée dans la modernité cinématographique pour son auteur, Les Adolescentes s’inscrit dans un mouvement de rajeunissement qui touche le cinéma européen dans son ensemble. Son héroïne représente la fin des vieilles certitudes et l’entrée dans un monde nouveau détaché des prescriptions anciennes, plus libre sans doute, mais plus désenchanté aussi.


Mafioso (1962)

Cinq films de Lattuada - Mafioso

Unique collaboration du réalisateur avec Alberto Sordi, réalisé en 1962, Mafioso confirme le caractère insolite, défiant toutes les catégories, de la filmographie de Lattuada. Celui-ci transforme la comédie à l’italienne, ici construite sur des ressorts connus, constitués par le contraste entre le Nord et le Sud de l’Italie, en une fable particulièrement pessimiste, cruelle et immorale. Alberto Sordi incarne un personnage jouet, jusqu’au crime, des circonstances et surtout d’un milieu familial et social lui ayant retiré toute liberté. Le scénario est signé Age et Scarpelli ainsi que Marco Ferreri (qui devait à l’origine réaliser le film) et Rafael Azcona.


La Bambina (1973)

Cinq films de Lattuada - La Bambina

Un des projets les plus audacieux de Lattuada. La Bambina (Le faro da padre dit le titre original soit « je serai un père pour elle ») est l’histoire d’un amour fou et transgressif. Le calcul cynique d’un homme d’affaires sans scrupules, décidé à épouser par intérêt une adolescente attardée, devient la peinture d’une passion érotique sans équivalent. Cet éloge, excitant et poignant, de l’innocence impudique, rendu possible par le recul des censures, se double d’une charge au vitriol d’une rare violence contre la bourgeoisie et ses calculs égoïstes.


Jean-François Rauger est directeur de la programmation à la Cinémathèque française.