La méthode Pimenoff : Un livre, un film

La presse de l'époque fait donc état d'un débat plus général sur la question de la représentation d'une ville symbolique imprégnée d'Histoire et d'événements présents. Un débat qui n'a pas été suscité par sa mise en scène à l'écran, puisque le récit écrit l'avait déjà initié. En effet, presque un siècle avant la sortie du film, on avait déjà reproché aux Misérables les mêmes défauts qu'à son adaptation à l'écran : la longueur, la présence encombrante des images, l'absence d'action et la complaisance avec les révolutionnaires. Au regard des similitudes entre la genèse du roman et celle du film, ces « défauts » prennent tout leur sens. Le regard pictural distancié sur Paris, entièrement assumé par l'écrivain d'abord, l'a aussi été par le décorateur et le cinéaste. Pour illustrer une époque, Victor Hugo avait nourri son écriture de toute l'imagerie dont il disposait. Le décorateur Serge Pimenoff a trouvé ses sources d'inspiration pour représenter le Paris perdu imagé par l'écrivain, dans ces mêmes images et dans les nouvelles, telle que la photographie.

Quant au réalisateur Le Chanois, il cherchait à retrouver les souvenirs du jeune lecteur de l'édition populaire des Misérables « dont les remarquables illustrations avaient servi pour les décors et les costumes »1. Il écrit à ce propos : « Heureusement, je m'aperçus assez vite que mes producteurs et moi nous ne parlions pas tout à fait le même langage. Pour eux il s'agissait de faire un grand film en couleur, en costumes, avec beaucoup de figuration (…). Ils faisaient appel à moi parce que j'avais la réputation d'être un bon travailleur (…) C'était le technicien qu'on appelait. Ce n'était pas, grandi, mûri, le lecteur des Misérables d'autrefois. Ce lecteur-là, j'étais le seul à le connaître, et c'était de lui que je voulais être digne. Il était mon premier spectateur »2. Photo 36 C'est cette même édition illustrée des Misérables dont plusieurs pages sont reproduites dans le carnet 17 et l'ensemble des recherches iconographiques conservées dans le même carnet qui constituent la documentation utilisée par Serge Pimenoff pour des décors éveillant les souvenirs du lecteur et le plaisir du spectateur. Photo 37

1 Jean-Paul Le Chanois, « Pourquoi j'ai tourné Les Misérables », Prescience du cinéma, Europe, n° 394-395, fév.-mars 1962, p. 174.
2 Idem, p. 165

Photo 36 Photo 37    
Photo 36 Photo 37    
Reproduction de deux pages du livre illustré Les Misérables, de Victor Hugo, pour le film Les Misérables, de Jean-Paul Le Chanois (1957)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française
Reproduction de deux pages du livre illustré Les Misérables, de Victor Hugo, pour le film Les Misérables, de Jean-Paul Le Chanois (1957)
Serge Pimenoff / Collections Cinémathèque française