Maman Colibri
Au moment où sort " Maman Colibri ", la " bataille " du muet est déjà perdue, même si les critiques feignent de ne pas s’en apercevoir, comme Jean-Paul Coutisson dans Comœdia : " On sent tout de suite par le simple et facile enchaînement des images combien le réalisateur est en pleine possession de son métier. Les scènes du bal par exemple, tournées sans complications d'aucune sorte, sont pleines d'une vie et d'un mouvement prodigieux. Sous une apparente simplicité, cette réalisation cache une somme de technique considérable. Et comment décrire avec des mots toute la poésie des nuits africaines, la couleur des ciels, les chevauchées dans le désert et cette fantasia de spahis qui est l'un des plus beaux passages du film. Toutes les scènes de la fin, lorsque Irène voit qu'elle n'a plus qu'à partir puisque son amant ne l'aime plus sont traitées de main de maître et avec une tristesse poignante dont on se défend mal". " Le Figaro ", quant à lui, reste galant : " Je vais faire... beaucoup de peine à Maria Jacobini en lui révélant... qu’elle est scandaleusement jeune pour le rôle. On n’est pas, à ce point, la sœur de ses fils ". Mais ils sont bien seuls dans ces éloges d’ailleurs tout relatifs, et même la si réservée " Cinématographie française " y va de ses reproches : " Julien Duvivier a abusé des décors immenses et froids de l’Algérie. Il a de ce fait trop perdu de vue ses personnages et son sujet. De plus, il a modifié la fin et l’expiation. A vrai dire, " Maman Colibri ", en costumes modernes, nous donne l’air d’être de la même date que la création théâtrale. Le style en est trop peu actuel. Maria Jacobini, un peu compassée, a eu vers la fin du film des expressions de détresse émouvantes. Il était difficile d’adapter avec plus de conscience et de scrupules l’œuvre de Henri Bataille. Mais pourquoi ne trouvons-nous pas toute la déchirante humanité qui se révélait dans l’âpre pièce... Pourquoi n’a-t-elle pas été conservée. Il semble que Julien Duvivier, pourtant fort habile compositeur de films, ait trop délayé le sujet, l’ait noyé dans des passages documentaires qui, si beaux qu’ils soient, empêchent l’action de se condenser, de se resserrer, de nous émouvoir pleinement... " Pourtant, constatant que, autour de lui, le public apprécie malgré tout, le critique de la revue se déjuge dans sa conclusion : " A travers un fatras de grands décors, de panoramas algériens, et de rôles à traîne, l’histoire humaine et douloureuse surgit, grande, fière, et noble, qui touchera toujours les cœurs ". Propos convenus, que Cinémagazine ne reprend pas à son compte : " Il y avait là un thème très émouvant à traiter : deux thèmes même, celui de la passion contre l’amour maternel, puis celui des regrets, lorsque chez l’amant la passion est morte et que la femme se retrouve seule, sans amour, sans enfants. Il ne nous semble pas que d’un tel sujet Duvivier ait extrait toute l’émotion que nous étions en droit d’attendre de l’œuvre célèbre d’Henry Bataille. Quoi qu’il en soit, le film est agréable et adroitement réalisé. Les photographes ont droit à beaucoup de compliments pour les très beaux clichés qu’ils ont rapporté d’Afrique. Mais pourquoi Julien Duvivier s’attarde-t-il, par endroits, à certains effets qui, sans doute, provoquaient les applaudissements, il y a quelques années, mais qui aujourd’hui semblent périmés. Les surimpressions, les objectifs spéciaux qui sur l’écran répètent 5 ou 6 fois la même image, ne nous étonnent plus. Davantage, ils nous déçoivent, surtout venant de Duvivier, qui possède un métier et une personnalité unanimement reconnus et qui se manifestent presque tout au long du film ". " L’écho de Paris " aussi souligne ce côté déjà vieillot : " Je suis sûr que si Henri Bataille avait assisté à la projection de " Maman Colibri ", il n’aurait pas été enchanté. Pourtant, ce qui est rare, Julien Duvivier a presque toujours respecté la pièce, et le film a une valeur cinématographique qui rachète quelques erreurs... Ce qui manque à ce film, c’est l’étincelle de génie qu’il y avait dans la pièce et que le cinéma ne peut pas rendre ". D’autres ne sont pas si prudents, témoin Pour vous qui parle de " Cette série d’artifices qui n’ont pas l’excuse de l’ingéniosité,... cette bande de goût épais et vouée peut-être à certain succès, où il y a un peu de ciel chaud, des palmiers, une fantasia et des trompettes multipliées... taratata taratata... ". Pour autant, c’est Jean-Paul Dreyfus, bientôt Le Chasnois, qui, dans " La revue du cinéma ", se montre le plus dur - et de loin : " Julien Duvivier, qui s’était déjà intéressé aux troubles de la puberté (Sainte Thérèse de Lisieux) s’attaque aujourd’hui [à ceux de l’âge mûr] Et voilà encore du beau travail ! Encore un ou deux films comme ceux-là et on n’osera plus avouer qu’on est Français. Le cinéma français : des dirigeants qui ont besoin d’être traités à coups de bombes, des metteurs en scène hypocrites, jésuitards et impuissants. Les films français : la dévotion aveugle aux pièces de théâtre, le fanatisme têtu de tout ce qui porte un nom en littérature, la basse psychologie refondue et resucée par les générations entières d’écrivains. Henri Bataille est la source, l’abreuvoir intarissable de nos pantouflards réalisateurs. Pour ses héritiers, c’est pain béni, mais pour nous c’est beaucoup moins drôle... " Maman colibri " : une platitude sénile, un vide absolu de pensées et d’émotions, une incompréhension totale du cinéma. De pauvres images plaquées sur des sous-titres. Aucune trouvaille. Décors de carton visant au Mauderne et au Grandiause. L’interprétation, Maria Jacobini en tête, est complètement écrasée par l’odeur de vomi qui se dégage du film ".