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Peau d'Âne et le Merveilleux

Crédits

Web documentaire réalisé à l’occasion de l’exposition « Le Monde enchanté de Jacques Demy » conçue et présentée par la Cinémathèque française – Musée du cinéma, en partenariat avec Ciné-Tamaris, à Paris du 10 avril au 4 août 2013.


Direction éditoriale
Cécile Dubost
Coordination du projet et sélection iconographique
Bertrand Keraël
Textes
Gaël Lépingle
Voix française
Grégoire Leprince-Ringuet
(Enregistré au studio Scopitone, Paris)
Voix anglaise
David Gasman
Prises de vue, prise de son, montage et extraits
Cécile Dubost, Olivier Gonord, Bertrand Keraël, Frédéric Rousselot, Fred Savioz
Prises de vues de la « peau d’âne »
Stéphane Dabrowski
Traduction anglaise
John Tyler Tuttle
Gestion des droits
Catherine Hulin, Aurélia Thyreau
Conception et réalisation
WAMI Concept et La Blogothèque
Direction artistique et graphisme
Simon Dupont-Gellert et Clémence Brunet
La Cinémathèque remercie tout particulièrement
Rosalie Varda, Agnès Varda, Mathieu Demy, Fanny Lautissier (Ciné-Tamaris), Agostino Pace, Hector Pascual, Sylvie Richard et Bernadette Gazzola-Dirrix (INA), Nathalie Chevalier (Atelier MBV), Prunelle Blanc.
Ainsi que pour leur aimable concours
Béatrice Abonyi, Alban Agnoux, Nathalie Bourgeois, Charlyne Carrère, Xavier Jamet, Ghislaine Lassiaz, Matthieu Orléan, Sylvie Vallon, ainsi que l’ensemble des équipes de la Cinémathèque française qui ont participé à la réalisation de ce projet.
Peau d’Âne et le Merveilleux
Catherine Deneuve et J Demy : « Peau d’Âne », 2 janvier 1971
© INA
Dure réalité du Merveilleux
Film Peau d’Âne, 23 décembre 1970
© INA
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Tournage
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Extrait
© 2003 Succession Demy
Décors
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 (x3)
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 (x2)
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy, coll. Cinémathèque française
Dessin Jacques Demy
© 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Extrait
© 2003 Succession Demy
Costumes
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Maquettes de costume
© Agostino Pace, coll. Cinémathèque française
[+] Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Maquettes de costume
© Agostino Pace, coll. Cinémathèque française
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Ektas
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
[+] Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Ektas
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Création des masques : Hector Pascual
Robes
Note manuscrite de Jacques Demy : liste des costumes
© Ciné-Tamaris
[+] Agostino Pace – Rosalie Varda - Vidéo
Entretien mené par Gaël Lépingle
Réalisation Cécile Dubost, Olivier Gonord
© Cinémathèque française, 2013
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Maquettes de costume (mosaïque)
© Agostino Pace, coll. Cinémathèque française
[+] Catherine Deneuve - Audio
Entretien mené par Serge Toubiana
© Cinémathèque française, 2013
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Ektas
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
[+] Hector Pascual - Audio
Entretien mené par Gaël Lépingle et Bertrand Keraël
Réalisation Cécile Dubost, Bertrand Keraël, Frédéric Rousselot
© Cinémathèque française, 2013
[+] Photographies de la Peau d’âne
© Stéphane Dabrowski, Cinémathèque française
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Ekta
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
[+] Recréer les robes de Peau d’Âne - Vidéo
Agostino Pace – Rosalie Varda – Commentaires : Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition « Le Monde enchanté de Jacques Demy »,
Réalisation Olivier Gonord
© Cinémathèque française, 2013
« Recette pour un cake d’amour » (Demy, Legrand)
© Warner Chappell Music France
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Photogramme
© 2003 Succession Demy
Trucages
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Photogramme
© 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Extrait
© 2003 Succession Demy
[+] Cahier manuscrit de Jacques Demy : notes sur les trucages
© Ciné-Tamaris
Inspirations
Illustration de Gutave Fraipont pour Peau d’Âne
Les Contes de Perrault illustrés, Henri Laurens éditeur, 1942
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 (x 2)
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy, Cinémathèque française
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Ekta
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Tournage Peau d’Âne - commentaires : Agnès et Rosalie Varda - Super 8 couleur
© Ciné-Tamaris
Souvenirs de cinéma, souvenirs d’enfance
La Belle et la Bête, Jean Cocteau, 1945 (x 5)
GR Aldo © DR, coll. Cinémathèque française
[+] Pour le cinéma, 19 juillet 1970
© INA
Le Sang d’un poète, Jean Cocteau, 1930 – extrait
© Studio canal
Miroir, mon beau miroir…
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 (x 2)
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - extrait
© 2003 Succession Demy
La traversée
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - extrait
© 2003 Succession Demy
Le propre et le sale
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - extrait
© 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy, coll. Cinémathèque française Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - extrait
© 2003 Succession Demy
Enfant, où es-tu ?
[+] Le journal du cinéma, 27 décembre 1970
© INA
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy, coll. Cinémathèque française
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Notes préparatoires de Jacques Demy pour les chansons de Peau d’Âne
© Ciné-Tamaris
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - extrait
© 2003 Succession Demy

