Ressources documentaires : Biographie

Malgré les nombreuses études sur l'histoire du cinéma français des années 1930-1950, le nom de Serge Pimenoff était jusqu'à aujourd'hui quasiment absent des ouvrages et articles traitant de cette période. Rares sont donc les éléments qui ont permis de retracer sa carrière. Ce n'est, par exemple, qu'à travers plusieurs fonds d'archives de la Cinémathèque française (Abel Gance et Bailly, notamment), qu'il a été possible d'établir avec précision, ne serait-ce que la date et le lieu de naissance, ainsi que le début et la fin de son activité de décorateur pour le cinéma français. Photo 1

Né le 5 octobre à Yalta en Russie, Sergueï Pimenov (il adoptera plus tard le nom de Serge Pimenoff) sort diplômé en architecture de l'Ecole de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou. Il arrive en France autour des années vingt, tout comme quelques autres centaines de milliers d'émigrés russes. L'histoire n'a retenu de ce flux d'émigration que l'exil artistique et intellectuel de personnalités notables (Marc Chagall, Marina Tsvetaeva, Ivan Bounine, Dimitri Méréjkovski, Nina Berberova, Serge de Diaghilev, Natalia Gontcharova, Sonia Delaunay, Serge Poliakoff…), mais aussi d'un « sous-ensemble » formé de professionnels qui ont mis leur savoir-faire au service du cinéma et dont l'importance a été soulignée par les historiens du cinéma.

Les liens personnels et professionnels de Serge Pimenoff avec des artistes de ce sous-ensemble (Nicolas Wilcke, Paul Minine, Victor Tourjansky, Alexandre Volkoff, Pierre Schildknecht, etc.) à la tête duquel on trouvait la « colonie russe » de Montreuil, laissent penser qu'il a débuté sa carrière au sein de ce groupe, qui constituait, selon la formule de François Albera « à la fois un centre fixe, un pôle et un lieu de passage » pour tous les techniciens, les metteurs en scène et les producteurs russes. Cependant, les archives de sociétés de production telles qu'Albatros ou Ciné-France-Film, ne mentionnent pas Serge Pimenoff. Par ailleurs, les génériques de films négligent souvent la fonction d'assistant décorateur. En revanche, la suite de sa carrière de chef décorateur est corroborée par les archives Pimenoff (carnets et maquettes), dans des documents localisés dans d'autres fonds d'archives de la Cinémathèque française ou encore dans des biographies d'artistes russes.

Ainsi, d'après la biographie du peintre Georges Calistratovich Artemoff, avec qui il partagea plusieurs projets de décors et avec lequel il était lié d'une profonde amitié remontant à leur rencontre à l'Ecole de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou, ils auraient travaillé avec Victor Touriansky sur le tournage en Corse du film Les Ombres qui passent d'Alexandre Volkoff, en 1924. Photo 2 Serge Pimenoff n'est cependant pas crédité au générique du film. Après cette première expérience, une nouvelle occasion se présente avec un film dont l'envergure esthétique et technique nécessite la participation de dizaines de professionnels : Napoléon vu par Abel Gance (1927). Ce film, on ne l'a pas assez souligné, au-delà de sa valeur esthétique et historique incontestable, constitue un formidable brassage de rencontres où des artistes reconnus côtoieront débutants, stagiaires, assistants, ou chroniqueurs. Citons Henry Krauss, Mario Naplas, Victor Tourjansky, Jean Mitry, Jean Arroy, Alexandre Volkoff, Anatole Litvak, Jules Kruger, Nicolas Wilcke, Paul Minine, Marcel Eywinger, Roger Hubert, ou Michel Feldman. Les techniciens russes ont tout particulièrement leur place puisqu'en choisissant les studios de Billancourt, Abel Gance « avait hérité de la plupart de la “famille" russe ». Pour les décors, Serge Pimenoff travaille avec Alexandre Benois (décorateur des Ballets russes de Diaghilev, illustrateur et historien d'art), Alexandre Lochakoff, Georges Jacouty, Vladimir Meinhardt (tous formés à l'Albatros), et surtout avec Pierre Schildknecht, chef décorateur pour ce film d'Abel Gance - qu'il retrouvera dans L'Âge d'or de Luis Buñuel (1930) et Les Bateliers de la Volga de Wladimir Strijewsky (1935).

