Programme de recherche ANR Cinémarchives

Serge Pimenoff
Les techniques du décor de cinéma

Un roman imagé

Le Chanois et Pimenoff sur les traces d'Hugo

La méthode Hugo

Imprimer

Les romans de Victor Hugo, tout comme ses dessins, ne se réfèrent pas à un « réel » direct, mais aux diverses représentations qui s'offraient au regard de l'écrivain, notamment lorsque ce réel était lointain et donc insaisissable. Toutes les choses « dont tout le monde parle (….) que tout le monde visite (…) que tout regard effleure »tooltip, sont traduites par Hugo sous forme d'écritures donnant un « vaste miroir reflétant le genre humain », une lecture microscopique telle que la vue offerte par des appareils d'optiques. C'est ainsi que le microcosme du couvent des Misérables est présentée comme « un des appareils d'optique appliqués par l'homme sur l'infini ». La lucarne par laquelle le lecteur a accès au monde décrit par le roman de Victor Hugo est celle de ses représentations photographiques, picturales, architecturales, textuelles, caricaturales, médiatisées par le regard sélectif de l'écrivain et surtout par ses souvenirs personnels. Victor Hugo dont la minutie dans les détails historiques est notoire au point d'envoyer depuis l'exil des questionnaires à ses informateurs afin d'établir une topographie exacte de Paristooltip, ne sous-estime en effet pas pour autant la dimension affective que l'image possède. Il en mesure son impact en ces termes : « Comment une petite estampe encadrée de noir, accrochée au-dessous d'un lit d'un enfant, devient pour lui, quand il est homme, une grande et formidable vision »tooltip.

Les descriptions de la ville de Paris, au centre des Misérables, sont, de fait, nourries par les images enfouies dans la mémoire. Lorsque Victor Hugo entame la rédaction de la partie sur Paris en 1860, il est non seulement loin de la ville - déjà en exil depuis en 1851- mais la ville elle-même a subi un bouleversement entre 1850 et 1860 : les grands travaux de modernisation de la ville ont débuté en 1852 sous l'impulsion de Napoléon et sous le contrôle du baron Haussmann et son équipe. Or, le roman parcourt l'histoire parisienne dès 1815 à 1833, c'est-à-dire celle de Paris d'« autrefois ». Il ignorait le Paris nouveau et celui du passé ne pouvait que resurgir par ses souvenirs et au travers des images qui l'avaient fixé. Il l'explique par ces quelques lignes des Misérables : « Voilà bien des années déjà que l'auteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis qu'il l'a quitté, Paris s'est transformé. Une ville nouvelle a surgi qui lui est en quelque sorte inconnue (…) Il ignore le Paris nouveau, et il écrit le Paris ancien devant les yeux dans une illusion qui lui est précieuse » (tome 2, chapitre 5, p. 1).

Ainsi, l'écrivain puise dans ses souvenirs des Barricades de 1848 pour décrire celles de 1832 évoquées dans le roman ; ou encore il utilise la documentation fournie par le procès des vingt-deux accusés ayant combattu à la barricade de Saint-Merrietooltip. Il s'inspire du Couvent des Bénédictins du Saint-Sacrement pour décrire le couvent imaginaire du Petit-Picpus. Pour la topographie de ce dernier il utilise le livre de Hendi Sauval Histoire et recherche des Antiquités de la Ville de Paris (posthume en 1724), celui de Jacques Du Breul Les Antiquités de la ville de Paris (1640), Histoire de la ville et tout le diocèse de Paris de l'abbé Jean Lebeuf, comme le signale Victor Hugo lui-même (4, 12,2), les souvenirs personnels de sa maîtresse Juliette Drouet pensionnaire du couvent des Dames de Sainte-Madeleine entre 1816 et 1821. On pourrait en dire autant des gravures et estampes qui ravivent la mémoire de Paris dont l'exil avait estompé l'image. De même, son Gavroche fait écho au Titi le talocheur, série « Galerie physionomique », n° 26 de Joseph Traviès de Villers : « En franchissant ce seuil magique, il se transfigure ; il était le gamin, il devient le titi … Le titi est au gamin ce que la phalène est à la larve, le même être envolé et planant … (Les Misérables, 3,1, 3) la_methode_pimenoff#%@03#%@Charles Joseph Travies de Villiers (1804-1859). « Titi le talocheur, employé aux trongnons de pommes du théâtre des Funambules, galerie physionomique numéro 26 ». Lithographie coloriée et gommée.#%@Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet#%@399#%@680 Une exposition sur Les Misérables organisée entre 2008 et 2009 au Musée Carnavalet proposait une mise en parallèle entre tableaux, estampes, caricatures, ouvrages historiques et les descriptions de Paris dans le texte de Victor Hugo. En voici un exemple : le texte de Victor Hugo fait parfaitement écho à une lithographie de Fréderic Bouchot : « Les rats en effet, qui pullulaient par milliers dans la carcasse de l'éléphant et qui étaient ces taches noires vivantes dont nous avons parlé… »(Les Misérables, 4, 6, 2) la_methode_pimenoff#%@04#%@Frédéric Bouchot. « L'éléphant de la Bastille, tirée des embellissements de Paris (planche 6) ».#%@Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet#%@461#%@660

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

Le blog Cinémarchives