Jeune public
Il était une fois un conte
Peau d’Âne - Six plaques de verre de type Lapierre [sd]
Peau d’Âne - Douze plaques de verre de type Lapierre [sd]
Chercher l’erreur
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 (x4)
Michel Lavoix © 2003 Succession Demy
Le cinéma, c’est de la Magie
Jacquot de Nantes d’Agnès Varda, 1990 - Extrait
© 1990 Ciné Tamaris
Attaque nocturne, Jacques Demy, 1948 - Film
© Succession Demy
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970 - Extrait
© 2003 Succession Demy

Nous contacter

Ressources

Fiche biographique de Jacques Demy
Jacques Demy dans les collections de la Cinémathèque française
Jacques Demy à l’INA
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Le Monde enchanté de Jacques Demy
Matthieu Orléan, Alban Agnoux, Rosalie Varda-Demy
Skira-Flammarion, 2013
Jacques Demy
Olivier Père, Marie Colmant
La Martinière, 2010
Chansons et textes chantés
Jacques Demy
Léo Scheer, 2004
Cahier de notes sur…Peau d’Âne de Jacques Demy
Alain Philippon
Les Enfants de cinéma, 2001
Les Demoiselles de Rochefort
Michel Marie
Les Enfants de cinéma, [sd]
Le cinéma enchanté de Jacques Demy
Camille Taboulay
Cahiers du cinéma, 1996
Les Parapluies de Cherbourg, étude critique
Jean-Pierre Berthomé
Nathan, 1995
Jacques Demy et les racines du rêve
Jean-Pierre Berthomé
L’Atalante, 1996
Les Demoiselles de Rochefort (texte du film)
Jacques Demy
Solar, 1967
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Quand il entreprend la préparation de Peau d’Âne en 1969, à son retour des États-Unis, Jacques Demy rêve d’un film chatoyant et luxueux. Le Merveilleux, principe au cœur de sa vision du monde, va trouver dans ce film de magie un logique accomplissement, même si le cinéaste doit constater que « la magie se paie très cher ». Imaginant nombre de travellings et mouvements de grue, il veut donner à sa mise en scène une allure hollywoodienne, celle qu’il a justement refusée dans son film américain, Model Shop… Mais Mag Bodard, la productrice, ne peut réunir l’argent nécessaire, et il faut tout revoir à la baisse. C’est ce rêve contrarié et une simplification obligée qui va aider Demy à trouver l’équilibre miraculeux de Peau d’Âne, mélange inspiré de bricolage et de magie.

En pleine forêt, quelques objets inattendus tranchent avec le décor naturel et suffisent à créer un monde magique : un miroir, un téléphone… De même, les grands murs des salles de Chambord sont simplement habillés de lierre. L’ornementation reste circonscrite aux vitraux ou à des éléments de décors précis dans de vastes espaces intérieurs : lits, paravent, trônes, miroir...

