La Machine à refaire la vie

Pour un film " virtuel ", " La machine à refaire la vie " suscite une presse extrêmement abondante, preuve que l’idée est neuve et bienvenue. Les critiques abondent, non seulement sur la première présentation mais aussi au fur et à mesure que Julien Duvivier et surtout Henry Lepage multiplient les interventions. Jean Tedesco, dans Cinéa, consacre à l’événement une très longue critique : " MM. Duvivier et Lepage ont produit une bande considérable destinée à nous faire connaître le Cinéma pour lui-même. C’était une excellente idée, à laquelle nous avons tout de suite applaudi et c’est à présent une bonne réalisation, lourde de difficultés surmontées... Il est excellent de se reporter ainsi à l’origine du Cinéma et de mesurer le chemin parcouru de " L’arroseur arrosé " au " Brasier ardent ". On trouve également, dans l’ensemble que nous présentent MM. Duvivier et Lepage, des exemples d’école, des " bouts " symboliques, documentaires, scientifiques ; on y voit, en particulier, un petit film de guerre, projeté pour la première fois en public, dont l’intensité est admirable... On s’étonne de voir... avec les expressionnistes modernes, un " Caligari " déjà vieilli... Revue un peu désordonnée des tentatives des créateurs, synthèse assez incomplète des écoles naissantes, masse à notre avis trop compacte où mille choses se contrarient et s’étouffent, il faut néanmoins reconnaître à " La machine à refaire la vie " toutes les qualités inhérentes à un noble effort. On y trouvera même des scènes amusantes de prise de vues, très vivantes, où le spectateur inaverti verra avec plaisir ce que c’est qu’un studio, assistera à l’organisation d’un film, reconnaissant avec satisfaction quelques figures célèbres de l’interprétation. C’est peut-être là, dans cette zone accessoire, que se trouve la partie la plus durable de ce film du Cinéma. Car toute cette bande, malgré la foi très belle dont elle est animée, dégage une certaine mélancolie. En effet, lorsqu’on contemple la formidable évolution du cinématographe, on ne peut que s’alarmer de la vitesse avec laquelle il se désagrège... Il est permis de se demander aujourd’hui s’il existera jamais des films-types, des œuvres dignes de servir d’exemples. Nous ne le croyons pas. Les procédés techniques seuls s’apprennent d’un film sur l’autre, mais on ne retrouve pas, entre deux chefs-d’œuvre d’auteurs différents, de parenté directe, de filiation absolue. On peut dire que les créateurs du cinématographe se classent à peu près en diverses écoles, mais il est à craindre que s’ils s’y enfermaient, ce serait la mort du cinéma. Que serait devenu, par exemple, un caligarisme absolu ? Cela tient à ce que le film, sans doute, est dans sa première période de croissance et que rien ne peut encore arrêter les limites de son aspect. Sans cesse son visage change sous les mains de ceux-là mêmes qui le pétrissent, malgré leur propre volonté. Et le créateur conscient de son rôle est en présence de son film comme en face d’une divinité qu’il façonne à son image, mais qui le dépasse toujours et le surmonte sans cesse.... Quant à la comparaison des diverses formes d’art qu’il nous a présentée jusqu'à présent, nous paraîtrons bien barbares en disant que rien ne nous a paru plus merveilleux, de tant de films, que les premiers, les tout premiers, d’où la vie renaissante, sous un aspect nouveau, a jailli toute nue, sans artifices ". Sous un jour plus besogneux et qui se fait l’écho des polémiques suscitées, Le Cinéopse ne dit pas autre chose : " L’effort de MM. Duvivier et Lepage vaut d’être loué sans réserve, d’autant qu’il représente six mois d’un travail laborieux et de difficultés inouïes. Le défaut de place ne nous permet pas de l’analyser complètement, mais nous tenons, d’ores et déjà, à adresser aux réalisateurs nos compliments les plus sincères pour leur œuvre qui, retraçant de façon très adroite l’histoire et l’évolution du cinéma depuis son invention jusqu'à nos jours, constitue un document extrêmement précis et une excellente réplique à la prétention de certains de contester encore à MM. Lumière la paternité du cinéma ". Moins polémique, Cinémagazine semble faire écho à la mélancolie de Jean Tedesco, mais dans le sens du " progrès " : " Messieurs Julien Duvivier et Henry Lepage emportent actuellement dans tous les coins de France un documentaire historique qui illustre d’une manière saisissante les progrès réalisés par l’art muet depuis le jour où les frères Lumière inventèrent cette étonnante " machine à refaire à la vie "... Nous sommes devant le carré métallique comme devant un miroir sur lequel d’autres que nous vivent, comme nous vivons notre vie de chaque jour, sans gestes excessifs, avec seulement sur leur visage, le reflet de leur pensée et de leur cœur... Mais le cinéma ne se borne pas à nous offrir le seul spectacle de ceux qui nous entourent. S’il peut refléter la vie, s’il peut donner une âme à un paysage, animer un objet, il peut encore devenir pour nous le magicien, l’illusionniste ". Même " progrès ", toujours dans Le Cinéopse : " C’est l’histoire du cinéma. Une conférence accompagne la projection de fragments de films qui nous permet de suivre les progrès accomplis et de les constater. L’histoire du cinéma peut se comprendre autrement, mais il est incontestablement intéressant de voir se succéder sur l’écran les diverses réalisations obtenues à chaque époque. La comparaison est éloquente et instructive. Elle apprendra beaucoup de choses à ceux qui vont au cinéma sans réfléchir, et tout le monde y trouvera plaisir. On a goûté notamment les scènes de mêmes films tournés à des années de distance, et qui montraient d’une manière patente les progrès de la technique du cinéma ". La même antienne est reprise, mais de manière beaucoup plus cruelle, dans " L’écho de Paris " : " Ils [Duvivier et Lepage] nous font voir les premiers grands films tournés par des vedettes du théâtre... une véritable collection de tout " ce qu’il ne faut pas faire à l’écran ". Pour bien montrer, d’ailleurs, les immenses progrès accomplis depuis 10 ans par metteurs en scène et opérateurs, MM. Duvivier et Lepage nous font comparer deux réalisations cinématographiques du même ouvrage, " Roger-La-Honte ", par exemple, ou " L’assommoir "... " Comme le dit ingénument Cinémagazine, " les films dramatiques d’avant-guerre sont devenus de véritables bandes comiques tant la gesticulation des artistes nous paraît ridicule à l’heure actuelle. " Au drapeau ", " L’assassinat du duc de Guise " et " Le miracle " ont obtenu un grand succès de rire ".