Edvard Munch

Vampyr

lithographie et gravure sur bois, c.1902, Haugesund Billedgalleri, Haugesund

"Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés"
Charles Baudelaire (1)

Primitivement intitulée Amour et douleur, cette œuvre du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944) fait partie de la Frise de la vie, une série d'œuvres articulée autour de l'amour, l'anxiété et la mort. L'artiste a multiplié les variations de Vampyr, ce qui rend la datation de cette lithographie incertaine. Il est probable qu'elle fut réalisée en 1902, avec une combinaison inédite de gravures sur pierre et sur bois.

Brunes, blondes ou rousses, les figures féminines de Munch hantent les rivages et les forêts comme autant d'apparitions mélancoliques. Dans Vampyr, une femme aux longs cheveux défaits enlace un homme blotti dans son giron. Leurs traits s'effacent dans cette étreinte fusionnelle où le baiser féminin se change en morsure vampirique. L'homme s'abandonne avec délice à la belle assoiffée qui s'abreuve à son cou comme à la source du désir.

"Elle pencha la tête vers lui et il sentit deux lèvres chaudes, brûlantes, se poser sur sa nuque. Un frisson le parcourut, un frisson de volupté. Et il la serra convulsivement contre lui." (2)

La chevelure rousse et liquide de la jeune femme cristallise l'ambivalence du vampire. Érotique et flamboyante, elle révèle ses reflets mortifères et devient parure qu'arborent les femmes fatales, de Méduse à Salomé. Si elle caresse le visage de son amant, elle se répand aussi comme une rivière de sang. Les corps pâles et exsangues sont alors inondés d'un rouge passionnel qui contraste fortement avec l'écrin bleu nuit de l'arrière-plan.

La tentatrice déploie ses cheveux comme des tentacules qui enserrent leur victime. En effet, les mèches serpentines, redoublées dans les volutes du fond abstrait, forment une alcôve autant qu'un inexorable piège.

(1) Charles Baudelaire, Les Métamorphoses du vampire in Les fleurs du mal (Paris, Gallimard, 1972), p. 197.

(2) Edvard Munch, cité par Reinhold Heller dans Munch (Paris, Flammarion, 1991), p. 106.

Judith avec la tête d'Holopherne
Lucas Cranach l'Ancien - Judith avec la tête d'Holopherne - 1530
Salomé paraphrase
Edvard Munch - Salomé paraphrase - 1894-1898
Chevelure mortifère
Chevelure liquide