Le lit de Peau d’Âne devait être une grosse fleur s’ouvrant et se refermant au moment du coucher. Mais au tournage, le mécanisme ne fonctionne pas. Jacques Demy raconte : « J’avais aperçu deux cerfs, en bas, dans l’entrée de Chambord, on les a fait monter et on a fait le lit avec ça en improvisant le reste. » Au final, les cerfs en toc, gardiens d’un lit planté au milieu de la chambre, riment avec le daim aperçu chez la fée et ajoutent au riche bestiaire du film. Déjà, dans ce croquis dessiné par Demy dans sa jeunesse, les bois des cerfs se confondent avec les arbres, mêlant l'animal et le végétal, comme une préfiguration du château de Peau d'Âne.

Au départ, Demy avait naturellement fait appel à son collaborateur, le décorateur Bernard Evein. Mais celui-ci renonce, faute de moyens. Il est remplacé par Jim Leon, rencontré à San Francisco et représentant d’un art qui fait se croiser pop art et conventions esthétiques du conte dans une débauche de couleurs et une profusion des matières. Le peintre anglais crée 28 maquettes de décors aujourd’hui disparues, le paravent (élément de la salle du roi), et l’affiche du film, témoins de ce courant psychédélique.

Caractéristique propre au Merveilleux, le film s’affranchit de toute référence historique précise, et comme la musique de Michel Legrand qui mêle clavecin et orgue électronique, les styles et les époques cohabitent : robes Louis XV de la princesse et costume Henri II du prince ; éléments classiques telle la collerette, et déshabillé vaporeux de star hollywoodienne, pour la fée des Lilas ; manches du roi exagérément bouffantes, dont la forme et le volume s’inspirent de compositions d’Eisenstein ou de Welles…

Diaporama des croquis d'Agostino Pace

Tout se distribue et se compose autour d’une idée forte : une famille royale en rouge et l’autre en bleu. Agostino Pace se souvient de cette division chromatique : « Nous sommes convenus que l’on peindrait tous les éléments, des visages aux meubles, en passant par les chevaux. »

Demy a fait appel à Pace, costumier de théâtre, qui dessine les tenues des personnages principaux, tandis que Gitt Magrini – costumière d’Antonioni et de Bertolucci – se charge de les concevoir et de les fabriquer en Italie.

Diaporama des costumes
du bal des chats et des oiseaux

Clou du spectacle, les robes de la princesse doivent défier l’imagination, puisque même la fée des Lilas ne pensait pas « que cela fût possible ». Pas moins de dix robes sont prévues, contre « seulement » quatre costumes différents pour le prince.

Les premiers dessins font ressortir des formes bouffantes et volumineuses, semblables au costume du roi : tel père, telle fille. Avec toute la surcharge décorative nécessaire : « On doit sentir les matières des tissus, écrit Demy dans ses notes préparatoires. Brocarts, paillettes, diamants, voiles, cristaux, perles, etc. Simples mais de couleurs vives, illustrations enfantines plus proches de Disney que du bon goût, ou plus Disney que [Gustave] Doré. »

Interview d'Agostino Pace :
Des croquis aux costumes

Et si c’est une vraie peau d’âne que la princesse en fuite porte sur ses épaules, la robe couleur du temps, elle, est une création de toute pièce, faite de la matière même des écrans de cinéma et devenant ainsi support idéal à toutes sortes de projections… Projection dans le film, la robe faisant voir le ciel et des nuages, « projections » du spectateur qui, lui aussi, ne croyait pas « que cela fût possible ».

Interview de Catherine Deneuve
La peau d'âne

D’un côté, les robes de la princesse qui sont pure création et fantaisie, de l’autre la fameuse et vraie peau d’âne mort dont se recouvre la princesse pour s’enfuir… Où l’on retrouve, comme en résumé, cette tension permanente entre magie et réalisme qui fonde le merveilleux du film. Pace avait d’abord proposé, raconte-t-il, « d’utiliser une fausse peau, mais Jacques voulait à tout prix une vraie, alors nous sommes allés à l’abattoir en chercher une. C’était d’une lourdeur incroyable. Et puis l’odeur était affreuse ! Il a donc fallu la nettoyer et la traiter. » Au final, la peau est devenue le symbole du film : c’est elle qui est choisie, plutôt que les robes, pour vêtir la princesse sur l’affiche du film dessinée par Jim Leon.

