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« Le cinéma arrive à un tournant de la pensée humaine, à ce moment précis où le langage usé perd son pouvoir de symbole, où l’esprit est las du jeu des représentations. La pensée claire ne nous suffit pas. Elle situe un monde usé jusqu’à l’écœurement. (…) Et l’époque aujourd’hui est belle pour les sorciers et pour les saints, plus belle qu’elle n’a jamais été. Toute une substance insensible prend corps, cherche à atteindre la lumière. Le cinéma nous rapproche de cette substance-là. Si le cinéma n’est pas fait pour traduire les rêves ou tout ce qui dans la vie éveillée s’apparente au domaine des rêves, le cinéma n’existe pas (…) Le cinéma se rapproche de plus en plus du fantastique, ce fantastique dont on s’aperçoit toujours plus qu’il est en réalité tout le réel, ou alors il ne vivra pas. » Sorcellerie et Cinéma, Antonin Artaud, 1927
Cri sur fond noir, caméra mobile sur un cimetière bleuté, une silhouette sombre en contre-jour, c’est un prêtre, à Dunwich, puis les mains d’une assemblée spirite à New-York, « Oh oui je le sens, je le sens ça y est je le sens » commente la médium, quand à même sa rétine s’imprime : le prêtre, une corde, accrochée à arbre… Pendu ! La corde grince sous le poids du corps qui swingue. Une ritournelle électronique flâne et descend vers un sol meuble recouvert de feuilles mortes, qui tremblent, bougent et se soulèvent enfin car les morts — ça y est — sortent de terre.
Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi, 1980), placé sous le signe de Lovecraft, est une ode obsédante au rémanent : déjections, zombies, malédictions sont autant de reflux corporels et temporels qui scandent une intrigue illogique et révulsive, sous la forme d’une transe lente et extatique portée par des dialogues raréfiés, une lancinante bande-son signée Fabio Frizzi et l’orchestration « bruitiste » d’un mixage chargé en plaintes et hurlements.
Fulci, auprès de ses compagnons d’armes Sergio Salvati (à l’image) et Gino Rossi (aux effets spéciaux) rythme ce parcours fantastique de visions hallucinées : chauve-souris et tempête de vers vivants rejouent pour Catriona MacColl les tourments endurés par Tippi Hedren pour Les Oiseaux. Deux hauts-faits du gore furent sévèrement censurés lors de la distribution française du film : trépanation effectuée par une chignole électrique (digne de Driller Killer, sorti en 1979) et jeune femme vomissant l’intégralité de ses entrailles (l’actrice ayant pour de bon ingurgité puis vomi les tripes d’un agneau fraîchement égorgé). De la pure voltige horrifique qui nous est restituée pour cette version en 35 mm intégrale.
Elodie Tamayo