Programme de recherche ANR Cinémarchives

Serge Pimenoff
Les techniques du décor de cinéma

Photographie

Maquette

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Le film Mayerling d'Anatole Litvak, réalisé en 1936, marque la collaboration entre Serge Pimenoff et l'un des plus importants directeurs artistiques de l'histoire du cinéma : Andrej Andrejew. Aîné de Pimenoff (il est né en 1887) mais ayant suivi la même formation à l'École de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou, Andrejew a eu une influence certaine à la fois sur l'esthétique et la conception des décors de Pimenoff lui-même, mais également sur celles de bien d'autres artistes. Léon Barsacq écrit à ce propos : « La personnalité d'Andrejew est incontestablement très forte : c'est qui explique l'influence qu'il a eue sur certains décorateurs. En France, sur Serge Pimenoff, par exemple, mais surtout en Angleterre, sur Ferdinand Bellan, son ex-assistant, sur R. Furse, John Bryon ». Et il ajoute en parenthèse, comme une note pour piste à suivre : « (Notons que la même tendance au symbolisme, au grandiose, se retrouve dans certains films soviétiques, notamment dans Alexandre Nevsky et Ivan le Terrible d'Eisenstein) »tooltip.

La « touche » Andrejew est donc perceptible dans l'œuvre de nombreux décorateurs et dépasse les frontières des cinématographies nationales, car elle est le résultat d'une combinaison de diverses cultures et styles : elle s'inspire autant du réalisme psychologique du théâtre Constantin Stanislavski, que des éclairages violents déformant les espaces scéniques conçus par Max Reinhardt. Elle reprend des traits du réalisme expressif des xylographies, que Gustave Doré avait réalisées pour illustrer le Londres de Louis Enault (1876), ainsi que les espaces obscurs - juste éclairés de tâches de lumière - peuplés d'objets et figures formés par des lignes inattendues, créant la Stimmung si chère aux expressionnistes. Ce foisonnement est à l'image d'une filmographie éclectique produite par les studios allemands, français, anglais, italiens, tchèques et américains. Il est l'auteur de « décors d'atmosphère » très personnels. Pourtant, son style a su s'adapter aussi bien aux formes expressionnistes de Raskolnikov, (Robert Wiene, 1923), à ceux du réalisme poétique de Dans les rues (Victor Trivas, 1933), au réalisme noir du Corbeau d'Henri-Georges Clouzot (1943) ou aux décors somptueux de l'hollywoodien Alexandre Le Grand de Robert Rossen (1955). Serge Pimenoff, qui a collaboré avec Andrejew, pour les films Cœur de lilas d'Anatole Litvak (1931) et Les Yeux noirs de Victor Tourjansky (1935), suit ce chemin à l'apparence chaotique. Car si l'on s'en tient aux maquettes et à leur transposition à l'écran, et en dépit des contraintes liées à la production ou aux genres filmiques, on constate une continuité irréfutable.

Andrejew a donc été le décorateur de ce grand succès des années trente, Mayerling (Anatole Litvak, 1935), en compagnie de Serge Pimenoff, assistés de Robert Hubert ; du costumier Georges Annenkov ; au_coeur_des_documents#%@28#%@Maquette de costume constituée d'un dessin à la mine de graphite et gouache sur carton, pour le film Mayerling, d'Anatole Litvak (1935)#%@Georges Annenkov / DR#%@314#%@680 Charles Boyer et Danielle Danielle Darrieux tiennent les rôles principaux. au_coeur_des_documents#%@29#%@Photographie de tournage du film Mayerling, d'Anatole Litvak (1935)#%@Walter Limot#%@800#%@618 au_coeur_des_documents#%@30#%@Photographie de tournage du film Mayerling, d'Anatole Litvak (1935), avec Charles Boyer et Danielle Darrieux#%@Walter Limot#%@432#%@660 Cette maquette au_coeur_des_documents#%@26#%@Maquette de décor constituée d'un dessin au fusain sur calque, pour le film Mayerling, d'Anatole Litvak (1935)#%@Andre Andrejew / DR#%@800#%@642 dessinée par Andrejew pour le film est révélatrice, non seulement de son style, mais aussi de l'influence qu'il exerçait sur Serge Pimenoff. Traité par de grands aplats de fusain, l'espace de cette église - avec ses arcs brisés et ses vitraux de style gothique - est animé par les parties éclairées. Objets et figures sont juste esquissés. Seuls les éléments architecturaux sont mis en valeur. Le point de vue représenté n'est pas celui, habituel, qui consiste à se placer depuis le portail de l'église où les fidèles accèdent au lieu pour regarder la nef transversale - le transept -, dont l'espace est ici surdimensionné par rapport à celui de la nef centrale. Le volume de cet espace écrase la perspective du transept opposé, à peine ébauché, de manière à donner à l'église une forme de croix. Un autre élément accentue ce déséquilibre : l'escalier de descente dans le transept : impressionnant, et pourtant comme suspendu, car le balustre qui le délimite ne s'ouvre sur aucune porte. L'espace est donc à la fois restreint et grandiose. Le point de vue adopté ici est celui de la caméra encadrant les personnages assis. Or, ce type de cadrage - réalisé par une déformation de la perspective avec jeux d'ombre et lumière donnant à voir quelques motifs simples, choisis et démesurément grossis afin d'en accentuer la symbolique - constitue l'élément essentiel de l'esthétique des décors chez Andrejew. On observe ces mêmes principes, à peine modifiés d'un film à l'autre, dans les maquettes de Serge Pimenoff : une porte démesurée pour représenter le tribunal du film Le Secret de Madame Clapain (André Berthomieu, 1943) au_coeur_des_documents#%@27_01#%@Maquette de décor constituée d'un dessin au fusain sur calque, pour le film Le Secret de Madame Clapain, d'André Berthomieu (1943)#%@Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française#%@800#%@704; des jeux d'ombres et de lumières pour animer l'espace de Parade en sept nuits (Marc Allegret, 1941). au_coeur_des_documents#%@27_02#%@Maquette de décor constituée d'un dessin au pastel sur calque, pour le film Parade en sept nuits, de Marc Allégret (1940)#%@Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française#%@800#%@659

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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