Dès 1953, Mimmo Rotella (1918-2006) pratique le "double décollage", qui consiste à détacher une affiche dans la rue, puis à la recoller sur une toile avant de la lacérer. Le peintre italien, qui rejoint officiellement le courant du "Nouveau Réalisme" en 1961, a souvent recours à l'imagerie cinématographique. Il partage avec Andy Warhol une véritable fascination pour Marilyn Monroe (1926-1962). Ces artistes des années 1960 retravaillent avec passion l'image démultipliée de celle qui incarne l'extrême modernité et la sensualité débordante d'un star system à son zénith. Pour La Storia del cinema, Rotella utilise une photographie de Philippe Halsman (1906-1979), issue d'une série pour le magazine Life. Comme à d'autres de ses modèles, le photographe demande à la star de sauter en l'air pour immortaliser ses traits.
À la surface de cette affiche griffée par endroits, laissant apparaître les couches successives qui la soutiennent, Marilyn se change en véritable icône. Elle emprunte tous les motifs de la Vierge au moment de l'Assomption : immortalisée en plein saut, figée entre ciel et terre, sa silhouette s'inscrit dans un ovale bleu, semblable aux écrins en forme d'amande qui entourent la Madone. Sa chevelure encadre son visage comme une auréole et la couronne d'or. Les déchirures épargnent cette image sacrée, révélant un environnement propice à son élévation : trois saints apparaissent à sa droite alors que le rouge, le bleu et l'or, couleurs traditionnelles de la Vierge, s'unissent et l'enveloppent pour son ultime envol.
Mais Marilyn emprunte ici les traits d'une autre figure divine, bien plus charnelle. Le sourire aux lèvres, le dos, les bras et les pieds nus, elle est vêtue d'une robe qui met en valeur la perfection de ses courbes et affiche une impudeur digne de Vénus. La brise qui déploie ses cheveux blonds est comme échappée de La Naissance de Vénus de Botticelli.
Les éraflures semblent alors tenter de dénuder ce corps tant désiré, tant exhibé et qui ne cesse de se dérober. À mi-chemin entre Marie et Vénus, la Marilyn de Rotella est une idole, toujours ranimée par le désir du spectateur.
