Auguste Rodin

La Danaïde

bronze, 1885, Musée Rodin, Paris

En 1880, l'Etat français commande à Auguste Rodin (1840-1917) une porte monumentale pour le futur musée des Arts décoratifs. Bien qu'elle n'y fût pas intégrée, la Danaïde (1885) est l'une des 186 figures modelées en vue de l'élaboration de la Porte de l'Enfer. Le succès de l'œuvre a incité Rodin à en multiplier les exemplaires, en bronze, en marbre, et en différentes tailles.

Dans la mythologie, les Danaïdes dissimulent dans leurs cheveux l'épingle avec laquelle elles assassinent leur mari. Elles sont condamnées, aux Enfers, à remplir éternellement un tonneau percé. Dépeignant le désespoir de l'une d'elles, l'œuvre de Rodin met en scène ce motif aquatique, séducteur et mortifère. La Danaïde se situe dans une tradition iconographique de femmes nues à la chevelure ondulante, qui va d'Ève à Vénus, en passant par Marie-Madeleine. Cette parure voile et dévoile, à la fois écran et écrin, promettant la nudité tout en la dissimulant.

Le mouvement d'abandon du corps de la femme amène la toison à se défaire, dégageant la nuque, obscur objet du désir enfin révélé au regard. Offrant son dos nu au spectateur, la Danaïde invite à l'érotisme, comme jadis les belles Orientales du Bain turc d'Ingres (1862), ou plus tard le modèle du Tub d'Edgar Degas (1886).

"Ainsi est la Danaïde, qui se déverse à genoux dans sa chevelure liquide." Rainer Maria Rilke (1)

Figure aquatique, la Danaïde de Rodin est aussi séductrice que mélancolique. Elle ranime les images de Loreley et d'Ophélie, que peintres et poètes du XIXe siècle affectionnent. Sa coiffure, semblable aux ondulations de l'eau et aux arabesques lacrymales, est l'expression d'une féminité ambivalente. Beauté fatale vouée au supplice, elle vogue entre les eaux d'Éros et celles de Thanatos.

"Le visage se perd dans la pierre comme dans un grand sanglot, vers la main enchâssée dans l'éternité glacée du bloc." Rainer Maria Rilke (1)

La Danaïde émerge de la matière, qui se métamorphose sous le geste de l'artiste. Sa chevelure fait passer de la pierre rudement marquetée à la douceur des courbes de son corps.

(1) Rainer Maria Rilke, Rodin (Saint-Rémy-lès-Chevreuse : Autour de Rodin, 1999), p. 74.

Le Bain turc
Jean-Auguste-Dominique Ingres - Le Bain turc - 1862
Ophélie
Auguste Préault - Ophélie - 1876
Déambulation au musée Rodin
Chevelure mortifère
"Le seul morceau de toi que je pouvais regarder sans être vu..."