Marée nocturne

samedi 16 mars 2019, 21h30

Salle Henri Langlois

21h30

Joseph L. Anderson
États-Unis / 1967 / 82 min / DCP / VOSTF

Avec Larue Hall, Ted Heimerdinger, Marjorie Johnson.

Aîné d'une famille de fermiers, Carl éprouve une jalousie maladive envers sa demi-sœur Jessie, avec laquelle il couche dans un moment d'égarement. Il disparaît ensuite, et quand il revient quelques mois plus tard dans la maison familiale, il trouve Jessie enceinte.

Restauré avec le soutien de Nicolas Winding Refn et la Cinema Preservation Alliance. Le montage d'origine du film a pu être reconstruit avec l'aide Joseph L. Anderson et Franklin Miller. L'équipe a accédé à tous les éléments qui avaient été retranchés du négatif original 35 mm.


Pièce maîtresse du cinéma indépendant américain des années 1960, Spring Night, Summer Night n'en est pas moins une œuvre qui revient de loin, et même de très loin. Autoproduit et tourné en 1965 par un professeur de cinéma de l'Ohio aidé de certains de ses étudiants, le film est achevé en 1967 et projeté au festival de Pesaro. Il est également sélectionné au prestigieux New York Film Festival, mais en est exclu à la dernière minute pour laisser place à Faces de John Cassavetes. La carrière américaine de Spring Night... ne s'en remettra pas, et les auteurs seront ainsi réduits à le céder à un distributeur de cinéma d'exploitation qui fera ajouter des scènes sexy et sortira le résultat sous le titre racoleur de Miss Jessica is Pregnant. Un comble, puisque le film d'origine se distingue précisément par son traitement digne et sensible d'un sujet délicat : un cas d'inceste dans un milieu de fermiers pauvres du massif des Appalaches. Dépeints sans le moindre misérabilisme, les personnages sont pris dans des dilemmes moraux inextricables en raison de secrets de famille s'étalant sur plusieurs générations. Considéré comme un rare exemple de transplantation du cinéma néoréaliste italien aux États-Unis, le montage initial a heureusement été reconstitué et restauré sous la houlette de Nicolas Winding Refn. Dernière ironie du sort, cette version originelle, invisible depuis un demi-siècle, a été présentée cette année... au New York Film Festival.

Gilles Esposito


Curtis Harrington
États-Unis / 1961 / 84 min / DCP / VOSTF

Avec Dennis Hopper, Linda Lawson, Gavin Muir.

Un marin en permission s'éprend d'une énigmatique jeune femme qui gagne sa vie en personnifiant une sirène dans une attraction foraine.

Restauré en 4K au laboratoire Hiventy à Paris à partir d'un négatif très dégradé. Hiventy a consacré des mois à un traitement chimique, qui a permis un assouplissement progressif de la pellicule, jusqu'à ce qu'elle puisse être soumise à un scanner spécial. Il a ensuite fallu procéder à de nombreuses heures de redimensionnement numérique afin de stabiliser l'image.


Marée nocturne constitue le sommet de l'œuvre de Curtis Harrington, à deux titres. C'est sans doute son meilleur film, et c'est aussi une parfaite synthèse des deux phases de sa carrière. Auparavant, le cinéaste avait signé de nombreux courts métrages d'avant-garde. Ensuite, il réalisera des séries B de science-fiction pour Roger Corman (qui avait permis la distribution de Marée nocturne, bloqué pendant deux ans à cause de factures de laboratoire impayées), puis d'autres films de cinéma ou de télévision où, avec de plus en plus de difficultés, il glissera ses obsessions. Mais c'est dans Marée nocturne que ces obsessions apparaissent à l'état pur. Certes, le thème est emprunté à La Féline de Jacques Tourneur : une jeune femme est persuadée d'appartenir à une race animale qui réclame son retour. Néanmoins, Harrington se l'approprie totalement pour verser dans un fantastique allusif se réclamant d'Edgar Poe – le film se clôt sur des vers du poème « Annabel Lee ». Pour cela, trois coups de génie : une conclusion qui, tout en faisant mine de dissiper le mystère, l'approfondit encore ; l'étonnante interprétation de Dennis Hopper en marin naïf et romantique ; enfin, l'incroyable décor d'un front de mer dédié aux attractions foraines. Nicolas Winding Refn déclarera s'être inspiré de cette façon de filmer Los Angeles pour son Neon Demon. Ami personnel d'Harrington à la fin de sa vie, le Danois a récemment racheté le négatif original de Marée nocturne, le sauvant ainsi de la disparition.

