Revue de presse de « Autopsie d'un meurtre » (Otto Preminger, 1959)

Hélène Lacolomberie - 10 septembre 2012

Autopsie d'un meurtre (Otto Preminger, 1959)

Le film est tiré d’un best-seller américain « qui prend pour base une affaire criminelle authentique et qui à l’époque fit grand bruit aux Etats-Unis » rappelle Les Dernières Nouvelles d’Alsace. Combat n’y va pas par quatre chemins : « D’abord, c’est intelligent ; ensuite, c’est intelligent ; enfin, c’est intelligent ». C’est en tout cas un film solide, virtuose, jalonné de séquences mémorables et fort d’une technique parfaite qui a retenu l’attention des critiques majoritairement conquis.

Autopsie d’un meurtre est un film d’une forme quasi chirurgicale. D’ailleurs le terme de scalpel apparait à de nombreuses reprises. « Otto Preminger a passé au Pentothal la machine judiciaire de son pays » résume L’Aurore. Film de procès, thriller juridique… certes, mais Preminger s’est concentré avec délectation sur les faits et sur les personnalités selon un point de vue presque sociologique. « La vérité du spectacle juridique se complète d’une admirable vérité des personnages, applaudit L’Express, il n’en est pas un, même parmi les simples témoins, qui ne soit caractérisé avec la plus grande précision ». Ce qui intéresse Preminger n’est pas de trancher, il cherche avant tout à mettre en lumière « les rapports qui unissent entre eux les héros du drame » explique Les Dernières Nouvelles d’Alsace. Le résultat est presque parfait : instructif, divertissant, fort, passionnant, captivant, subtil, fin, brillant, les adjectifs pleuvent qui encensent de grands moments d’éloquence. Preminger a effectué un véritable travail d’orfèvre.

Car effectivement, les critiques n’ont rien à redire sur la mise en scène et sont unanimes devant cette leçon de cinéma. « Cette démonstration impeccable nous vaut un travail qui est, sur le plan technique, d’une extravagante virtuosité, s’enthousiasme Combat, pas un seul mouvement d’appareil n’est gratuit, tout est préparé, combiné puis exécuté avec une science inégalable ». Arts admire le découpage qui est « un modèle du genre, toujours exact, et qui taillade à vif ». Le générique de Saul Bass, la musique de Duke Ellington, tout contribue à installer l’atmosphère du film, et « la perfection de la mise en scène se fait oublier dans l’intérêt porté à l’histoire » apprécie Les Lettres Françaises. En effet, Preminger « n’a pas cherché à tricher avec son sujet » renchérit Le Monde, il a appliqué sa méthode habituelle, tourné en décors naturels et encore une fois mis sa caméra au service de l’intrigue.

Rien à redire non plus sur le casting. « Otto Preminger est toujours un admirable directeur d’acteurs » reconnaît Jean de Baroncelli. Libération rend hommage à Ben Gazzara qui « a su donner à son personnage le caractère de froide ruse qui lui convenait ». Mais c’est bien entendu James Stewart qui recueille tous les suffrages. Il montre ici toute l’étendue de son talent, couronné d’ailleurs par un prix d’interprétation à Venise. « Cet homme là ne joue pas, il vit. Quelques bêtes de cinéma ont ce privilège » déclare le journal Carrefour.

En revanche, quelques réserves émergent ça et là. Sur la durée excessive du film, beaucoup s’accordent à trouver les trois heures de projection un peu longues. Ce à quoi rétorque Luc Moullet dans Les Cahiers du Cinéma que « dire qu’Autopsie d’un meurtre est trop long est faire preuve d’imbécillité, parce que Preminger ne tourne pas un sujet, il tourne des plans ». Autre reproche : une forme de gratuité dans le propos du réalisateur. « Il a forcé sur le scabreux, sur le sexuel, sur le cochon, sur le louche, sur le douteux » proteste Carrefour. « On ne nous fait grâce d’aucun détail » renchérit Les Nouvelles Littéraires, et même si aucune image choquante n’est montrée, Le Parisien juge aussi que « cette histoire de linge sale qu’on lave devant nous n’est pas du meilleur goût ». Enfin, le côté clinique du film de procès heurte notamment Arts, qui s’exclame « Dieu, que c’est froid ! » devant cette Autopsie devenue une « leçon d’anatomie ». Pierre Macabru prend le contrepied dans Combat : « la force de ce film est justement dans sa froideur, sa grandeur dans le refus du sentiment ».

Autopsie d’un meurtre est malgré tout un joyau premingerien, truffé d’ironie, de réflexions incisives, « ici se révèle l’extraordinaire cynisme de Preminger » savoure Arts. « La férocité, ainsi coincée entre l’humour et l’impassibilité, est toujours stimulante » ajoute Combat. Son procès est « à la fois comique, prenant et vivant » (L’Aurore), et le savant dosage entre la verve et la dérision lui permet de montrer du doigt avec plus d’efficacité les rouages des institutions et leurs acteurs.

C’est donc l’un des films les plus âpres, les plus pessimistes, les plus amers de Preminger, mais aussi l’un des plus forts. « C’est du grand art, un certain aboutissement du cinéma américain de l’après-guerre » écrit Les Echos, et L’Aurore est catégorique : « si l’on y donnait que des films de cette force, les cinémas ne connaîtraient aucune crainte sur la prospérité durable d’Hollywood ».


Hélène Lacolomberie est rédactrice web à la Cinémathèque française.