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Réservé à un public averti.
Restauré en 2K au laboratoire Hiventy par La Cinémathèque française, Louis Skorecki et le G.R.E.C., à partir du négatif 16 mm et du son magnétique.
Le roman sadien a toujours été un obstacle quasiment infranchissable pour le cinéma. Comment transformer en image et en son ce qui, finalement, ne peut se concevoir qu’écrit ? L’œuvre du Divin Marquis ne touche-t-elle pas aux extrémités mêmes de la littérature ? Plutôt que les adaptations culturellement légitimes, c’est sans doute dans les séries B d’un Jess Franco ou dans l’allégorie politique de Pasolini, Salo, que l’on peut entrevoir un passage possible entre deux formes d’expression antagoniques. Mais c’est aussi, et davantage encore, dans Eugénie de Franval.
Tourné en 1974 par Louis Skorecki, le film est une adaptation réalisée avec la conscience d’une contradiction insoluble. Il restitue minutieusement le texte du roman dit en voix off sur des images en noir et blanc peuplées de silhouettes muettes, évoquant les personnages du récit et évoluant devant la caméra. Ce rapport minutieux au texte (rappelant en cela les recherches du couple de cinéastes Jean-Marie Straub et Danièle Huillet) trahit, certes, un désir de respect absolu de l’œuvre originaire saisie dans sa toute puissante singularité. C’est pourtant au moment où Skorecki lui-même, incarnant Valmont, effectue un geste produisant un véritable évènement dans le plan, perturbant le dispositif à la fois distancié et discursif d’une restitution du roman de Sade, que quelque chose du cinéma affirme son autonomie. L’essence du médium, toute entière définie par sa capacité à enregistrer et à figer un évènement unique, prend soudain le dessus. Cinéma et littérature sont, dans Eugénie de Franval, deux moyens d’expression portés jusqu’à un très haut degré d’incandescence.
Jean-François Rauger