Jean-Paul Rappeneau

Du 24 octobre au 3 novembre 2018

Souvenirs d'enfance

L'enfance et la guerre. Ces deux mots composent la matrice du cinéma de Jean-Paul Rappeneau, son cœur secret. Enfant, le futur cinéaste se passionne d'abord pour la lecture, bien avant que ne surgissent la Seconde Guerre mondiale et l'Occupation allemande. Pendant la guerre, la découverte du théâtre l'enthousiasme, mais ce n'est qu'à la Libération que le cinéma envahit littéralement sa vie : Robin des bois de Michael Curtiz, le premier film vu, La Ruée vers l'or de Chaplin, et Citizen Kane, choc absolu. « Il n'y a que cela, faut faire des films, je ferai des films », pense alors le jeune Auxerrois avec la ténacité qui le caractérise encore aujourd'hui.

Et c'est ce qu'il fera. Huit films à ce jour entre 1964 et 2014 qui font de lui le prince rêveur d'une comédie populaire, vive, élégante et mélancolique tout comme le héraut d'un certain film d'aventures historique qui n'a pas vraiment trouvé son égal dans le cinéma français de ces cinquante dernières années, hormis peut-être chez son cinéaste jumeau, Philippe de Broca – si tant est que le terme jumeau recouvre aussi bien ressemblances que différences !

La guerre avec les yeux d'un enfant

La guerre symbolise dans la vie de Jean-Paul Rappeneau une frontière. Avant, le cinéma n'existait pas, après, il le passionnera infiniment. Vécue de manière périphérique avec les yeux d'un enfant, devenu un préadolescent dont l'imaginaire a tant vagabondé depuis ses lectures d'aventures de jeunesse, la guerre se retrouve dès son premier long métrage, La Vie de château (1966), dans lequel Jérôme, grand enfant, fils de la châtelaine et compagnon d'une jeune femme conquérante, Marie, est spectateur d'abord de l'Occupation allemande de la France, comme du château où il vit, avant d'en devenir acteur en commettant un acte de résistance. Cette même évolution d'un personnage se retrouvera chez le jeune écrivain Frédéric de Bon voyage (2003), brinquebalé par les événements et devenant résistant après être passé par Londres. La guerre contre l'enfance. Les deux mondes s'opposent sans cesse dans les films de Jean-Paul Rappeneau. Les Allemands et les résistants bien sûr, dans une réminiscence cinématographique de la Seconde Guerre mondiale (La Vie de château, Bon voyage) et ses déclinaisons à d'autres époques historiques (ennemis des héros d'aventures historiques, Guiche et Valvert dans Cyrano de Bergerac ; les Républicains et les nobles dans Les Mariés de l'An II), le sérieux du monde des affaires dans les films contemporains : Martin fuit les contraintes de son existence pour vivre sur une île déserte dans Le Sauvage, Jérôme, tourné vers le souvenir de son enfance, est incapable de retourner au business londonien dans Belles familles, et Victor voit son projet utopique de casino mis en danger par Nash, l'homme d'affaires véreux de Tout feu, tout flamme.

Avoir vécu un conflit mondial sans avoir été en son centre a engendré aussi dans les films du cinéaste un hors-champ, un ailleurs rêvé ou a contrario un passé douloureux d'où reviennent plusieurs personnages, qu'il s'agisse de Victor (Yves Montand) dans Tout feu, tout flamme, Frédéric dans Bon voyage (dont l'histoire d'amour passée avec Viviane Denvert est évoquée), Jérôme dans Belles familles, et bien entendu Nicolas Philibert dans Les Mariés de l'An II, de retour des États-Unis. Les personnages masculins des films de Jean-Paul Rappeneau sont des revenants, des fantômes incarnés d'une autre époque, des rêveurs aussi. À commencer par Cyrano de Bergerac bien sûr, caché derrière Christian, écrivant dans l'ombre, comme chacun sait, ses missives d'amour à Roxane. Les personnages féminins sont à l'inverse, très souvent, si l'on excepte Viviane dans Bon voyage ou Charlotte dans Les Mariés de l'An II, des personnages plus terriens, plus ancrés dans le quotidien ou la réalité d'un amour, déterminés, avec des buts précis, qu'il s'agisse de Pauline de Theus dans Le Hussard sur le toit, de Roxane dans Cyrano, de Camille dans Bon voyage ou de Marie dans La Vie de château.