La peau d'âne 360°
Interview de Hector Pascual

Hector Pascual : Je me souviens du premier jour où je suis allé faire les essayages avec Catherine Deneuve. Il avait fallu retravailler la peau. Telle quelle, il y aurait eu des vers vivants. Parce que je vous ai dit, la peau était authentique. Il fallait que je la réadapte. Quand on enlève la peau d’un animal, elle reste « vivante », organique. Je me souviens de l’avoir doublée quatre ou cinq fois. Jacques Demy m’avait dit : « Ne dis rien à Catherine ! », sinon elle ne l’aurait jamais portée.

Gaël Lépingle : Les robes étaient très lourdes, la peau l’était-elle aussi ?

HP : Oui et non. J’ai inventé la façon qui a permis que la peau tienne facilement sur elle. Je devais mettre un matériau qui ressemble à de la chair, de la peau, mais fictif.

Bertrand Keraël : Donc, en quoi l’intérieur était-il fait ? Du tissu ?

HP : C’était du papier de nylon, plastique, que j’ai ensuite peint. Je m’étais documenté sur la façon dont la peau se desséchait.

GL : C’est un drôle de mélange entre fiction et authentique…

HP : Et c’est pour ça que c’est très poétique. Moi, je pense que les choses ne sont jamais mortes. Il faut toujours être dans une relation avec le vivant. Si le façonnage avait semblé mort, la vie n’aurait pas été transmise à l’écran.
J’estime que Catherine Deneuve a été très forte. Porter cette peau qui devait paraître sanguinolente…

Agostino Pace et Rosalie Varda :
la reconstruction des robes

Quelques trucages. Apparition : Peau d’Âne dans la chambre du prince. Disparition : la barque des amants qui glisse au fil de l’eau et s’évanouit. Transformation : une rose avec une bouche, et qui parle. Défilement de la pellicule en marche arrière : les bougies s’allument seules. Ralenti : il sert à passer d’un monde à l’autre, à créer un temps qui n’existe pas dans l’ordinaire. Entre autres charmes, la fée des Lilas démultiplie les plaisirs du trucage : contrariée par le jaune de sa robe, elle en change la couleur sur-le-champ (jeu de cache avec le tronc d’arbre) ; elle sort et entre comme elle veut, apparaît et disparaît subitement ou a recours à un effet de transparence (apparition subite ou progressive) ; elle maîtrise l’espace, mais aussi le temps – c’est l’anachronisme célèbre de son retour à la fin en hélicoptère…

À l’inverse d’un effet spécial, réalisé plus tard en laboratoire, le trucage selon Demy doit garder un côté artisanal ou « primitif », si possible réalisé au tournage. Parfois, c’est le langage cinématographique lui-même qui sert de trucage et redevient magique : le dédoublement de Peau d’Âne en princesse dans la cabane, par la seule grâce du champ contrechamp et du découpage ; le carrosse qui redevient « citrouille » en vertu d’un simple raccord d’un plan à l’autre.

La liste manuscrite des trucages donne une idée de leur importance, de leur variété... et de leur simplicité : « apparition-disparition, transformation, ralenti (combiné à une marche avant ou arrière), accéléré, baguette magique, personnage arrêté »... Demy, contemporain de la Nouvelle Vague et héritier du cinéma réaliste des frères Lumière, dit aussi ce que son art doit à Méliès, à ses fantasmagories et ses « transformations à vues ».

Le Merveilleux dans Peau d’Âne dépend de cet équilibre entre magie et réalisme en même temps qu’il se nourrit d’une histoire légendaire et de toute une iconographie qui l’a précédé : gravures anciennes, plaques de lanterne magique, cinéma muet…

Une légende et un imaginaire qui s’enracinent dans une tradition romantique du XIXe siècle français.

