Restauration de « La 317e section » de Pierre Schoendoerffer

Serge Toubiana - Béatrice Valbin-Constant - Camille Blot-Wellens - 2 novembre 2010

Le film de Pierre Schoendoerffer, tourné en 1965, a été restauré en 2010 par StudioCanal et la Cinémathèque française avec le soutien du Fonds Culturel Franco Américain – DGA MPAA SACEM WGAW. La restauration a été supervisée par Pierre Schoendoerffer et Raoul Coutard.

Le plus beau film de guerre du cinéma français

Ce film de Pierre Schoendoerffer, sans aucun doute le plus beau film de guerre du cinéma français, est une fiction documentée. L’histoire qu’il raconte est vraie, vécue dans le moindre détail. Tout y sonne juste, fruit d’une observation et d’une expérience sur le terrain même par ceux qui ont fait ce film : Pierre Schoendoerffer aidé de Raoul Coutard, son directeur de la photographie. Tous deux s’étaient connus pendant la guerre d’Indochine, l’un était correspondant de guerre, l’autre photographe aux armées. Ce film magnifique en noir et blanc, plus le gris des uniformes trempés et des feuillages touffus du Cambodge (là où il fût tourné), pudique et rigoureux, porte les traces de leur expé- rience militaire durant les affrontements de Mai 1954, c’est-à-dire les derniers jours de la chute de Diên Biên Phu, décisive défaite militaire française.

C’est donc l’histoire d’une section militaire dirigée par le jeune Lieutenant Torrens (Jacques Perrin), secondé par l’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer), un ancien de la Wehrmacht. Le film raconte leur aventure, la traversée des lignes ennemies, les affrontements, les embuscades, les intempéries, l’eau, la boue et la dysenterie, la traversée des rizières et des rivières, les blessés et les morts. La beauté tient au cadrage, au sens inouï du plan rapproché, qui permet de voir le moindre feuillage, le moindre brin d’herbe comme si on y était, et de suivre le déplacement hasardeux et chaotique de cette section militaire, dans une jungle qui se referme sur elle comme un piège.

Pierre Schoendoerffer pratique un cinéma vérité. Moins pour plaire, que pour laisser une trace dans la mémoire des événements. Il s’agit de coller aux hommes, de vivre à leur côté, de ne voir que ce qu’ils voient, de ne pas voir ce qu’ils ne peuvent percevoir. Le film est enfermé dans leur monde, il les accompagne, sans jamais les précéder, fait bivouac avec eux. Il n’y a que la belle musique de Pierre Jansen, moderne et liturgique, qui s’élève au-dessus de ces hommes et qui annonce leur funeste destin.

Tourné en 1964, La 317ème Section tient à la fois du cinéma de Jean Rouch et de la Nouvelle Vague qui déferla quelques années auparavant. Georges de Beauregard, qui produisit ce film, avait déjà produit Lola de Jacques Demy, À bout de souffle de Godard, Le Doulos de Melville, Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda et quelques films de Chabrol. D’où un air de famille. L’économie de moyens est ici de mise, elle confère au film sa rigueur esthétique aussi bien que morale.

« Alpha Kilo… », « Tango Tango… il nous faudrait un parachutage… le plus vite possible… » « Alpha Kilo, affirmatif ». Les codes militaires, la hiérarchie entre les hommes, le langage et la gestuelle sont reconstitués dans le mouvement même du film. Le danger, la précarité, le sentiment de la défaite, tout est dit et montré avec une précision inouïe. Surtout, Pierre Schoendoerffer filme cette guerre avec une sorte de code de l’honneur, qui fait dire par exemple à Bruno Cremer, lorsqu’il recueille Torrens blessé : « Qu’est-ce que ça veut dire dégueulasse ? C’est la guerre ! Ils savent la faire, les fumiers ! Chapeau ! » Ce mot « dégueulasse », n’était-il pas le dernier que prononçait Michel Poiccard, abattu rue Campagne-Première, dans un film célèbre produit par Georges de Beauregard ? Oui, la guerre est dégueulasse. Mais les hommes ici la regardent en face.

La Cinémathèque française et Studio Canal, avec l’aide du Fonds Culturel Franco-Américain, sont heureux d’avoir restauré ce film qui obtint en 1965 le prix du Scénario au Festival de Cannes. Quarante-cinq ans plus tard, il est à nouveau visible dans toute sa splendeur.

La restauration du film

Les équipements de tournage sont limités : deux caméras Cameflex, un magnétophone Nagra et un groupe électrogène pour recharger les batteries ; l’équipe technique est réduite, six techniciens dont Raoul Coutard pour la direction de la photographie. L’apport de Coutard à ce film est essentiel, selon les mots du réalisateur : « J’ai été aidé au-delà de toute mesure par le plus grand chef opérateur français, Raoul Coutard, qui a accepté de tourner dans des conditions terribles pour obtenir une photographie juste. »

C’est donc naturellement que les choix décisifs de la restauration de l’image ont été confiés au directeur de la photographie. À l’origine étaient un négatif usé, qui avait souffert du tirage de trop nombreuses copies, et un marron combiné, tiré relativement tôt à un moment où le négatif est encore intact, finalement choisi comme élément de départ pour le travail sur l’image. Raoul Coutard a ainsi étalonné l’élément numérisé en 2K (afin de limiter les pertes d’une duplication photochimique classique), ce qui nous permet d’obtenir un élément de tirage fidèle à l’image telle qu’elle était souhaitée à l’origine.

Quant au son, le réalisateur confiait alors à Télérama (18 avril 1965) : « Tout le film a dû être postsynchronisé. Mais j’ai passé le double de temps normal pour un film de ce genre, à enregistrer les acteurs et à monter les bruits que j’avais pris au Cambodge. Quand Bruno Cremer s’écrie à un moment : « Bande de c… », il faut que le spectateur reçoive cela comme un coup de poing. Les mots, les voix, cela aussi fait partie de la guerre. » Nous sommes donc repartis de bandes magnétiques originales, dont la restauration a été orientée par Pierre Schoendoerffer. La Cinémathèque française et StudioCanal ont confié les travaux photochimiques et numériques à L.T.C., le laboratoire d’origine.


Serge Toubiana est l’auteur de la biographie de François Truffaut (Gallimard, 1996 ; Folio, 2001, avec Antoine de Baecque) et de L’Amie américaine, consacré à Helen Scott (Stock, 2020). Directeur de la Cinémathèque française de 2003 à janvier 2016, il est président d’Unifrance.

Béatrice Valbin-Constant est directrice du pôle patrimoine d'Eclair Group.

Camille Blot-Wellens est chercheuse et restauratrice indépendante. Elle est membre de la commission technique de la FIAF, maître de conférences associée à l'Université Paris 8. Elle a été directrice des collections films de la Cinémathèque française de 2007 à 2011. Elle a récemment mené des recherches sur Eugène Pirou.