Copie neuve 35 mm de « Roméos et Jupettes », court métrage insolite de Jacques Rozier (1966)

Hervé Pichard - 5 juin 2018

La Cinémathèque française a tiré tout récemment une copie neuve 35 mm du court métrage devenu invisible de Jacques Rozier, Roméos et Jupettes, à partir des négatifs image et son retrouvés. Le film, reflet de l’univers à la fois burlesque et sensible du cinéaste, est une véritable curiosité à découvrir.

Depuis un an, la Cinémathèque française et la société de production A17 restaurent numériquement les films de Jacques Rozier, avec le soutien du CNC et en collaboration avec plusieurs cinémathèques : les Archives audiovisuelles de Monaco, la Cinémathèque suisse, la Cinémathèque de Toulouse et Extérieur Nuit. La restauration d’Adieu Philippine, son premier long métrage tourné en 1961, sera finalisée à l’été 2018 et plusieurs courts métrages ont déjà été restaurés : Blue Jeans, Paparazzi, Le Parti des choses : Bardot et Godard. Les travaux de numérisation, d’étalonnage et de restauration image et son ont été réalisés au laboratoire Hiventy, en prévision d'une rétrospective à venir.

Lorsque la Cinémathèque a retrouvé les négatifs de Roméos et Jupettes, avec l’aide de la société de production Argos Film, le choix a été fait de tirer une copie 35 mm, en prévision d’une restauration numérique. En effet, faute de copie 35 mm d’époque, cette copie neuve sera un élément argentique indispensable pour respecter et renouer avec les couleurs du film lors de sa sortie (premier film en couleurs de Jacques Rozier). Pour cela, la Cinémathèque a proposé au chef opérateur du film Willy Kurant de valider l’étalonnage, mené par l’étalonneur, spécialisé dans le traitement argentique au laboratoire Hiventy, le génial et indispensable José Saraiva, maître dans l’art de retrouver les couleurs perdues. Notons que Hiventy est le dernier laboratoire commercial français à poursuivre le développement et le tirage traditionnel photochimiques. Ces tirages 35 mm, réalisés à partir du négatif original, reproduisent, sans intervention numérique, le grain original de la pellicule et offrent de fait ce grain de folie, instable, aléatoire et insaisissable qui fait encore le charme des projections photochimiques.

Ainsi, le talent combiné des deux hommes, chef opérateur et étalonneur, permet aujourd’hui de découvrir une copie aux couleurs vives et resplendissantes, tirée sur pellicule Kodak, certainement très proche des copies d’époque. Les bandes d’étalonnage RVB, fabriquées pour tirer les copies en 1966, étant obsolètes, il a fallu cette fois-ci modifier l’étalonnage en se référant aux encoches présentes à chaque changement de plan. Le rythme particulièrement cut et rapide du film, les couleurs acidulées et capricieuses n’ont pas facilité de travail de José Saraiva.

L’une des curiosités du film réside justement dans l’utilisation abusive des couleurs. Celles-ci rythment le film et offrent une palette insolite : une légèreté pop et un engagement artistique correspondant à une période d’inventivité formelle. Le cinéaste raconte ces mêmes histoires de rencontres amoureuses, si drôles et si tristes, qui font la trame déjà d’Adieu Philippine et de Blue Jeans. Il pourrait se moquer de ses personnages naïfs mais on perçoit surtout la beauté, la tendresse et la fragilité d’un regard. Ainsi, il fait cohabiter le burlesque de Buster Keaton et la mélancolie colorée et lumineuse de Douglas Sirk et propose trois histoires racontées par trois filles qui s’interrogent sur leurs difficultés sentimentales. L’une dit : « J’aime un garçon mais il n’est pas sérieux, il sort également avec mon amie », l’autre dit : « L’ami de mon frère me poursuit de ses assiduités sans comprendre qu’il ne m’intéresse pas », la troisième enchaîne : « Dès que je sors avec un garçon, je rougis, que faire ? ». Jacques Rozier, se jouant des articles que l’on peut lire dans les revues féminines de l’époque, offre des réponses rocambolesques aux questions absurdes, usant de digressions décalées, prétextes à faire bouger sans cesse les corps de ses comédiens, à casser un rythme établi et à se confronter à son propre cinéma afin de le faire évoluer sans cesse. Les vraies questions que se pose Jacques Rozier sont des questions de forme, de couleurs et de rythme.


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.