Le Golem
C'est avec des accents "officiels" que la majeure part de la critique accueille le nouveau film de l'auteur de "La tête d'un homme" et de "Golgotha", témoin "La cinématographie française" : " On est très gêné pour parler de ce qu’il est convenu d’appeler un grand film, lorsqu’on ne pense pas avoir que des compliments à en faire. On se laisse impressionner - à juste titre - par l’effort considérable qu’il représente et on regrette de dire qu’il est moyen, alors que telle farce, intelligente mais facile, passe pour excellente. Ceci dit, " Le golem " est un grand film, mais n’est pas une réussite éclatante... L’histoire est séduisante : elle permet une curieuse reconstitution du ghetto de Prague et l’évocation de ce vieux fantastique allemand qui aima tant créer des monstres. Mais il ne faut pas croire que le sujet puisse nous émouvoir un seul instant : dès les premiers mots, le ton emphatique, l’accent très Ile-de-France font sourire, et font sourire aussi les scènes d’incantation et de kabbale. Puis, étaient-elles bien indispensables, ces scènes de flagellation, avec concert de plaintes, de hurlements et de coups de fouet, d’un sadisme redoutable parce que trop bien rendu ? Le camouflage du Golem est une fort belle chose : on admire, on pense à Frankenstein et on se demande si, comme lui, il ne va pas se mettre à pousser quelques beuglements et autres sons inarticulés. Le tout laisse une impression de mélo et de confusion : un film d’épouvante qu’on aurait un peu trop pris au sérieux. Par contre, les décors sont magnifiques : images brumeuses, fumeuses, fuligineuses, jeux de torches qui grésillent, flambées dans la nuit, tout la gamme ". René Bizet stigmatise " Un scénario vague, où règne une rare confusion d’esprit, et où l’on ne trouve rien à quoi accrocher l’intérêt..." Quant à la créature, elle lui paraît "sous cet aspect un peu ridicule de Samson à la tête de bois qui fait s’écrouler des colonnes de carton. Les seuls effets d’une présence invisible nous eussent beaucoup plus bouleversés ", tandis que "La croix" fait contre mauvaise fortune bon cœur : " Le metteur en scène est le seul que nous puissions opposer aux américains pour le maniement de foules et aux russes pour la composition d’un tableau... Il y a quelques réserves à faire quant aux moeurs impériales ". Et le chroniqueur ne craint pas d’indiquer, témoignant en cela des moeurs brutales de la distribution : " Toutefois, les scènes ne sont jamais appuyées, et pour les salles d’œuvres, il sera très facile de les supprimer " [Ce qui s'avéra dans certains pays, notamment au Royaume-Uni]. Fernand Lot, dans "Comœdia", est tout aussi circonspect, du moins à l'aune des précédentes réussites de Duvivier - et notamment du triomphe de "La Bandera" : "Si l'on exprimait par une courbe la valeur des réalisations de Julien Duvivier; on obtiendrait un graphique bien varié. Par exemple un assez haut plateau ondulé traduirait le charme de "Maria Chapdelaine", un pic imposant dirait l'intensité dramatique de "La Bandera", une ligne brisée - des montées et des descentes - représenterait les réussites fragmentaires et les défaillances de l'ambitieux "Golgotha". C'est encore à un tracé de cette dernière allure qu'il faudrait avoir recours au sujet de ce "Golem" tourné à Prague à grand renfort de carton-pâte et de staff. Il y a ici des tableaux expressifs, des mouvements de foule, des visions crépusculaires de gibets, des éclairages qui témoignent de la maîtrise du metteur en scène ; il y a des chants hébraïques singulièrement beaux ; il y a le Golem, créature mystérieuse suscitée par un rabbin du seizième siècle, qui doit aux temps précités sortir de sa léthargie afin de sauver les Juifs opprimés et dont on attend avec curiosité l'intervention surnaturelle ; il y a enfin le masque de Harry Baur, raviné par la folie et par la peur... Tout cela suffit-il pour nous électriser ? Le courant ne passe pas toujours. Peut-être à cause des trop beaux décors où le micro enregistre des résonances que l'oreille reconnaît pour être celles, caractéristiques, du studio ; peut-être parce qu'une atmosphère