Pot-Bouille
A sa sortie, ce film si " qualité française " divise la critique.." Si l’adaptation se permet quelques entorses à la lettre du roman, elle demeure néanmoins fidèle à l’esprit de cette fresque haineuse, tragi-comique et d’un naturalisme exacerbé " écrit Claude-Marie Trémois dans " Radio-Cinéma ". François Truffaut est, d’évidence, plus catégorique, mais fluctuant, qui juge dans un premier temps (" Les cahiers du cinéma ") que " Duvivier touche toujours à côté de la cible ; il ne parvient jamais à faire rire avec une comédie, non plus qu’à faire pleurer avec un drame ", puis, quelques numéros plus tard, se ravise - presque : " "Pot-Bouille " n’est pas un film d’auteur ; c’est même tout le contraire ! On sent très bien l’œuvre écrite par quelqu’un et filmée par quelqu’un aux antipodes, mais il n’empêche que, de la férocité de Jeanson, sa verve, multipliées par la douceur obstinée de Duvivier, il reste quelque chose d’insolite et de plaisant... "Une parodie de "Gervaise" . Une œuvre de dérision, baroque, échevelée et des plus imprévues, une parodie féroce et à peine involontaire de "Gervaise", une caricature de Zola, mais caricature fidèle et ressemblante : bref, et comme le dit si bien... Domarchi : ""Pot-Bouille", c'est la fesse à l'état pur... " Pot-Bouille " est un film très honorable, d’abord parce qu’il est un film de tempérament en liberté ". Cette critique plutôt favorable, François Truffaut, curieusement, en aurait " regretté " le ton plutôt acerbe auprès de Dany Carrel. " L’express " s’offusque d’une misogynie qui peut tout aussi bien être attribuée à Zola (et à Jeanson !) qu’à Duvivier : " "Pot-Bouille " n’est pas un de ces films qui réconcilieront la littérature avec le cinéma. L’univers de Zola n’est pas, certes, tissé d’optimisme et de beaux sentiments. Mais il a de la grandeur... Traduit à l’écran par Julien Duvivier et Henri Jeanson, Zola devient un Feydeau de plomb. Et Octave Mouret, ce jeune arriviste décidé à réussir grâce à sa façon de plaire aux femmes, devient un travailleur à la chaîne.... Le film fait de " Pot-Bouille " une immense alcôve où toutes les vedettes féminines viennent successivement et docilement se coucher... Film de misogynes mélancoliques où les femmes sont à la fois toutes faciles, toutes vénales, et toutes traîtresses, les hommes tous conquérants et tous trompés, " Pot-Bouille ", réalisé de mains de maîtres, et joliment interprété, est un spectacle techniquement irréprochable qui offre en outre l’intérêt de présenter - peut-être - une indiscrète psychanalyse de ses auteurs. Mais on en sort le cœur lourd ". " Les lettres françaises " traduisent le même découragement : " Si le film n’est pas à la hauteur du roman, ce n’est pas tellement une question de découpage que de ton général... On rit ; on devrait aussi grincer des dents. Et tout concourt à cette impression : le dialogue, la direction d’acteurs délibérément boulevardière. Cela donne quelque chose de très agréable - mais de beaucoup plus faible que ce que nous pouvions espérer ". Raymond Chirat écrira, lui, que " "Pot-Bouille " devient une admirable mécanique, un vaudeville, point éloigné de Feydeau, où dans les pires situations Gérard Philipe, au mieux de sa forme, déguise la vulgarité en désinvolture et substitue la grâce à la grivoiserie... Le film... rejoint Zola par le biais des décors capitonnés, le relief des acteurs secondaires et force notations incisives (la vieille femme terrorisée par le concierge, la médiocrité des soirées bourgeoises, le mariage mondain) ". Sur Gérard Philipe, Pierre Cadars écrira dans la biographie qu’il lui a consacré que " "Pot-Bouille "... conserve... un intérêt historique. Au même titre que " Les grandes manœuvres " mais dans un tout autre registre, il représente parfaitement un certain cinéma français de qualité, comme on en faisait encore à la fin des années cinquante... Ce qui manque ? Un peu moins de perfection, un peu plus de vie et d’imprévu ". Pour lui, la collaboration de Gérard Philipe au film peut, " sans risque de se tromper.... [être] qualifiée d’alimentaire ". Bien plus tard, Yves Alion notera que " alors que la Nouvelle Vague a reflué, ces éreintements ne sont plus de saison. Il est devenu possible d’aimer " A bout de souffle " sans mépriser " Plein soleil " ou encore de trouver une certaine perfection dans ce " Pot-Bouille " vénimeux ". Ce que semble contester François Chevassu, qui exécute ainsi le film dans " La saison cinématographique " : " Pas un instant de révolte, pas un élan même purement charnel, pas une émotion sincère ne viennent éclairer ce monde épuisé où les auteurs se complaisent. Veulent-ils nous persuader qu’il est la seule issue, ou que nous ne saurions trouver une autre image de nous-mêmes qu’ils n’ont plus le courage d’espérer ? Cela au fond nous importe peu, pas davantage que cette œuvrette inutile à laquelle nous ne pouvons souhaiter que ce qu’elle semble désirer elle-même : son propre pourrissement, négatif compris, afin qu’en soient rapidement dégagées les écrans, où nous venons quand même chercher autre chose que les fientes des cinéastes fatigués ".