Programme de recherche ANR Cinémarchives

Serge Pimenoff
Les techniques du décor de cinéma

L'œil de Victor Hugo

La méthode Hugo

Un roman imagé

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Avant même la publication complète des cinq parties qui composent Les Misérables, des illustrateurs s'inspirent de ses personnages pour proposer au public des portraits-type des parisiens qui connaîtront une large diffusion grâce notamment à la photogravure. Adèle Hugo écrit depuis Paris à son père en exil : « Le livre est dans toutes les mains ; les personnages devenus types sont déjà cités à toute occasion et à tout propos. Les images de ces personnages sont à toutes les vitrines des marchands d'estampe »tooltip. Par ailleurs, l'aspect visuel du roman a été déjà souligné dès sa publication par les premiers commentaires critiques.

Paradoxalement, cet élément est tantôt jugé comme l'une des grandes valeurs du livre, tantôt comme son défaut. Dès 1862 la Revue des deux mondes publie un très long article sur Les Misérables. Les parallélismes avec les images abondent, en en citant les descriptions de Victor Hugo on pouvait lire : « un paysage d'aspect misérable et lugubre qui est décrit en quelques traits où l'on reconnaît le maître dans l'art de peindre ». Ou encore, à propos d'un dialogue entre les deux jeunes étudiants Favorita et Blancheville et le geste de ce dernier : « Voilà bien une pose de vingtième année et que les jeunes lecteurs reconnaîtront. La pose est vraie, vivante, et pourrait se traduire aisément par le crayon. C'est un dessin tout trouvé pour Gavari, avec une légende toute faite »tooltip. Bien moins positive, la critique de L'Année littéraire et dramatique parue en 1863, écrit : « Quelques coups de pinceau, dignes de M. Victor Hugo, révèlent à peine un tableau esquissé vingt fois par des romanciers de second ordre »tooltip, et à propos de la bataille de Waterloo « dix-neuf chapitres nous arrêtent devant ce terrible spectacle : dix-neuf tableaux où les lieux, les hommes et les faits sont reproduits avec une puissance de fascination que les arts plastiques envieraient à la poésie. Jamais peut-être M. Victor Hugo ne s'est montré plus grand peintre.

L'historien et le philosophe auraient bien à faire leurs réserves sur certaines appréciations jetées au milieu de cette description épique »tooltip. On rapproche à Hugo « l'hardiesse, d'autres diront grossièreté »tooltip de « déposer du sublime dans l'histoire à coups de peinture » et d'oublier « de plus en plus l'action pour les peintures et les études de mœurs (…) Cette peinture est originale ; mais elle n'a aussi qu'un rapport éloigné avec l'action »tooltip. Ses confrères écrivains ne l'ont pas non plus épargné. Citons juste les frères Goncourt qui affirmaient que l'écriture du roman ayant la prétention de rivaliser avec la peinture, aboutit à une « poésie peinte, empâtée (…) à un lyrisme friperie »tooltip. Et plus tard, ils écrivaient : « Hugo a des idées sur tout », dit quelqu'un à notre table. « Des idées, non, des images "seulement" »tooltip, reprend l'autre. Enfin les critiques portent également sur la longueur du roman, mais aussi sur sa complaisance avec les révolutionnaires comme on pouvait le lire dans Le Monde du 17 août 1862 : « on ne peut lire sans dégout invincible, tous les détails que donne Victor Hugo de cette savante préparation des émeutes ».

crédits

Le programme de recherche ANR Cinémarchives regroupe la Cinémathèque française, l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, l'université Paris Diderot - Paris 7, le Centre national de la Recherche scientifique et l'université Paul Valéry - Montpellier 3, avec le co-financement de l'Agence nationale de Recherche.

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