À cette tradition ancienne, vient s’agréger comme par magie, c’est-à-dire avec le plus grand naturel, l’influence contemporaine de la mode hippie – dont Demy a été témoin lors de son séjour à Los Angeles.

Contre-culture et psychédélisme irradient la séquence du rêve [où les amants veulent faire ce qui est interdit et fument la pipe en cachette, où d’étranges fleurs colorées poussent dans les champs, où des banquets à ciel ouvert font couler le vin]. Quant à la barbe fleurie du roi « rouge », elle évoque certes Charlemagne, mais peut-être plus encore en cette fin des années 1960 un flower power décidément hégémonique. Et comme pour authentifier ce lien, Jim Morrison en personne, le chanteur des Doors, vint sur le tournage à Chambord, un instant immortalisé par la caméra d’Agnès Varda.

Jacques Demy voit Les Visiteurs du soir (1942) à l’âge de onze ans : vision d’un Moyen Âge stylisé, perception d’un réalisme poétique transposé dans une France de troubadours et de créatures maléfiques…

Mais c’est surtout La Belle et la Bête de Jean Cocteau, que Demy et Pace revoient plusieurs fois pendant la préparation du film… : présence de Jean Marais, costume de la Bête, décors vivants, trucages, chemin mystérieux dans la forêt, formule magique, rôle des miroirs…

Jacques Demy a six ans lorsqu’il voit Blanche Neige et les Sept Nains. Il se souviendra du cercueil de verre, de la chanson, du gâteau, de la présence amicale des animaux de la forêt.

Pour Peau d’Âne, Demy repense aussi à Cendrillon, à sa marraine (une fée bonne conseillère), au joli pied glissé dans la pantoufle de verre… et à La Belle au Bois dormant.

Jacques Demy et Jean Marais :
hommage à Cocteau

Comme dans un miroir ou un reflet, l’autre est un double, une projection de soi : le prince s’est dédoublé pour entrer dans son rêve, tout comme Peau d’Âne pour faire son gâteau. Mais le miroir, le cinéma le sait depuis Cocteau, est aussi un passage secret vers un autre monde. Et ce passage engendre en chacun une véritable métamorphose. Alors seulement, le conte peut finir, ayant lui-même accompli son pouvoir de transformation que seule provoque sa lecture ou sa vision (sa « projection »). À la toute fin du film, la vilaine peau d’âne glisse au sol et révèle la robe couleur de soleil ; le prince saisit la main de sa princesse et la mène à son père et à sa mère, ou plutôt vers la caméra qui a pris la place des parents. Puis nous sommes sur la terrasse de Chambord : Demy raccorde dans le mouvement. Le jeune couple, à présent de dos, achève son avancée. Le prince et Peau d’Âne ont fini de passer de l’autre côté du miroir, ils ont achevé leur métamorphose. Comme Alice, les amants merveilleux savent désormais que les miroirs sont faits pour être traversés.

Le propre, le beau sont dans ce royaume la mesure de toute chose ; la laideur ou la saleté une véritable hantise. La proposition de la fée de couvrir sa filleule de la peau de l’âne devient une transgression : se revêtir d’une peau qui pue, s’enduire le visage de suie, vivre dans une ferme tenue par une mégère qui crache des crapauds… En toute logique, ce sont les blanchisseuses, incarnations du propre, qui commencent par se moquer de Peau d’Âne.

Grâce à sa baguette magique, Peau d’Âne fera de sa cabane un lieu transitoire, un lieu à elle et très singulier puisque le propre y côtoie indifféremment le sale : luxe et pauvreté, jarres en terre et fauteuil splendide. Le critique de cinéma Serge Daney a noté que la chanson du cake d’amour était comme la pliure du film : à mi-chemin du parcours de Peau d’Âne entre les deux châteaux, elle fait coexister à cet instant la princesse et la souillon.

