Paul Delvaux

L'Escalier

huile sur triplex, 1946, Museum voor Schone Kunsten, Gand

"Delvaux a fait de l'univers l'empire d'une femme, toujours la même qui règne sur les grands faubourgs du cœur." André Breton (1)

Le nu féminin est une figure centrale de l'œuvre de Paul Delvaux (1897-1994). Bien qu'il rejette les positions esthétiques et politiques du surréalisme, le peintre belge est apparenté à ce courant dès les années 1930. Réunissant certains traits originaux de son œuvre, tels que le décor architectural, le climat onirique, la femme nue au regard somnambule, L'Escalier (1946) diffuse "l'atmosphère poétique" recherchée par l'artiste (2).

Comme échappées d'un rêve, prises entre mouvement et immobilité, nudité érotique et absence mélancolique, les femmes peintes par Paul Delvaux se dédoublent pour mieux échapper au désir masculin. Ici, deux d'entre elles déambulent dans un palais vide, se croisent et se séparent, offrant de leur corps nu une image en miroir. L'une blonde, l'autre brune, l'une de face, l'autre de dos, elles représentent cependant une même femme sous un double aspect.

Caractéristique du maniérisme dont le peintre s'inspire, la ligne serpentine anime ici des femmes à la démarche aérienne et à la gestuelle raffinée. Empruntant les postures élégantes, la nudité assumée et la diversité de teinte des Trois Grâces, ces visions modernes se présentent comme de véritables fantasmes et se multiplient à l'envi.

Leurs silhouettes sensuelles, sculptées, reflétées ou projetées, occupent tous les plans d'un espace étrangement inquiétant, héritier des décors taciturnes et des architectures intemporelles de Chirico, dont l'œuvre a durablement marqué Delvaux.

Ainsi, la nudité voluptueuse, les courbes généreuses et la carnation vibrante de leurs corps offerts contrastent singulièrement avec la froideur des teintes et l'extrême rigidité d'une double perspective incohérente, au point de fuite incertain. Au cœur d'une cité de marbre dans laquelle le temps s'est arrêté, la dualité s'impose : cheminant entre intérieur et extérieur, entre ombre et lumière, les femmes de Delvaux se métamorphosent, tour à tour de chair ou de pierre, claires ou ténébreuses.

(1) André Breton, Le Surréalisme et la peinture (Paris, Gallimard, 1965), p. 81.

(2) Barbara Emerson, Delvaux (Paris, Albin Michel, 1985), p. 15.

Le Miroir
Paul Delvaux - Le Miroir - 1936
Les Trois Grâces
Hans von Aachen (Genre de) - Les Trois Grâces - s.d.
Piazza d'Italia
Giorgio de Chirico - Piazza d'Italia - 1913
Recto verso
Brune et blonde
Identités au miroir