de magie n'enveloppe pas suffisamment ces astrologues classiques, ces alchimistes méphistophéliques dont les laboratoires déploient une activité si ostensiblement photogénique, et ce Golem enfin qui dans son manteau couleur muraille ne se fait pas tout à fait prendre au sérieux, encore que sa poigne amollisse les plus gros barreaux et qu'il fasse s'écrouler murailles et plafonds avec autant d'aisance et plus de calme que Samson lui-même. Harry Baur est l'empereur Rodolphe II, dont l'esprit déréglé achève de sombrer dans l'effroi des horoscopes funestes ; Roger Karl, le chancelier Lang, Juif renégat ; Charles Dorat, dont on n'a pas oublié l'apparition dans "David Golder", joue le rôle du jeune rabbin, dépositaire de la formule cabalistique à l'énoncé de laquelle le Golem s'animera. Il se montre d'une touchante ferveur mystique comme aussi sa douce et tendre partenaire Jany Holt". Jean Laury aussi, dans Le Figaro, va puiser dans les films précédents louanges et réserves sur Duvivier et sa nouvelle œuvre : ""Le golem" s'apparente au "Petit roi" et à "Golgotha" par cette absence de lumière, ces effets de noir sur blanc auxquels Julien Duvivier excelle. Ici, ce sont des potences sur ciel d'orage ; ailleurs, sur des nuages bas pareils, c'étaient des mousquetons ou des piques - ou des croix : l'idée est la même, et traitée avec le même talent, la même vigueur. Mais ceci est une question de mise en scène : "Golgotha", c'était le film de la Charité ; "Le Petit Roi", c'était le film de la Pitié - "Le Golem", c'est le film de la Peur. Tiré d'une légende, le scénario devait faire une large part au merveilleux tout en tenant compte du goût du public pour la vraisemblance et la précision. Pour faire admettre au spectateur l'intervention du Golem, statue d'argile animée soudain par l'énoncé d'un texte mystérieux, il importait que ce public fût dominé par la peur. Or il y a, dans le film, un "côté Frankenstein" renforcé de mysticisme dont l'effet sur la foule est surprenant. Et l'habileté de Duvivier fut de retarder sans cesse l'apparition du monstre, de démontrer son pouvoir avant de livrer son aspect - de préparer à sa vedette une entrée sensationnelle et qu'elle ne pouvait rater !". Sur cette "sensation", Alexandre Arnoux, dans "Les nouvelles littéraires", ne partage pas l'avis de son confrère : "Quant au "Golem"... je ne pense pas.. que les auteurs en aient tiré tout le parti souhaitable. Ils ont fait, de cette légende juive... une sorte de vaste fresque historique, où l'Empereur gâteux, féru de magie, lâche, cruel, occupe sans cesse notre curiosité. Le Golem n'apparaît qu'à la fin, au cours d'une scène où les lions rugissent, les voûtes, les murs s'effondrent, où le spectacle, très adroitement machiné, ne nous apporte pas absolument ce que nous pouvions attendre d'un motif qui a si souvent et si féeriquement hanté notre imagination. Duvivier... artisan d'une probité et d'une habileté peu communes, ne s'est-il pas assez fié au hasard fantastique ? Ou bien, devant une matière qu'il sentait étrangère à son génie naturaliste, a-t-il voulu remédier, par la conscience, à la résistance de l'inspiration ?" On pencherait volontiers pour cette seconde hypothèse, mais François Vinneuil, dans "L’action française", toujours aussi dur, n'en fait même pas grâce à Duvivier, et livre une charge accablante, qui témoigne jusqu’à l’écœurement du climat de l’époque : " Le seul intérêt de sa [Duvivier] laborieuse et lourde affabulation est de nous rappeler à son insu que cette légende est spécifiquement juive. Telle race, tel folklore... Israël est conservateur de soi-même. A la porte de la juiverie [le ghetto] les rabbins disent une seconde formule qui rend le golem au néant. La mise en scène est une reconstitution indigeste, approximative historiquement, un mélangez de chromos agrandis, de machineries d’opéra et de maquettes qui se souviennent encore de Caligari, le tout indiciblement provincial, sans doute à cause de l’atmosphère et du personnel de studios tchèques... Où allons-nous si les chrétiens se mettent à leur tour à faire de la propagande philosémite au cinéma ".