Un âne défèque de l’or… L’âne banquier offre au roi le produit de ses entrailles, comme les petits enfants présentent aux parents leurs selles en cadeau. C’est une clé pour comprendre la loi qui régit le royaume : un lieu où la merde n’a pas droit de cité. Une robe couleur de temps est forcément couleur de beau temps, Peau d’Âne fait le ménage aussitôt entrée dans sa cabane et les filles du royaume sont prêtes à tout pour passer l’anneau : « il faut savoir souffrir pour être belle ». Le langage lui-même est contaminé par cet impératif du Beau : la fée se met sans le vouloir à parler en rimes (« une robe moins commune / une robe couleur de lune ») ou en alexandrins (« La vie n’est pas aussi aisée qu’on croit / qu’on soit petites gens ou bien fille de roi »).

Peau d’Âne est un conte pour enfants, mais il n’y a guère d’enfants dans le film, et guère plus dans les autres films de Jacques Demy. Si les petits sont aussi effacés, dans un univers pourtant dévolu au monde de l’enfance, c’est que les adultes ont pris leur place. Peau d’Âne change de robe dans sa cabane comme si elle jouait à la poupée, et fait son cake d’amour comme si elle jouait à la marchande. Le prince, lui, fait des caprices, il boude et son visage ne s’éclaire que lorsqu’il avoue son rêve secret : « Je voudrais que Peau d’Âne me fasse un gâteau. » La princesse et le prince encore davantage paraissent en constante représentation, comme s’ils jouaient pour leurs parents une sorte de spectacle de Noël, une comédie de l’innocence et une mélodie du bonheur.

Mais le bonheur n’est qu’un rêve, et l’enfance est souvent solitaire : « J’ai besoin de calme, je n’ai pas dit que j’avais besoin de compagnie », dit le prince. Et sa relation avec la princesse est moins amoureuse que fraternelle : où l’on retrouve le spectre de l’inceste. La sublimation des rapports sexuels, constante de l’œuvre de Demy, masque un tabou qui se paie au prix de la mélancolie. Demy éliminera ces paroles de chanson, trop explicites sans doute : « Nous ferons ce qui est interdit / Jusqu’à la fatigue, jusqu’à l’ennui ».

On peut être parent et enfant : Catherine Deneuve joue la reine et sa fille. Pas de descendance, mais une reproduction à l’identique ou un « auto-engendrement ». La seule (pro)création à l’œuvre dans Peau d’Âne, la seule transformation réussie, est la confection du gâteau. Car si la princesse doit se changer en souillon avant de retrouver ses atours royaux, qu’a-t-elle gagné dans cette épreuve ? Alors que tout conte ou récit merveilleux présente une transformation/émancipation de son personnage, le film de Demy reste ambigu, et la morale pas forcément sauve. La fée des Lilas a beau interdire l’inceste pour « des questions de culture et de législature », il reste un sourire ravi sur le visage de la princesse quand son père la retrouve enfin et lui assure que, désormais, « nous ne nous quitterons plus ».

Interview de Catherine Deneuve et Jacques Demy
sur le conte de Peau d'Âne

Quand la jeune fille des Parapluies de Cherbourg annonce à sa mère qu’elle est enceinte, celle-ci s’exclame : « Comment est-ce possible ? » L’acte d’amour pose problème. Les enfants semblent voir le jour dans les choux ou dans une coquille d’œuf, comme ce poussin qui naît miraculeusement pendant la confection du gâteau.

Si les ânes défèquent de l’or, comment s’y retrouver ? De l’âne à l’analité, la théorie freudienne qui veut que l'enfant se représente un nouveau-né « évacué comme un excrément » n’est pas loin. D’où l’importance de la nourriture dans Peau d’Âne : l’acte sexuel se déplace et trouve sa métaphore dans la nutrition. Le banquet ne fait guère envie au prince qui retrouvera son appétit en dévorant le gâteau de sa bien-aimée, au risque de s’étouffer. « Nous nous gaverons de pâtisseries », chantent-ils tous les deux – et, puisque c’est ici la même chose : « nous aurons bien sûr des tas d’enfants ».