La Vie miraculeuse de Thérèse Martin

Un pareil film ne pouvait susciter qu’une pieuse critique, et c’est à cette tâche que s’attelle consciencieusement Comœdia : " Julien Duvivier a évoqué avec piété et non sans une adresse extrême la vie terrestre de Thérèse Martin, son enfance, son adolescence, l'éveil de la vocation, son entrée au Carmel, son existence de sainte recluse, sa mort qui fut pour elle la naissance à la béatitude éternelle. Le sujet était périlleux à traiter : on risquait, dans une réalisation de caractère si particulier, le danger de matérialiser le visage de la sainte au point que l'auréole divine qui l'entoure aux yeux des croyants s'effaçât ; il convenait encore d'éviter le style conventionnel des images de piété ; bref, il importait de ne pas supprimer le côté purement humain du personnage, tout en lui conférant un rayonnement céleste. En dépit de ces difficultés, Julien Duvivier a réalisé un excellent film, et d'une inspiration que l'on devine sincère et qui, pour cela, nous émeut profondément. Les interprètes que le metteur en scène a rassemblés présentent sans doute des physionomies qui se rapprochent de celles des modèles (dont certains vivent encore peut-être). Le choix a été très heureux. L'artiste qui joue le rôle de Thérèse Martin est d'une sincérité prenante : elle incarne son personnage avec une ardeur concentrée, une foi chrétienne dont les accents sont poignants". Hebdo-Film est dans la même veine : " M. Julien Duvivier s’est beaucoup inspiré du génial et naïf anecdotier de jadis [Jacques de Voragine, auteur de " La légende dorée "] en évoquant Thérèse Martin, la jeune carmélite. Même souci de piété et d’orthodoxie, même emploi de l’apparition et de la surimpression. Le cœur mystique et souffrant de l’héroïne nous apparaît sans cesse à travers tableaux et images avec toute sa ferveur et toute sa foi. L’existence de Thérèse Martin n’offre d’ailleurs d’autres péripéties que celles du sacrifice et de la sanctification, depuis l’enfance jusqu’à la mort. Nul besoin d’en citer les calmes épisodes. Le moindre est joli, constitue un exemple de perfection et de renoncement suivant le Christ et un exemple de parfaite technique suivant l’Art muet. On ne peut s’empêcher de regretter, en voyant cette œuvre, qu’on ne lui ait pas donné d’accompagnement sonore, parlant et chantant. Si nous y retrouvons l’ombre fraîche et parfumée des chapelles, la lumière des jardins de couvent, la protection des clochers et la grandeur des cérémonies rituelles, nous aimerions entendre la voix des nonnes et des chantres se mêler à celle des carillons sacrés, les litanies suivant les cantiques, les mâtines éveillant les hautes voûtes sous un Magnificat ou un Te Deum... L’évocation du Christ a semblé à certains inutile ; elle nous a semblé bien en place et telle que nous la donnent avec son réalisme et sa simplicité les primitifs. Pour le rôle de la sainte de Lisieux, on a choisi une inconnue dont on ne nous a point révélé le nom et que nous ne reverrons sans doute jamais. Elle fait très vitrail. Son art se compose de sincérité. Ses extases n’ont rien de théâtral pas plus que sa tenue et ses manières dans les actes n’ont rien de maladroit ". Là où beaucoup soulignent que l’histoire de la petite Thérèse, est presque (encore) contemporaine, Le Cinéopse ne craint pas d’aller plus loin : " Si elle était restée dans le monde, et qu’elle eût vécu, Thérèse Martin eut pu être une habituée des salles de cinéma. Elle ne serait pas encore vieille, mais nous pourrions l’entendre, avec sa jolie malice native, parler de films... Oui, mais nous ne la verrions pas sur l’écran, où elle ne paraît pas pour la première fois, ajouter aux gloires d’une popularité difficilement comparable d’autres gloires encore... M. Julien Duvivier s’est attaché, ne le dissimulons pas, à une tâche formidable. Ressusciter non plus un roman où sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus aurait un rôle épisodique, mais l’existence de la sainte elle-même, cette existence toute simple où il ne s’est guère passé que l’entrée au Carmel et la mort, c’était plein de difficultés, et il fallait craindre de faire ou inexact, ou psychologiquement forcé, ou bien un peu trop plat. Hâtons-nous de dire que M. Duvivier a su fort bien éviter ces écueils et, dans une œuvre digne et ferme, un peu sentimentalement appuyée, honorer comme elle l’eut aimé sans doute la petite religieuse-poétesse du Carmel de Lisieux. La préoccupation d’art, et d’art religieux, n’a pas quitté le réalisateur. Il l’a traduit notamment par les décors des images et par de nombreuses recherches que la foule, pieuse ou non, sera susceptible de goûter. M. Julien Duvivier a créé, par là, une atmosphère où l’histoire simple et touchante de sainte Thérèse peut se développer harmonieusement... A l’heure où les femmes se lancent à l’assaut de toutes les carrières, et veulent entrer à fond dans le tourbillon humain, elle [Thérèse] a choisi le renoncement, la simplicité, on dirait presque le rien, si dans ce rien elle n’avait tout trouvé... Et maintenant toutes les salles vont voir passer " La vie miraculeuse de Thérèse Martin ". La sainte contemporaine du cinéma ne peut avoir que du bonheur à l’écran... ". Beaucoup, cependant, avouent leur ennui, tant sur l’histoire racontée que sur le style, ainsi Jean-Paul Coutisson, à nouveau dans Comœdia : " Cette vie de la petite sainte se déroule très calmement... et cela n’est pas sans être par moments quelque peu monotone. J’entends bien qu’il était difficile de faire autrement... Julien Duvivier a fait tous ses efforts pour aller vite et ne donner que l’essence même des faits, mais le sujet était immense et l’on ne raconte pas une vie entière aussi vite qu’un fait divers... Il n’était pas indispensable, croyons-nous, de matérialiser le Christ. Un être divin, même s’il est mort en chair et en os sur une croix, est un pur esprit, un symbole. Rappelons-nous avec quel tact les Américains ont synthétisé le Christ dans " Ben-Hur ". Il y avait là un exemple qui aurait dû être suivi... " Pour vous, de même, déplore le prosaïsme de la réalisation : " M. Julien Duvivier a composé plusieurs films religieux ou à tendances religieuses... Il a de la conviction et défend ses idées avec force, même et surtout quand elles peuvent inspirer une contradiction sincère... Les moyens qu’il [Duvivier] a employés sont d’une honnêteté stricte et le tableau qu’il a fait de la vie de chaque jour au Carmel est certainement juste, mais quelle poésie - qui n’y est pas - aurait enveloppé l’ouvrage si l’auteur avait évoqué quelques rêves si beaux dont nous connaissons le récit ". Comme le dit " Excelsior ", " C’est... le côté miraculeux qui manque le plus à cette biographie en images doublée d’un documentaire sur le Carmel ". Et il revient au " Figaro " de souligner que la vie de la " petite sainte " n’est pas aussi édifiante, notamment aux yeux des mécréants, qu’il le paraît : " Dieu demande-t-il à être aimé ainsi dans les larmes, dans toutes les tortures du froid, du jeûne, du silence ? Devant la pure, la radieuse jeunesse de Thérèse, condamnée à la mort par les dures conditions de la vie au Carmel, ne se mêle-t-il pas, à notre vénération, une secrète révolte ? Serait-ce si mal de chauffer en hiver les cellules des nonnes ? Je connais des curés de campagne qui ont de bonnes bûches dans leur cheminée et une cinq-chevaux au garage. Sont-ce de mauvais prêtres ? Quand la petite Sœur Thérèse, cassée par la toux comme un lis fragile par la tempête essuie d’une main diaphane la glace qui double de son mortel cristal les vitres de sa fenêtre, il me semble entendre le Christ gémir : " Je n’ai pas voulu cela ". La preuve de Dieu, elle est dans le soleil et dans la rose. Son culte aussi. Glorifions-le dans la rose et dans le soleil ".