Marianne de ma jeunesse

La critique française du film, aidée en cela par une publicité orientée, base une partie de ses impressions sur une comparaison entre ce qu’aurait pu être " Le grand Meaulnes " adapté au cinéma par Duvivier, et le présent film, que beaucoup trouvent étonnant tournés par un cinéaste ayant la carrière de Duvivier " Les lettres françaises " sont moins dures que d’habitude : "Pêché de jeunesse commis à l'âge mûr, le film est bien étonnant à cet égard. On pourrait dire que le film tout entier "joue" un ton au-dessus, comme ces comédiens chargés d'interpréter des textes poétiques, et qui ne trouvent en eux-mêmes, pour le faire, d'autres ressources que dans un dépassement de leur registre vocal". " Le monde " renchérit, un peu déçu : "Nous longeons constamment la frontière de l'irréel, mais sans y pénétrer. Il semblerait qu'un douanier malfaisant ait reçu mission, chaque fois que nous allons "partir", de nous refouler en-deça du domaine interdit "., tandis que " Le figaro " est plus louangeur : "Duvivier a su traduire et délicatement utiliser la douceur presque fantastique de ce coin de terre. On peut donc bien parler en l'occurrence de poésie cinématographique, puisque visuelle et voulue telle... On est doublement heureux de féliciter Julien Duvivier Nous avons un film français aujourd'hui que l'on peut enfin comparer à la poésie italienne de "La strada". Fellini n'est plus seul à fuir le confort commercial". Même chose dans " Combat " : " Le film est taillé dans le rêve à portée de main, vu à travers les éléments du romantisme matérialisé : vieux château, sous-bois embrumés, visages entrevus, lacs au crépuscule ". " Libération " est moins enthousiaste : " Le grand défaut de "Marianne de ma jeunesse" c'est de vouloir, dès les premières images, nous persuader que nous allons vivre quelque chose d'extraordinaire au lieu de laisser lentement l'extraordinaire s'installer en nous. C'est aussi le ton emphatique du récitant et la trop grande place occupée par les explications verbales au détriment des images, au détriment des bruits, au détriment du silence. Constamment, Duvivier bat le rappel de la poésie... Hélas, la jeune fille séquestrée, et Vincent, et ses compagnons, ne vivent pas vraiment. Ce n'est pas du sang rouge mais de la lymphe parfumée qui coule dans leurs veines !... Une photo remarquable ajoute son aura à ce "Petit Meaulnes" cinématographique important malgré ses erreurs". " L’express " note justement le caractère un peu " décalé " du film dans la production de l’époque : "En 1943, "Marianne de ma jeunesse" eut été l'un de ces nombreux films "poétiques" qui, de "L'éternel retour" au "Baron fantôme", faisaient alors fureur, peut-être parce qu'on y fuyait avec fureur la réalité... "Marianne de ma jeunesse" est comme l'écho trop sonore d'une tendre et vieille chanson ". Nulle tendresse en revanche dans " Le canard enchaîné ", qui vilipende les trop envahissants commentaires : "C'est un chef d'œuvre pour sourds... Quel merveilleux film muet !". " Le soir " de Bruxelles est tout aussi circonspect : "N'ayant pu obtenir d'Isabelle Rivière l'autorisation de porter "Le grand Meaulnes" à l'écran, Julien Duvivier s'est tourné vers un roman allemand... parce qu'il y trouvait ce climat d'"inquiète adolescence" qu'il voulait recréer... Cette ère invisible est au cœur de tout ce drame de jeunesse. On devine que, dans son attachement excessif et jaloux pour sa mère, Vincent, au cours de ses rêves éveillés ou de ses cauchemars, a transposé l'image maternelle jusqu'à l'incarner dans un corps de jeune fille... Même si on n'entre pas dans ce jeu un peu subjectif des symboles, on ne pourra pas ne pas admirer cette collaboration du monde animal qui évoque la cohabitation familière du paradis terrestre... " Plus tard, Chirat sera plus bienveillant : " Duvivier joua sans tricher cette folle et mélancolique histoire, en refusant les trucs trop concertés que recherchait Cocteau. Le spectateur de 1954 fut sensible à cette émotion, à la beauté des sites qui ennoblissaient l’aventure, à l’interprétation fervente de Pierre Vaneck, dont ce fut à l’écran le rôle le plus caractéristique, à la partition très élaborée de Jacques Ibert et à la pointe de psychanalyse trempée d’érotisme qui pimentait ces réminiscences du " Grand Meaulnes ". Mais l'hommage le plus inattendu viendra de Jean Renoir qui, dans un article d'hommage à Duvivier au lendemain de sa mort, intitulé "Mort d'un professionnel", parlera ainsi de "Marianne de ma jeunesse" et de son auteur : "Ce maniaque de la précision était aussi un rêveur. Ces deux qualités, en apparence contradictoires, s'expriment d'une façon saisissante dans "Marianne de ma jeunesse". Quel film et quelle confession ! Le Duvivier que ses amis connaissaient et que le simple passant ignorait s'y révèle sans masque".