Du décor de cinéma

La carrière des chefs décorateurs Jacques Bufnoir, Jean-Jacques Caziot et François de Lamothe couvre la période qui va de la fin des années 1950 à nos jours. Ceux-ci ont assuré la relève après des créateurs talentueux comme les Russes de Montreuil, Lucien Aguettand, Léon Barsacq, Max Douy, Jean D'Eaubonne ou encore Jean Perier, qui ont œuvré, entre 1920 et les années 1950, pour le cinéma français de la grande période de l'esthétique de studio.

Leur style est très personnel, comme le montrent leurs maquettes, conservées dans la collection « dessins » de la Cinémathèque française. Celles-ci marquent une continuité avec la génération précédente, dont les méthodes ont été transmises par apprentissage, pendant la période où le travail de décoration en studio demeurait la forme dominante, autant sur les plateaux de cinéma que par le biais de l'enseignement dispensé à l'Idhec.

Au début de leur carrière, François de Lamothe a été l'assistant de Serge Pimenoff, Jean-Jacques Caziot a travaillé sous l'égide de Jacques Saulnier et Bernard Evein. Jacques Bufnoir, lui, s'est appuyé sur le savoir-faire d'un assistant expérimenté, Jacques Brizzio, lui-même ancien assistant décorateur de Serge Pimenoff pour plusieurs films. Tous chefs décorateurs dont la formation d'architecte - que ce soit à l'Ecole des beaux-arts de Moscou ou celle de Paris - a eu une influence sur leur goût pour les volumes et dans l'application d'une méthode de travail qui ne laissait pas de place à l'improvisation sur le plateau. Le long travail de préparation, par la collecte de la documentation et les repérages photographiques, l'élaboration des plans puis des maquettes traduisant l'esprit du film et qui président à la construction des décors, sont autant de savoir-faire hérités de la génération précédente.

Jacques Bufnoir, Jean-Jacques Caziot et François de Lamothe, eux aussi architectes, ont hérité de ces méthodes de travail. Privilégiant des décors « d'atmosphère », ils utilisent de manière systématique les qualités expressives de la couleur et celles, plastiques, d'un objet ou d'un meuble. Ainsi, la chambre de Jef, le personnage du Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967), reflète le décor ascétique et glacial souhaité par le cinéaste. François de Lamothe avait pour cela créé une pièce austère avec des matériaux travaillés dans des camaïeux de gris, avec peu d'objets, juste une cage avec un canari apportant la seule touche de couleur et de sensibilité, des fenêtres à guillotine accentuant l'impression de mort qui rôde en permanence dans le film. Pour la chambre du personnage de Madeleine (Coup de foudre de Diane Kurys, 1983), Jacques Bufnoir choisit les couleurs et les objets qui révélaient au mieux l'esprit d'artiste du personnage plus encore que la transposition exacte du monde des années 1950 : pas de tableaux, pas de papier peint dans le salon ni fauteuils en faux-cuir, mais des tons beiges, noirs et verts pour repeindre les mobiliers d'époque, des livres, et une cheminée. Le bureau high tech du film La Banquière (Francis Girod, 1980) devient lui le pivot de la conception du décor tout entier réalisé par Jean-Jacques Caziot. D'où l'importance que ces décorateurs accordent au rôle de l'ensemblier, un métier méconnu1.

Malgré la crise du cinéma français des années 1960 et les budgets restreints (notamment en ce qui concerne les décors), malgré la fermeture de la section « Architecte et Décor » de l'IDHEC en 1968, et en dépit de l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes refusant - en principe - l'artifice, c'est leur grande expérience du travail de décoration en studio auquel ils ont été formés pendant plusieurs années d'assistanat qui constituera leur atout majeur pour entreprendre des projets alternant décors en studio et décors naturels. Car ces décors qui se voulaient « vrais » - appartements, jardins, rues, kiosques à journaux, vitrines - n'étaient pas moins retouchés, modifiés, complétés par d'autres objets, et adaptés pour répondre aux besoins des lumières, du cadrage, des mouvements de caméra, des effets sonores, contribuant ainsi à l'atmosphère et à l'identité d'un film.