Gilles Esposito


Saul Resnick
États-Unis / 1966 / 69 min / DCP / VOSTF

Avec Ken McCormick, Toni Lee Oliver, Nick Nickerson.

Tout en regardant un spectacle de striptease, un homme solitaire se souvient de mésaventures étranges, arrivées à des gens du quartier ou à lui-même.

The Maidens of Fetish Street n'avait survécu que sous la forme de quelques bobines très usées de copies de distribution. Pour la première fois depuis les années 1980, une version numérique complète a pu être reconstruite grâce à une recherche de tout le matériel existant. Entre le début des années 1960 et l'avènement de la pornographie, des centaines de films dits de sexploitation sont distribués aux États-Unis, dans les cinémas malfamés de centre-ville (les fameux grindhouse theaters) et dans d'autres salles indépendantes, échappant au système d'autocensure des grands studios hollywoodiens. Tournées en dehors des circuits de production traditionnels, dotées de budgets misérables, ces œuvres visent avant tout à montrer des nudités féminines, au fil de récits souvent très bizarres à force d'être rudimentaires et incertains. Mais le genre charrie parfois de véritables diamants noirs, comme The Maidens of Fetish Street (également connu sous le titre The Girls on F— Street), dont le climat et les personnages pervers et déments débouchent sur une forme pratiquement avant-gardiste. Le film ayant été diffusé en France très tardivement, sous le titre Les Filles de rues, le critique Jean-Marie Sabatier écrira ainsi dans La Saison cinématographique 1974 : « Le sujet (les phantasmes érotiques d'un fou, la recherche éperdue de la beauté qui désespérément se dérobe, la répulsion et l'attrait du sordide) est surtout prétexte à des recherches picturales, très esthétisantes, qui ne sont pas sans rappeler certaines tentatives du cinéma "underground". » De fait, les forts contrastes de la photo, la fragmentation du montage et les bruitages (proches de la musique concrète) composent une sorte de descente aux enfers qui marquera le spectateur de manière indélébile.

Gilles Esposito


Joselito Rodríguez
Mexique-Cuba / 1952 / 73 min / DCP / VOSTF

Avec Santo El Enmascarado de Plata, Joaquín Cordero, Norma Suárez.

Le docteur Campos capture l'agent secret « L'Homme masqué » et annihile sa volonté, comme il l'a déjà fait avec des scientifiques pour les forcer à travailler sur un rayon désintégrateur de cellules.

Restauré en 4K par la Permanencia Voluntaria, petite archive soutenue par NWR et l'Academy Film Archive à partir des négatifs 35 mm originaux. Étalonnage par Ross Lipman et la Cinema Preservation Alliance. Il s'agit de la première restauration en 4K d'un film de genre mexicain.


Santo contra cerebro del mal est le tout premier film du catcheur mexicain Santo, qui représente un cas unique de personnage se confondant totalement avec son interprète. Le même acteur-cascadeur, Rodolfo Guzmán Huerta, se cache en effet sous le masque du héros dans la cinquantaine de longs métrages tournés jusqu'en 1982. Quand il débute au cinéma, Guzmán est depuis longtemps une superstar du ring, où il apparaît avec une cagoule argentée, d'où son surnom d'« El Santo, el enmascarado de plata » : « Le Saint, l'Homme masqué d'argent ». Ce personnage est si populaire qu'un autre catcheur devenu acteur et scénariste, Fernando « El Incognito » Osés, invite Guzmán à participer à deux films, Santo contra cerebro del mal et Santo contra hombres infernales. Il s'agit de coproductions avec Cuba entièrement tournées sur l'île, et la légende raconte que les prises de vues sont bouclées seulement un jour avant l'entrée des troupes de Fidel Castro dans La Havane, le 8 janvier 1959 ! Le diptyque n'est distribué au Mexique qu'en 1961 mais récolte un succès inattendu. Le public populaire plébiscite le lutteur musculeux, même si le dialogue ne le désigne encore que comme « L'Homme masqué ». En particulier, Santo contra cerebro del mal (« Santo contre le cerveau du mal »), qui met en scène un savant fou et mégalomane, inaugure une veine fantastique promise à un bel avenir. C'est ainsi que Santo, devenu héros à part entière des films suivants, affrontera inlassablement momies aztèques, martiens et autres femmes-vampires.

Gilles Esposito