Les films d'Ola Balogun conservés à la Cinémathèque française

Hervé Pichard - 27 janvier 2016

Des films rares du cinéaste nigérian Ola Balogun, né en 1945, ont été déposés en 2014 par l’épouse du cinéaste, Françoise Balogun. Une démarche qui mérite une attention toute particulière quand on connaît les difficultés croissantes pour préserver les films africains sur leur propre territoire. Il s’agira dans l’avenir de faire découvrir l’œuvre insolite de ce réalisateur attaché aux traditions orales.

Auteure d’un livre sur le cinéma nigérian, The Cinema in Nigeria, édité en 1987, productrice et scripte sur les films de son mari, Françoise Balogun comprend bien les préoccupations de la Cinémathèque française quand on évoque avec elle, au nom de l’intérêt porté au cinéma africain en général et à une œuvre en particulier, les difficultés de retrouver et de conserver ces copies devenues rares, souvent uniques et particulièrement fragiles. Une grande partie des films d’Ola Balogun est aujourd’hui invisible. Le cinéaste a pourtant marqué et influencé le cinéma africain à partir des années 1970.

Le premier film nigérian, Kongi’s Harvest, réalisé en 1970 par Ossie Davis, entièrement tourné et produit par une équipe locale, a encouragé de jeunes cinéastes à réaliser des œuvres personnelles et souvent engagées, éclairant une diversité culturelle et ethnique.

Ola Balogun termine ses études à l’IDHEC en 1968 et retourne au Nigéria en 1971. Il abandonne rapidement son poste de directeur du Centre de Recherches Audiovisuelles au Musée National de Lagos pour se consacrer au cinéma. Dès 1974, il crée sa société de production, Afrocult Foundation, et réalise ses premiers films. Considéré comme une figure intellectuelle, il deviendra aussi l’un des « enfants terribles » du cinéma africain.

Après avoir réalisé à Paris Alpha (1972), son premier long métrage, considéré comme une œuvre avant-gardiste, Ola Balogun tourne dans son pays en utilisant les langues locales, le ibo (parlé dans la région Est) ou le yoruba (parlé par des groupes ethniques à l’Ouest du pays). Il réalise Amadi (1975) en ibo, puis collabore à plusieurs productions avec des troupes de théâtre yoruba ambulant. Ajani Ogun (1974) est un des plus beaux exemples de son cinéma. L’histoire, sur fond de corruption et de mariage forcé, est traitée avec naturel et fantaisie, une façon d’aborder les sujets tabous et de contourner la censure. Ajani Ogun est ponctué de chansons rythmées, de complaintes chaleureuses et de danses traditionnelles, offrant une forme narrative nouvelle. Ses films en langue yoruba (Aiye, Ija Ominira, Orun Mooru Owo, L’Aagba) connaîtront un succès populaire au Nigéria et seront exportés dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Lors d’un entretien avec Olivier Barlet (Africultures, 1997), il évoquera cette expérience : « Dans Ajani Ogun, je cherchais à adopter le style du théâtre yoruba car ce théâtre avait un style et des techniques intéressantes pouvant donner un bon résultat au cinéma. Il utilise le folklore, puise dans le fonds culturel et la mythologie, les croyances religieuses et la magie, mêle la danse, le chant et l’expression corporelle, laisse la place à l’improvisation et est un théâtre ambulant allant à la rencontre du public à travers tout le pays yoruba. Il groupe des genres différents : comédie, domaine mystique et magique, domaine historique, drame. Il a des racines très profondes dans l’ancienne Afrique. On ne se contente pas d’y jouer une scène de magie sans avoir fait de réelles recherches auprès de sorciers pour avoir les vraies formules d’incantation ; la fidélité aux cérémonies rituelles, et donc au fond culturel et historique, y est soignée ».

Le réalisateur aime rappeler l’extraordinaire richesse culturelle africaine en insistant sur le rôle du cinéma pour la dynamiser. Il réalisera aussi des films hors des frontières nigérianes, Cry Freedom qu’il tourne au Ghana en 1980, mais aussi La Déesse noire, au Brésil en 1978. Celui-ci, qui avait été découvert en France au Festival des 3 continents, raconte l’histoire contemporaine d’un jeune Africain sur les traces de sa famille au Brésil, qui connaîtra une expérience mystique lui permettant de revivre la destinée de son aïeul pendant l’esclavage.

Dans les années 1980, Ola Balogun réalise des documentaires, dont River Niger, Black Mother (1989), qui offrent un portrait sensible de son pays, filmant monuments, villages, conteurs et musiciens. Face aux difficultés de produire et montrer des films de fiction, ces films documentaires seront tournés en 16 mm, puis en vidéo.

La Cinémathèque conserve aujourd’hui plusieurs films de fiction dont La Déesse noire, Ajani Ogun et Cry Freedom, ainsi que de nombreux films documentaires en 16 mm comme River Niger, Black Mother, Destination paix, Eastern Nigeria Revisited


Hervé Pichard est directeur des collections films à la Cinémathèque française.