À côté de la décoration de films, tout comme ses compatriotes décorateurs - Lazare Meerson, Andrej Andrejew, entre autres - Serge Pimenoff, participera, avec ses amis Georges Artemoff, Sandro Minervine, Lydia Nicanorova et Semianovsky, à la création de fresques murales, notamment à celles pour des cafés-concerts parisiens, dont le célèbre Caveau Caucasien, à Montmartre. Photo 3

C'est dans les années trente que la carrière de décorateur de cinéma de Serge Pimenoff s'envole : il signe les décors de 34 films, parmi lesquels Les Yeux Noirs (1935) de Victor Tourjansky et Mayerling (1936) d'Anatole Litvak, en collaboration avec un autre célèbre décorateur, André Andrejew. Durant cette période où l'esthétique des studios est prépondérante, Serge Pimenoff met ses qualités d'architecte au service de la réalisation d'un décor qui se voulait à la fois réaliste et poétique. Il affirme à ce propos, dans l'ouvrage de Colin Crisp, The Classic French Cinema 1930-1960 : « Nous pourrions dire que le champ d'imagination pour un décorateur de film est assez limité. Dans un studio il est toujours question d'un décor réaliste, naturel ou se référant à la réalité. Il est tout à fait hors de question d'avoir une vision intellectuelle du décor comme cela est possible au théâtre ».

Pimenoff détourne les contraintes imposées par les espaces étroits proposés par les studios, à travers l'utilisation des trucages - notamment la maquette « plastique » construite en relief et filmée avec le procédé par caches mise au point par Nicolas Wilcke et Paul Minine en 1924 et en 1931 - et par des recherches iconographiques très fournies, afin de parvenir à une sélection minutieuse des éléments les plus symboliques pour reconstituer une époque, une idée, une atmosphère. Ce style marque le début de sa collaboration avec des cinéastes tels qu'Anatole Litvak, Victor Touriansky, Pierre Chenal, Julien Duvivier, Marcel L'Herbier, Jacques De Baroncelli, Auguste Genina et se poursuit dans les années 1940-1950 avec Jean Delannoy, Jean-Paul Le Chanois, Henri Decoin, Robert Hossein, Henri Calef et enfin avec Helmut Käutner pour Sans tambour ni trompette / Une fleur au fusil (Die gans von Sedan, 1959). Ce sera son dernier film. À sa mort, le 21 mai 1960 à Boulogne-Billancourt, sa filmographie compte quelques 71 titres et son expérience lui a permis de former d'autres décorateurs français, parmi lesquels Max Douy, François de Lamothe, ou Pierre Duquesne. Photo 4

La Cinémathèque française a acquis vingt carnets de Serge Pimenoff, constitués d'une prodigieuse documentation (photos, croquis, dessins, textes, notes...) couvrant une partie de son activité de décorateur. Un témoignage inestimable de ses méthodes de travail. Elle a également acquis 845 dessins constitués de croquis et de maquettes de décors, dont Serge Pimenoff est l'auteur.

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Photographie représentant Serge Pimenoff sur le port de Concarneau, le 5/12/1928.
Collection privée Georges Artemoff
Photographie représentant  Lydia et Georges Artemoff au premier plan et Lydia et Serge Pimenoff, au second plan, en Corse.
Collection privée Georges Artemoff
Photographie représentant - de gauche à droite - Sandro Minervine, Serge Pimenoff, Lydia Nicanorova et Georges Artemoff, devant leur réalisation de la fresque murale du « Caveau Caucasien », le café-concert de Pigalle, vers 1923.
Collection privée Georges Artemoff
Photographie représentant Serge Pimenoff.
Collection privée Georges Artemoff