La méthode Pimenoff : L'œil de Victor Hugo

Ce dessin à la plume de Victor Hugo, met en scène l'actualité internationale en montrant un homme à l'œil hypertrophié observant la ville de Constantinople à travers la lucarne d'une lanterne magique Photo 2. Il symbolise, certes le pouvoir de ce dispositif technique, mais il souligne également le caractère illusoire des vues qu'il propose : c'est avant tout l'œil démesuré qui permet de voir ce qui n'est pas accessible. Ce dessin de Victor Hugo suggère, en définitive, la « fièvre de vision »1 qui hante le XIXe siècle. Non pas que ce siècle ait inventé la relation de l'image à la littérature, mais comme l'affirme Philippe Hamon, le XIXe siècle « a modifié profondément et radicalement cette relation en inventant, ou en mettant au point, ou en industrialisant, ou faisant circuler, ou en généralisant dans des proportions radicalement nouvelles une nouvelle imagerie - terme qui se généralise au XIXe siècle - faite de nouveaux objets et de nouvelles pratiques »2.

Plusieurs travaux, dont un colloque organisé en septembre 2002 au Musée d'Orsay, intitulé « L'œil de Victor Hugo », ont mis en évidence la relation entre l'écriture hugolienne et l'image. Les descriptions microscopiques d'Hugo de la ville de Paris puisent dans toutes les strates d'images que son expérience visuelle avait pu superposer : tableaux, gravures et estampes évoquant un passé tributaire des canons esthétiques reconnus, mais également les images proposées par les medias les plus modernes (la photographie, la presse illustrées, les lithographies) représentant un monde entre passé et présent. Hugo n'a pas pour autant eu directement recours aux instruments d'optique (nous savons par exemple que, tout en côtoyant de près la photographie, il n'a jamais lui-même réalisé de prises de vue). Et cependant, comme l'affirme David Charles : « Médiatisée dans la saisie du réel, la vue de Victor Hugo l'est pourtant - mais comme celle de tout écrivain - par les textes des autres, littéraires, scientifiques ou de voyage, et les images, tableaux, affiches ou réclames qui interposent, entre cette vue et le réel, un « déjà vu » ou « déjà lu » ramenant l'expérience visuelle au déploiement d'une culture constituée en dehors d'elle »3.

L'écrivain est bien conscient de cette impossibilité de séparer l'expérience visuelle (la vue) de la culture qui la constitue (le regard) ; il en fait même son programme. Ses modèles iconographiques l'attestent4 : ses textes sont nourris de toute l'imagerie que son époque propose, y compris celle optique, comme en témoignent, sa volonté de léguer à la Bibliothèque nationale tout ce qui a été écrit et dessiné par lui-même.

1 Jacques Aumont, L'œil interminable, Paris, Séguier, 1995, p. 43.
2 Philippe Hamon, Imageries. Littérature et images au XIX° siècle, Paris, José Corti, 2001, p. 13.
3 David Charles, « Instruments d'optique », L'Œil de Victor Hugo, Actes du colloque 19-21 septembre 2002, Musée d'Orsay/Université de Paris 7, Éditions de Cendres/Musée d'Orsay, 2004, p. 29.
4 Parmi les travaux portant sur cet aspect, citons le texte de Valérie Sueur-Hermel, « De l'imagerie aux maîtres du noir et blanc : l'estampe au cœur du musée imaginaire de Victor Hugo », L'Œil de Victor Hugo, Actes du colloque 19-21 septembre 2002, Musée d'Orsay/Université de Paris 7, Éditions de Cendres/Musée d'Orsay, 2004, pp. 109-147.

Photo 2
Photo 2
Dessin, à la plume, encre brune et lavis sur papier vergé en filigrane D. Victor Hugo, L'Homme qui voit Constantinople, (Lanterne Magic), 1833 (dessin au verso d'un fragment d'une lettre).
Briant © DR