10 grands films d'évasion

Hélène Lacolomberie - 4 avril 2017

Le Trou est le dernier film de Jacques Becker. Un chef-d'œuvre du genre. L'occasion parfaite pour établir un top 10 des meilleurs films dont l'argument est l'évasion. Contrainte : n'évoquer que l'univers carcéral, bagne, prison, cellule, pénitencier, ou camp de prisonniers de guerre. Tentative de liste idéale par l'équipe web de la Cinémathèque française, avec forcément des oublis et des choix qui feront débat...

10/ Je suis un évadé (Mervyn LeRoy, 1932)

Paul Muni est l'interprète parfait d'un Monsieur Tout-le-monde dont la seule faute, classique, est d'avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, et le seul tort, d'avoir l'ambition d'être un homme libre dans ses choix. Derrière la caméra, Mervyn LeRoy s'appuie sur une photo sensible, et ses plans s'imprègnent d'une modernité qui donne davantage d'épaisseur à son propos.

Si Je suis un évadé est bien sûr un film... d'évasion, il se double surtout d'un réquisitoire féroce contre un système pénitentiaire archaïque, et d'une charge en règle contre le fonctionnement des bagnes, décrits ici avec une précision quasi documentaire. Les repris de justice y survivent à peine, dans des conditions inhumaines. James Allen, c'est Candide doublé d'un Sisyphe en puissance, en bas d'une montagne imprenable, sa propre liberté. Mais il est condamné à subir. Après l'armée, l'enfermement dans une vie morne et étouffante, l'enfermement d'un mariage forcé, l'enfermement au bagne. L'empathie que suscite cette victime innocente est telle qu'elle fait espérer un antidote à cette fatalité. Mais il n'y a pas de rédemption possible. Injustice ou pas, on ne provoque pas les institutions sans représailles... Et la noirceur du film connaît son acmé dans un plan final mémorable.

Énorme succès public et critique, Je suis un évadé entraîna une prise de conscience à travers tout le pays, et incita les autorités de plusieurs États à retirer leurs chaînes aux bagnards.


9/ Cube (Vincenzo Natali, 1997)

Trichons un peu avec Cube, qui s'éloigne de l'univers carcéral proprement dit et s'apparente davantage au genre du survival. Mais il s'agit tout de même d'un huis-clos, dont l'enjeu est l'évasion. Peu importe le pourquoi, c'est le comment qui compte. Les six prisonniers d'un labyrinthe futuriste et dépouillé, et qui portent ironiquement le nom de pénitenciers célèbres, vont devoir unir leurs différences et leurs particularités respectives pour s'échapper. Sont-ils des rats de laboratoire ? Peut-être, mais ils se comportent davantage comme des loups, luttant pour le pouvoir autant que pour leur survie. Cube est aussi une réflexion sur l'enfermement, l'aliénation, l'instinct et la nature humaine. La force du film de Vincenzo Natali est de confiner visuellement le spectateur dans cet espace vertigineux, de le forcer à chercher une issue en même temps que les personnages. Sans jamais recevoir d'explication.


8/ Les Démons de la liberté (Jules Dassin, 1947)

Tant sur le plan formel que dans l'issue désespérée du récit, la noirceur est la dominante majeure des Démons de la liberté. D'emblée, Jules Dassin installe le drame : décors sombres, pluie battante, musique éloquente. La prison est hostile, le quotidien lugubre, l'échappatoire impossible si ce n'est les pieds devant. Le film s'ouvre d'ailleurs justement sur la sortie d'un corbillard. Les codes du genre sont là, l'appel, la pendule qui marque l'écoulement d'un temps ralenti, le réfectoire, la promiscuité, les combines et les matons. Mais Les Démons de la liberté adopte plusieurs chemins buissonniers. Au parloir ou dans les souvenirs des détenus, et c'est plutôt rare, les femmes sont montrées, et constituent même le principal motif d'évasion. Quant aux préparatifs, (#SPOILER) ils ne s'accompagnent pas cette fois d'un quelconque suspense. Les gardiens sont au courant de la tentative fomentée à la minute près, et se trouvent ainsi en mesure d'organiser un contre-feu fatal.

