La Femme et le Pantin

La critique n’est pas tendre. Dans un article curieusement intitulé " La fillette et le quadragénaire ", Jean Dutourd juge plus la filmographie de Duvivier que son présent film : " Il fait des films froids et ennuyeux, bien astiqués, rutilants comme des réfrigérateurs dernier modèle, ou des machines à coudre revêtues de matière plastique... Comme actrice, il faut bien reconnaître qu’elle [Brigitte Bardot] est exécrable ". D’autres se moquent justement de l’exploitation du personnage B. B. à laquelle se livre Duvivier : " Montrant et remontrant dans un personnage inouï de vierge imprenable, la B. B. défendant ses arrières qui, comme a dit le poète, sont par ailleurs une industrie ", persifle A. Martin dans " Arts ", tandis que " Le parisien libéré " déplore : " Julien Duvivier est un homme si tranquille que lorsqu’il fait danser sa vedette, vêtue seulement d’un châle, devant des miroirs coquins, cela paraît un divertissement plus naïf que libertin et même un peu ennuyeux ". Même constatation pour Louis Marcorelles dans " Les cahiers du cinéma ", qu’on pourra trouver involontairement humoristique : " L’Espagne aidant, " La femme et le pantin " est un film extraordinairement pudique... Duvivier fait ce que n’a pas fait Vadim. Abandonnant la nudité provocante - la poitrine est toujours vue d’en haut - il joue sur la valeur du mouvement : " La femme et le pantin " est un film consacré au bras de Bardot, particulièrement actif, peut-être aussi parce que le bras a une grande importance dans les danses locales.... Cette beauté [de B. B.] classique, à la fois morale et physique, faite d’élégance, de spontanéité et d’exigence presque abstraite, Duvivier la rejoint plus directement que Vadim ne l’envisageant que dans ce qu’elle a de plus épuré ". Seul Michel Aubriant essaie de " tirer vers le haut " l’héroïne, l’actrice, le film : " Cette Eva est, à sa manière, une héroïne d’Anouilh : elle a honte. Honte de son père, honte de sa condition de femme, honte de la crasse dans laquelle elle vit. Et la honte ne fait pas bon ménage avec l’amour... C’est une corrida, l’amant représentant le fauve que l’on travaille à la cape, à la pique, à la banderille... " ; Lapidaire, " Libération " note : " Il est décidément regrettable que tant de millions aient été gaspillés pour un film qui ne correspond plus à rien, qui ne signifie plus rien et qui n’aboutit à rien d’autre qu’à un énorme étonnement découragé devant ce cinéma sénile " ; et " Combat " entonne une fois de plus l’air des regrets sur le " Duvivier d’avant-guerre " : " Il recommence " Pépé Le Moko " avec d’autres sujets : il y a la scène du lâche giflé, celle des ruelles, celle de la bagarre avec tangage de l’image ". Georges Charensol dans " Les nouvelles littéraires ", est tout aussi accablé et même méprisant : " Le film, comme le livre, est censé se passer à Séville. Mais, à une ou deux exceptions près, on aurait aussi bien tourner toutes les scènes à Billancourt ; la feria, la tenta, ne sont que de vagues toiles de fond pour un récit qui ne comporte aucune progression dramatique. Et comment croire un instant au personnage de cette Française qui vit dans un monde ignoble sans en subir la contagion ?... Un tel film relève du commerce et du plus bas, un commerce qui n’est même pas rentable, car si les charmes de Melle Bardot, ses frémissements de seins, d’épaules ou de croupe peuvent attirer les spectateurs des salles d’exclusivité, je ne crois pas que le public des cinémas populaires soit encore sensible à des effets répétés dans tous les films de la jeune vedette suivant un rite maintenant immuable... Généralement les effets faciles pour lesquels il [Duvivier] a tant de goût avaient, du moins, le mérite de porter. Alors qu’ici, tant de brillantes couleurs, de pseudo-érotisme, de morceaux spectaculaires n’aboutissent qu’à une accablante grisaille ". Dans ces conditions, l’avis de Jean Rochereau dans " La croix " pourrait presque passer pour un compliment : " La Centrale catholique du cinéma a demandé qu’on s’abstienne, par discipline chrétienne, de voir ce film... Nous nous joignons aux autorités catholiques pour appuyer leur proscription ". Etonnamment, Duvivier lui-même se joint à ce concert : à Michel Aubriant, le plus " déférent " des critiques du film, Duvivier répond : " Je vous remercie, mais mon film est totalement idiot, totalement manqué ".