Depuis 2013 environ, période où la plupart des salles se sont équipées entièrement en numérique (en supprimant l’équipement 35 mm - projecteur, enrouleuse, transformateur… et en divisant le nombre de projectionnistes), les projections de DCP se sont normalisées et généralisées, avec comme conséquence première, l’abandon extrêmement rapide des projections de copies 35 mm. Les distributeurs ont suivi le pas, contraints de proposer uniquement un catalogue de films numérisés. Plusieurs cinémas ont cependant résisté en conservant leur « équipement » et en exploitant des copies 35 mm de films non encore restaurés. On compte encore plus de 20 salles parisiennes équipées de projecteurs 35 mm (à titre d’exemple, le Reflet Médicis, le Louxor, les 3 Luxembourg, l’’Entrepôt, le Studio Galande, le Studio des Ursulines, le Studio 28, le Grand Action, le Cinéma des Cinéastes, le Champo, le Brady, l’Espace Saint-Michel, le Balzac, le Mk2 Quai de Seine, le Max Linder, le Majestic Bastille…) et plus de 30 salles en province (la salle Orson Welles à Amiens, le Némo à Angoulême, l’Utopia à Avignon, l’Espace Malraux à Chambéry avec sa programmation originale, l’Eldorado à Dijon, le Studio au Havre, le Diagonal à Montpellier, l’indispensable Studio à Tours…), sans compter les cinémathèques régionales.
Ce réseau souvent dynamique est de fait toujours actif pour proposer des projections argentiques, répondant à une demande croissante d’une partie du public et marquant ainsi sa différence.
Même lorsque le film a été restauré numériquement, il est rare que les distributeurs proposent des projections en 35 mm. Pourtant, comme le souligne le distributeur Vincent Paul-Boncour, qui encourage ces exploitants à montrer des copies 35 mm, « le dispositif de restauration, soutenu par le CNC, inclut également le report sur pellicule à partir du film restauré numériquement, pour préserver de façon pérenne la restauration. A partir de ce nouvel internégatif image et son, il est tout à fait possible de tirer de nouvelles copies argentiques de projection ».
La Cinémathèque française est depuis longtemps dans cette démarche et soutient ces propos. Avec ses partenaires, elle tire généralement des copies, à l’issue des restaurations numériques comme la trilogie Marcel Pagnol, Marius, Fanny, César, les deux films de Jean Renoir, La Chienne et Partie de campagne, Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier et dernièrement Le Salaire de la Peur d’Henri-Georges Clouzot (grâce à TF1 Studio, avec l’aide de Kodak). Cette démarche permet de conserver des supports argentiques dans nos collections et de répondre à d’éventuelles demandes de programmation d’autres cinémathèques, de festivals et de cinémas d’arts et essais, favorisant les projections traditionnelles comme le MOMA à NY par exemple. Il faut cependant reconnaître que, dans une démarche de préservation, la Cinémathèque protège ses copies dites de prestige et autorise avec parcimonie et vigilance leur diffusion. Par ailleurs, très attachée à la projection argentique, elle continue aussi de tirer des copies 35 mm, à partir des négatifs ou internégatifs originaux, comme Divertimento de Jacques Rivette, qui avait fait l’ouverture du cycle Jane Birkin l’année dernière.
Carlotta Films, incontournable distributeur de films de patrimoine, toujours à la recherche d’idées innovantes, se replonge paradoxalement dans le passé pas si lointain, pour offrir aux salles, et aux spectateurs, à la fois des supports numériques et des copies 35 mm, à partir de la même restauration. Pour lancer cette nouvelle offre, elle a choisi La Ronde, premier des quatre films français du cinéaste. Il réalisera ensuite Le Plaisir, Madame de… et son ultime chef d’œuvre Lola Montès (restauré par la Cinémathèque française et projeté lui aussi en 35 mm lors de cette rétrospective). La Ronde souligne l’élégance et la virtuosité du cinéma de Max Ophuls et de son chef opérateur Christian Matras. En adaptant une fois encore Arthur Schnitzler, le réalisateur, par sa mise en scène, soigneusement élaborée, offre à ses acteurs des rôles délectables : Anton Walbrook, Jean-Louis Barrault, Danielle Darrieux, Simone Signoret, Gérard Philipe, Serge Reggiani…
Les travaux de restauration de La Ronde ont été réalisés au laboratoire Hiventy, sur le site de Joinville le Pont, qui maintient, en plus de la chaîne numérique, une activité photochimique complète sur un lieu historique où la pellicule se développe depuis 1906. Le film a été scanné en 4K à partir des éléments nitrate, le négatif original et le marron. Les bobines étant particulièrement dégradées, les équipes image et son ont travaillé plus de 380 heures pour raccorder les différentes sources et éliminer les dégradations. L’étalonnage numérique a été réalisé par Jérôme Bigueur en se référant à une copie d’époque. L’étalonnage argentique de la nouvelle copie 35 mm se devait d’être conforme aux supports précédents. La supervision des travaux argentiques a été menée par le talentueux José Saravia, venu spécialement du Portugal pour affiner les contrastes et la densité du noir et blanc de notre patrimoine français.
Le monde de la musique a connu un retour du disque vinyle pour sa musicalité spécifique, la rareté de l’objet, l’importance de la pochette, le geste précis qui encourage une écoute attentive… Dans un même état d’esprit, il existe, depuis peu, un phénomène similaire avec la projection 35 mm. Un public de plus en plus large repère les projections traditionnelles, dans les festivals, dans les cinémathèques et maintenant dans les salles, soulignant son attachement au triacétate, au polyester et au nitrate de cellulose…