L'intérêt premier du film, c'est qu'il ne repose pas seulement sur le tandem Burt Lancaster / Jules Dassin, mais qu'il trouve sa force narrative dans le personnage du gardien-chef. Électron libre et élément perturbateur d'une histoire qu'il habite et sort de la banalité, tortionnaire vicieux, psychopathe, il est joué par Hume Cronyn avec une dose parfaite d'ambiguïté et de sadisme paternaliste. Et c'est d'autant plus délicieux que le même Hume Cronyn incarnera un détenu gay et pacifiste dans Le Reptile de Mankiewicz quelque vingt ans plus tard...


7/ Le Reptile (Joseph L. Mankiewicz, 1970)

Joseph L. Mankiewicz réalise Le Reptile en 1970, soit bien après les classiques de l'Ouest de Ford, Walsh, Hawks et consorts, et après les premiers spaghettis de Sergio Leone. Son ingéniosité consiste à dynamiter le genre du western de l'intérieur, en le jumelant au film de prison. L'alliage prend, pour un double hommage tout en finesse porté par Kirk Douglas et Henry Fonda.

Le Reptile est atypique, joue en permanence sur l'inversion des rôles et des situations. C'est un directeur de prison qui demande à un détenu de l'aider à s'enfuir. C'est un prisonnier qui avertit qu'il va s'évader. C'est l'ensemble des condamnés qui améliorent leur quotidien et dorent leur prison à l'or fin. Même si Mankiewicz n'évite pas les références incontournables – le réfectoire, le mitard, la scène de mutinerie organisée –, il remet son film par à-coups dans les ornières du western classique pour le faire dérailler de plus belle l'instant d'après. Sarcasme, cynisme et jubilation sont les trois notes faussement discordantes de ce film assaisonné d'un humour acide et d'une ironie mordante.


6/ La Grande Évasion (John Sturges, 1963)

Dans La Grande évasion, les détenus ne sont pas des bleus. Ce sont des militaires, officiers, gentlemen, Britanniques pour la plupart, traités avec tous les égards dus à leur rang. Mais ce sont surtout des experts multirécidivistes, parqués dans un camp allemand conçu spécialement pour eux, et qui ont fait de l'évasion leur sport favori. À tel point que les préparatifs prévalent de loin sur le résultat lui-même.

L'interprétation est confiée à des pointures, de Richard Attenborough à Steve McQueen, James Coburn et Charles Bronson. Le scénario est carré, la réalisation est efficace, à la manière des plans échafaudés minutieusement par ces officiers si bien rodés. De la taille des revers de leurs futurs costumes civils aux leçons pour peaufiner un accent allemand en cas de contrôle après l'évasion, rien n'est laissé au hasard, et l'ingéniosité le dispute à une organisation... militaire. Le camp de prisonniers se pare de tonalités joyeuses, et bien évidemment flegmatiques. Ici, on boit du thé, on joue aux échecs, on trinque à la fête nationale, mais on n'oublie pas de creuser, pour filer à l'anglaise. Quelques paradoxes émaillent même le film d'un certain humour : le spécialiste des tunnels se révèle claustrophobe, le faussaire perd la vue... John Sturges insuffle ainsi une forme de légèreté dans le drame, sa Grande évasion devient un western militaire, davantage qu'un témoignage historique. On relèvera bien plus tard, avec plaisir, quelques hommages appuyés, notamment dans le Chicken Run de Nick Park et Peter Lord.


5/ La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937)

Chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre, classique parmi les classiques, cité par tous les grands réalisateurs, à l'instar d'Orson Welles : « If I had to save only one film in the world, it would be Grand Illusion »... On a déjà tout dit et redit sur La Grande illusion. Le film s'inspire des récits d'évasion du Général Pinsard, pilote de chasse et ami du soldat Jean Renoir, qui se destine alors à une carrière militaire. Pinsard sauve la vie du réalisateur en 1915, et ses aventures vont logiquement nourrir le scénario co-écrit avec Charles Spaak. Voilà pour l'argument principal, auquel il faut ajouter la prouesse de parler de la guerre sans en filmer une seule scène.

