John Boorman, mode d'emploi

Hélène Lacolomberie - 30 mai 2017

En une vingtaine de films, John Boorman a exploré de nombreux genres cinématographiques, cherchant chaque fois à les renouveler, tout en abordant ses thèmes de prédilection. L’aventure, la quête, et une vision très personnelle de la nature sont au cœur de chacun de ses films, et son cinéma est en perpétuelle recherche d’innovation formelle. Voici quelques pistes pour aborder son œuvre.


John Boorman et Lee Marvin sur le tournage de Point Blank

La rareté : Catch Us If You Can

Un an après la sortie de Quatre garçons dans le vent, la comédie de Richard Lester mettant en scène les Beatles, John Boorman se voit confier la réalisation de Sauve qui peut – Catch Us If You Can en version britannique. Devant sa caméra, les Dave Clark Five, autre groupe pop en plein succès au Royaume-Uni.
Ni plagiat ni hommage, malgré le titre américain Having a Wild Weekend, qui évoque fatalement le Hard Day’s Night original de Lester. Mais une fiction loufoque, débridée, qui balance avec fantaisie entre le clip, le road-movie, et le documentaire.
C’est la première réalisation de John Boorman, qui rend une copie plus que satisfaisante.
Le montage nerveux et vivifiant alterne avec de longs plans dans la neige ou les rues de Londres… Entre une séquence de plongée sous-marine dans une piscine londonienne, comme une parenthèse apaisante, le bazar d’une fête costumée dans les thermes romains de Bath qui dégénère joyeusement, Boorman capte l’air du temps. L’insouciance de la jeunesse des sixties.
Et déjà, son film annonce les thèmes fétiches qu’il développera dans ses œuvres à venir, la quête d’un ailleurs, d’une autre vie, d’un retour à la simplicité loin d’un monde bruyant et superficiel.


Le chef d’œuvre formel : Point Blank

Dès son deuxième film, John Boorman fait preuve d’une maîtrise formelle impressionnante. Cadrages audacieux. Plongées et contre plongées qui se multiplient pour apporter une vraie force au propos. Et un montage millimétré, faussement chaotique comme la chronologie du film qui bouscule le spectateur.
Des images rudes, d’une beauté sordide, des lieux vides, déserts, inhabités, constituent les décors parfaits pour un drame intérieur. Boorman livre un film de somnambules, une réflexion sur l’instrumentalisation, sur la solitude, sur la folie… Il pousse parfois sa réalisation jusqu’à l’abstraction, en écho aux tourments de son héros. Remanie à la sauce L.A. 70’s la figure de l’ange exterminateur. Tout commence à Alcatraz. Tout finit à Alacatraz. Et Lee Marvin est lui-même un roc taciturne, dont l’idée de vengeance vire à l’obsession. L’Organisation qu’il traque, qui l’a perdu, c’est l’Amérique elle-même, et le britannique Boorman triture cette image d’un pays corrompu, pourri de l’intérieur.
En contrepoint, le personnage d’Angie Dickinson et sa chaleur, et un travail sur les couleurs savamment pensé par le réalisateur : « Chaque séquence était d’une certaine teinte, et l’on traversait tout le spectre du début à la fin, passant des plus froides aux plus chaudes. »
N’oublions pas les touches d’humour, comme la scène des robots ménagers, respirations nécessaires au milieu de la violence et de la tension constantes.
Point Blank vaudra à John Boorman l’adhésion du public, de la critique, mais surtout la confiance et le soutien indéfectible de Lee Marvin.


Le minimaliste : Duel dans le Pacifique

Duel dans le Pacifique s’étire en une tension permanente. Deux acteurs, seuls, très peu de dialogues, beaucoup d’improvisation et une totale liberté pour les comédiens : John Boorman choisit le dépouillement et la simplicité pour cadrer son huis-clos. Côté technique, il s’appuie sur une photo magnifique signée Conrad Hall, joue avec le contre-jour de la jungle et la lumière crue du soleil, utilise la profondeur de champ pour gommer ou marquer les distances, physiques et culturelles, entre les deux hommes.
Plus qu’un duel, John Boorman filme une confrontation, entre un marin japonais et un pilote américain que la guerre a façonnés en ennemis, que les circonstances ont transformés en naufragés sur une même île déserte. Lee Marvin et Toshiro Mifune ayant été engagés pendant la Seconde guerre mondiale pour leurs pays respectifs, la métonymie n’en est que plus forte. Ces deux hommes que tout oppose sont les symboles des combats passés, mais aussi en cours, si l’on en croit les critiques qui virent à l’époque une métaphore de l’enlisement des GI’s au Vietnam.
Mais Duel dans le Pacifique est surtout une confrontation entre l’homme et la Nature, entre l’Homme et sa nature. Chacun son tour est Robinson ou Vendredi, bourreau de l’un, (bon) sauvage de l’autre. C’est un duel, mais psychologique. Malgré les occasions, ils ne s’entretuent pas. De la réserve d’eau potable à la pluie et bien sûr l’océan, l’eau joue les arbitres. La sauvagerie a une limite, celle de la vie d’autrui, et de la survie. La Nature tranquillement hostile se charge de remettre les deux hommes sur un pied d’égalité, et Jean-Jacques Rousseau n’est pas loin. Pas de doutes, c’est un film de John Boorman.


Le film de l’enfance : Hope and Glory

Ah Dieu ! que la guerre est jolie… vue à travers les yeux d’un enfant. Londres en 1940, le Blitz, et Billy, 9 ans. Le chaos, le père au front, les bombes qui pleuvent, aléatoires, sur le voisinage, partout des ruines. Mais par-dessus tout, l’insouciance et une liberté inédite.
John Boorman se repasse et projette le film de son enfance dans cette fiction semi-biographique, entre nostalgie et lucidité, entre horreur et légèreté. Comme dans ces scènes où des enfants s’égaient, se réinventent dans les ruines encore fumantes, jouent à les démolir encore davantage. La grande sœur flirte et devient une femme, on joue Chopin au milieu d’un salon détruit, la vie est là, plus rapide, plus intense au milieu de la mort omniprésente. Les adultes se laissent aller à la mélancolie, égrènent leur passé, le grand-père porte un toast à ses anciennes conquêtes. Les enfants, eux, grandissent en accéléré et entrevoient leur avenir. La guerre agit comme un révélateur. Hasard et prémonition, le jeune Billy, intrigué, croisera même la route d’une équipe de tournage…


Hélène Lacolomberie est rédactrice web à la Cinémathèque française.