Enfants de cinéma

On repense alors au prologue des Mariés de l'An II, à ces deux enfants se courant après en se chamaillant dans la campagne enneigée. Cette séquence pourrait se retrouver dans chacun des films de Rappeneau comme l'anticipation enfantine d'une relation amoureuse ou d'une dispute entre un homme et une femme. Comme si le couple était une manière de rejouer la récréation de l'enfance là-aussi. Toute affaire sentimentale relève du jeu. Les films de Jean-Paul Rappeneau nous enseignent tout simplement la manière de renouer avec cette idée au moment de l'âge adulte. L'enfance passée s'incarne aussi le plus souvent dans un lieu cher aux personnages, qu'il s'agisse de la demeure fantasmée où la famille de Martin pourra se retrouver dans Tout feu, tout flamme, ou encore bien sûr la maison d'enfance où Jérôme et Louise ont vécu enfants à des époques différentes (Belles familles). Marqué durablement par les romans d'aventures de son enfance, les comédies et les films romanesques de son adolescence après-guerre, Rappeneau à son tour nous refait enfant de cinéma. Cavalcades à cheval, courses-poursuites en voiture, combats de cape et d'épée, reconstitution historique : la grammaire cinématographique des films du cinéaste consiste à nous faire retrouver le plaisir premier du cinéma. La vivacité se décline à toute étape de fabrication du film, dans la succession de rebondissements, l'énergie maîtrisée des acteurs au tournage, le découpage précis et bien sûr le montage ciselé. Tout fait mouvement. Quand la caméra s'arrête de bouger, ce sont les acteurs qui prennent le relais dans le ballet de leurs marches, leurs gestes, leurs paroles. Ils vont parfois tellement vite qu'il leur arrive de ne pas finir leur phrase.

Toutefois, l'équilibre entre le spectacle et l'intime reste l'essence du cinéma de Jean-Paul Rappeneau, qui ralentit parfois le rythme effréné pour mettre en valeur l'émotion simple du visage d'une actrice en gros plan (l'échappée belle en vélo de Deneuve dans La Vie de château) ou d'un aveu amoureux (Juliette Binoche dans Le Hussard sur le toit).

Spectateurs conquis, nous devenons tous alors cet enfant de Cyrano de Bergerac, se frayant un chemin dans la foule au début du film pour assister à un spectacle de lanterne magique, avant de rencontrer plus tard son héros, l'espace d'un instant.

Bernard Payen


Autour de l’événement

actualité

Ressorties en salles

Sortie au cinéma de Cyrano de Bergerac en version restaurée 4K le 26 octobre 2018 (Carlotta Films).

Rétrospective Jean-Paul Rappeneau au cinéma à partir du 7 novembre 2018 (Carlotta Films), avec La Vie de château, Le Sauvage, Tout feu tout flamme, Cyrano de Bergerac et Le Hussard sur le toit

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Coffret DVD et Blu-ray

6 films de Jean-Paul Rappeneau :
Cyrano de Bergerac – Le Hussard sur le toit – Tout feu tout flamme – Le Sauvage – Les Mariés de l'an deux – La Vie de château

Sortie le 3 octobre 2018 (PATHÉ)

Partenaires et remerciements

Marina Girard, ARP Selection, Carlotta Films, Gaumont, L’Atelier d’Images, Les Acacias.

Avec le soutien de

Fonds Culturel Franco Américain Francis Kurkdjian

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