Renoir filme l'affrontement au sommet de trois têtes d'affiche, Gabin, Stroheim et Fresnais, la confrontation de trois natures d'hommes, le frottement des classes sociales, figurées par deux officiers aristocrates et un lieutenant du peuple opportunément nommé Maréchal. Mais les différences se transforment en complicité et en alliances autour d'un même but : quitter à tout prix le château où sont logés ces prisonniers de guerre privilégiés. Même dorée, la prison reste la prison.

Renoir interroge les vérités sociales, repousse toutes les frontières et célèbre la fraternité. Et propose une conclusion qui se double d'une réflexion sur ce qu'est la vraie liberté. La Grande illusion est une œuvre résolument humaniste, qui subira d'ailleurs les foudres de la censure nazie avant d'être interdite par les autorités françaises sous l'Occupation, pour cause d'inclination outrageusement pacifiste. C'est une œuvre qui touche par sa franchise, son universalité. Plus de 80 ans après sa sortie, le film marque, séduit, subjugue encore. Et fait toujours école.


4/ New York 97 (John Carpenter, 1981)

Kurt Russell est Snake Plissken. Et c'est entre ses mains que le destin du président des USA repose désormais. Air Force One été détourné et a atterri dans une version futuriste et puissance 10 d'Alcatraz... Un pitch somme toute assez simple, qui pourrait se dérouler dans n'importe quel contexte.

Ce serait oublier que John Carpenter est aux manettes. New York 97 est avant tout un film d'action pure, SF et apocalyptique, aux accents fantastiques, qui joue sur l'utilisation du bon vieux ressort du mercenaire. Derrière les scènes d'évasion, de combats, de fuite, de combats encore, il y a des symboles qui tombent, des mythes qu'on égratigne avec un humour grinçant. C'est le WTC, l'Empire State Building ou Broadway, squattés et défigurés. C'est le Madison Square Garden, transformé en arène pour gladiateurs modernes. C'est Manhattan, l'intellectuelle, devenue une jungle urbaine, isolée, QHS fantomatique, glauque, qui abrite la lie de la population, criminels, marginaux, contestataires de tout poil. Carpenter filme les ombres, la nuit, la brume. Problème : on ne peut pas circonscrire le mal. Le sauveur est lui-même, au propre comme au figuré, une bombe à retardement.

L'évasion de New York 97 consiste en une mission imposée à Snake Plissken, condamné à entrer dans cette prison à ciel ouvert pour mieux s'en échapper. Mais ici, pas vraiment de suspense, on imagine bien que le héros va l'emporter. L'intérêt est ailleurs. Dans le plaisir enfantin, l'ironie qui se cache jusque dans les clichés appuyés, et dans un casting de cinéphile gourmand, qui compte Isaac Hayes, Ernest Borgnine et Lee Van Cleef. Ou dans les clins d'œil que fait Carpenter à ses pairs, qui nomme deux personnages Cronenberg et Romero, et utilise Jamie Lee Curtis, sa Laurie Strode d'Halloween, pour la voix off d'ouverture.


3/ L'Évadé d'Alcatraz (Don Siegel, 1979)

Prenons l'image d'un mécanisme d'horloge. Celui-ci sera parfaitement huilé, comme le tandem Siegel/Eastwood, qui se retrouve ici pour la cinquième fois. Le scénario est précis, le montage sec, et à la sobriété de la mise en scène de Siegel répond celle du jeu flegmatique d'Eastwood. Économie de dialogues, économie de mouvements. La clef du film est dans son rythme, qui ose la lenteur pour mieux figurer un temps qui s'étire sans fin annoncée. On est à Alcatraz, prison de haute sécurité, îlot rocheux réputé inviolable. Et pourtant. La patience, ou plutôt l'obstination, du détenu Eastwood vont servir un seul but : l'évasion. Tout le suspense reposera sur une montée en tension millimétrée, maîtrisée.

