Une image composée

Introduction

Les architectes de cinéma jouent un rôle central dans la création de l’effet d’image recherché par les cinéastes allemands de l’époque. Dans leurs écrits, ils insistent sur le fait que leur travail est en réalité plus proche de celui d’un peintre, car il ne s’agit pas de construire des bâtiments habitables, mais des espaces dramatiques évoquant une atmosphère spécifique.

Considérer l’architecte de cinéma comme un peintre n’implique cependant pas qu’il cherche à reproduire des tableaux célèbres(1)Dans le livre de Lotte Eisner, L’Ecran démoniaque, l’auteur démontre toutefois à plusieurs reprises comment des plans de films de Murnau, de Lang et d’autres s’inspirent de tableaux de Caspar David Friedrich ou d’Arnold Böcklin.. Les architectes-peintres pensent l’image de film en tant que composition à l’intérieur d’un cadre, sans toutefois oublier qu’elle est une image en mouvement, la représentation d’une situation dramatique. Comme le dit Walter Reimann, l’un des décorateurs du Caligari :

«On construit des Stimmungen [atmosphères], des expressions - dans une scène qui demande une route interminable et fatigante, le motif à construire n’est pas la route, mais son caractère interminable et fatigant(2)Walter Reimann, «Filmarchitektur - Filmarchitekt?!» Gebrauchsgraphik, n°6, 1924/1925.

Composition

Même si la peinture sert de référence aux architectes de cinéma allemands de cette époque, ils ne cherchent pas à l’imiter. Comme le précise Béla Balázs, un film n’est pas «une galerie de tableaux en mouvement». Dans un article paru en 1925, Walter Reimann souligne l’importance du jeu de l’acteur pour la conception des décors: «La loi compositionnelle d’une image de film est celle d’un tableau figuratif dont l’acteur est alors le point central : son jeu et ses mouvements à l’intérieur de l’image donnent des points de repère selon lesquels est construit le décor. La forme, les lignes et la surface de celui-ci sont déterminées par les courbes du mouvement et les pauses du jeu(3)Walter Reimann, «Filmarchitektur - Filmarchitekt?!», Gebrauchsgraphik, n°6, 1924/1925.

Même si la composition d’une image de film obéit aux mêmes lois qu’un tableau, le privilège, cependant, est à accorder au jeu de l’acteur qui en commande les lignes de force. L’important, sur ce plan également, est l’effet d’image globale.

Cadre

En construisant les images de film suivant les lois de composition d’un tableau, les architectes-peintres du cinéma allemand des années 1920 sont amenés à penser le cadre du plan comme une limite qui clôt l’image sur elle-même. Albin Grau, décorateur de Nosferatu , écrit dans un article :

«Une dernière chose encore : on se donne souvent beaucoup de mal pour faire croire que l’espace représenté se continue à gauche ou à droite aussi loin qu’on veut. Voilà qui gêne considérablement le pur effet d’image; l’espace scénique donne l’impression d’avoir été découpé par hasard. On pallierait cet inconvénient en supprimant le décor de pure illusion. L’architecte-peintre a la charge du cadre de l’action. Seul un tel cadre peut produire un effet d’image(4)Albin Grau, «Über das Wesen der künstlerischen Filmausstattung», Gebrauchsgraphik, n°6, 1924/1925.

Albin Grau se situe ainsi aux antipodes d’André Bazin (célèbre critique français), pour qui le cadre d’un plan devrait fonctionner plutôt comme un cache, masquant provisoirement le monde hors champ(5)Dans un article intitulé «Peinture et cinéma», André Bazin établit une distinction célèbre entre le cadre en peinture, qui fixe une limite absolue de l’image, et le cadre d’un plan de film, qui fonctionne plutôt comme un cache découpant un segment du réel dont les frontières peuvent changer avec tout mouvement de caméra..

Photogramme Der Müde Tod Photogramme Der Müde Tod
de Fritz Lang, 1921

Photographie de plateau: Le Cabinet du docteur Caligari Photographie de plateau :
Le Cabinet du docteur Caligari
de Robert Wiene, 1919

Dessin d’Ernst Stern pour Le Cabinet des figures Dessin d’Ernst Stern pour
Le Cabinet des figures
de cire de Paul Leni, 1924

Photogramme Der Müde Tod de Fritz Lang, 1921

Photogramme Der Müde Tod

Hermann Warm, décorateur sur le film, écrit à propos du décor d’ogive : «Je citerai ici le haut mur avec l’entrée en ogive qui s’ouvre (dans la vision), et l’escalier qui apparaît au-delà, semblant monter à l’infini, menant vers la lumière et abandonnant toutes les pesanteurs terrestres.»

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Photographie de plateau: Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, 1919

Photogramme de Metropolis

L’image est ici construite par rapport à l’acteur, les éléments du décor jouant sur la verticalité ou l’inclinaison du mouvement. Le décor renforce l’impression de silhouettes des personnages et se met au service du mouvement des acteurs.

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Dessin d’Ernst Stern pour Le Cabinet des figures de cire de Paul Leni, 1924

(fusain et aquarelle sur papier, 32 x 48 cm)

Dessin d’Ernst Stern pour Le Cabinet des figures

Comme le montre ce dessin, le cadre de l’image est construit à l’intérieur d’un espace clos: le décorateur limite le champ de la caméra à un mur flanqué d’un buisson, fermant l’espace à droite et à gauche. C’est l’architecte-décorateur qui détermine la position de la caméra, ainsi que l’illustre ce dessin atypique.

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