1 Il s'agit pour l'ensemblier d'élaborer, en étroite collaboration avec le chef décorateur, la décoration intérieure des différents décors d'un film. L'ensemblier intervient dans le choix des meubles, des accessoires et des couleurs, ainsi que dans celui des matières des murs, du sol, des tissus, pour créer une ambiance propre au film.

Biographies

Jacques Bufnoir
Jacques Bufnoir est né en 1944. Il suit une formation artistique aux beaux-arts et à l'Idhec, en section « décoration ». Il multiplie les expériences dans le cinéma, en tant que stagiaire, puis assistant. Dès 1974, il se lance dans une carrière de chef décorateur et de directeur artistique. Sa filmographie ne compte pas moins de 70 films, dont ceux réalisés par Claude Lelouch, Patrice Leconte ou Régis Wargnier, avec lequel il reçoit le César des Meilleurs Décors pour Indochine, en 1993.

Jean-Jacques Caziot
Jean-Jacques Caziot est né en 1937. Après un bref passage dans un cabinet d'architectes comme commis, il enchaîne les stages, puis les assistanats dans la décoration de cinéma. De 1961 à 1967, il travaille sous l'égide de décorateurs tels que Bernard Evein ou Jacques Saulnier. En 1967, il démarre une carrière de chef décorateur en collaborant à de nombreux films, avec des réalisateurs comme Louis Malle ou José Giovanni.

François de Lamothe
François de Lamothe est né en 1928. Il reçoit une formation artistique aux beaux-arts dans la section « Architecture », puis à l'Idhec. Après des stages et des assistanats dans la décoration de cinéma, il entame, en 1960, une carrière de chef décorateur. Plus de 80 films ponctuent sa carrière, avec des réalisateurs comme Jacques Deray ou Philippe de Broca. Il s'illustre aussi dans la création de décors pour le théâtre ou la télévision, les hôtels et même les boîtes de nuit.

Willy Holt (1921-2007)
Né américain, William Holt a travaillé comme chef décorateur avec Arthur Penn, Otto Preminger, Bertrand Blier ou Roman Polanski. Il reçoit le César du Meilleur décor en 1987 pour Au revoir les enfants, de Louis Malle. Parallèlement, Willy Holt a dirigé le département Décor de La Fémis, lors de sa création.

Bernard Evein (1929-2006)
C'est avec la Nouvelle Vague qu'apparaît Bernard Evein au cinéma : il travaille en qualité de chef décorateur pour Jacques Demy, François Truffaut, Claude Chabrol ou Louis Malle. À son aise pour réaliser des décors en plein air comme en studio, il est réputé pour le caractère coloré de ses compositions. Il a également travaillé pour le théâtre.

Jacques Saulnier
Né en 1928, c'est à partir de 1957 que Jacques Saulnier devient chef décorateur. Il travaille avec Bernard Evein sur les décors de films de la Nouvelle Vague. Dès 1960, Saulnier poursuit sa carrière en solo, il travaille alors avec Henri Verneuil ou Georges Clouzot. Alain Resnais fait appel à ses services pour de nombreux films. Il a obtenu trois César du Meilleur décor pour Providence (A. Resnais, 1976), Un amour de Swann (V. Schlöndorff, 1983), et Smoking, No Smoking (A. Resnais, 1993).

Jacques Brizzio
Jacques Brizzio a été assistant décorateur durant une longue carrière au cinéma, entre 1950 et 1990. Il a notamment été l'assistant des décorateurs Serge Pimenoff, Jacques Bufnoir, François de Lamothe, Max Douy ou Sydney Bettex. Il a néanmoins travaillé en qualité de chef décorateur sur quelques longs métrages, et fut le directeur artistique du Violette Nozière de Claude Chabrol (1977).