Siegel filme le quotidien d'une prison, la promenade, les repas, la violence et l'homosexualité, les astuces à la petite semaine, l'indispensable séjour au mitard. L'Évadé d'Alactraz est le récit d'une histoire vraie, survenue en 1962, et Siegel choisit de la tourner sur place, installant encore davantage son film sur une frontière mouvante entre fiction et documentaire. Et pour ne rien gâcher, on relèvera quelques œillades malicieuses vers le spectateur, dont la présence au générique de Patrick McGoohan, qui endosse le rôle du directeur de la prison après avoir incarné le Numéro 6 dans la série britannique culte Le Prisonnier...


2/ Un condamné à mort s'est échappé (Robert Bresson, 1956)

« Cette histoire est véritable. Je la donne comme elle est, sans ornements », annonce Robert Bresson sur le carton d'ouverture. Ici, aucun suspense puisque le titre du film en est le résumé sec et explicite. Alors comment raconter une évasion dont l'issue est déjà connue ?

Bresson opte pour un dépouillement qui frise l'austérité. Économie de décors, de dialogues, sobriété du jeu des acteurs. De la répétition, et de la lenteur, qui rendent encore plus tangible le temps qui passe. C'est sur le son que se construit le climax du film. Des pas, des portes, des grincements, les clefs d'un gardien cliquetant sur des barreaux, la cloche d'une église et les rafales de mitraillettes qui rythment les exécutions dans l'enceinte même de la prison, invisibles mais tellement proches. Le tout scandé par le Kyrie du Requiem de Mozart.

Ce qui intéresse Bresson, c'est de comprendre comment le détenu Fontaine, interprété par un François Leterrier alors inconnu, trouve l'énergie de l'espoir. Montrer comment chaque petite victoire, des menottes crochetées, une cuillère subtilisée, prend une importance folle dans ce quotidien qui ne prépare qu'à la mort. Chaque détail, chaque acte minutieux, renforcés par le didactisme d'une voix off qui double le sens des images, contribuent à cet éloge magnifique du courage, de la patience et de la volonté.


1/ Le Trou (Jacques Becker, 1960)

Roland. Manu. Jo. Monseigneur. Gaspard. Cinq détenus. Une cellule. Et le spectateur, comme un sixième homme.

La séquence d'ouverture est percutante. Jean Kéraudy, faux acteur et vrai prévenu, s'adresse directement à la caméra : « Bonjour. Mon ami Jacques Becker a retracé dans tous les détails une histoire vraie. La mienne. Ça s'est passé en 1947, à la prison de la Santé ». Le Trou n'est déjà plus un film de fiction, mais un documentaire moderne et fidèle. Le trou, nom familier qu'on donne à la prison. Mais aussi le trou qu'on creuse pour s'échapper... Jacques Becker fonctionne à l'efficace, au réel. Filme en très gros plans, convoque l'exigu. N'évite pas la lenteur mais la sculpte, car la clef, c'est la patience, c'est le temps. Symbolique d'un sablier bricolé pour remplacer une montre. Les hommes creusent, on les regarde, ils liment un barreau, on se crispe. Une ronde passe, on retient son souffle avec eux. Ils sont dans le noir ? Nous aussi. On les accompagne littéralement, dans l'attente, dans l'effort, dans la sueur, tellement, qu'on a envie de prendre une barre à mine pour aider. C'est un film physique, où le son du métal sur la roche rend la matière palpable. Le suspense est bien entendu permanent, mais l'enjeu est ailleurs, Becker filme surtout la promiscuité, l'amitié, la solidarité, la fraternité. Et leurs revers. Le dépouillement, la pureté de son style servent l'histoire de ces hommes, atteignent la poésie. Mais laissons plutôt parler Jean-Pierre Melville : « Combien faudrait-il de pages pour énumérer les merveilles de ce chef-d'œuvre, de ce film que je considère, et là je pèse mes mots, comme le plus grand film français de tous les temps ? »... CQFD.


 


Hélène Lacolomberie est rédactrice à la Cinémathèque française.