Le Diable et les dix commandements
La critique n’est pas tendre, ainsi de Claude-Jean Philippe dans " Télérama " : " Que dire de ce film qui n’a pas été dit déjà cent fois à propos de cette tradition du cinéma français qu’incarnent des hommes comme Julien Duvivier, Henri Jeanson, Michel Audiard ? Goût du récit bien ficelé, du dialogue percutant, de la mise en scène qui joue le rôle d’une illustration adroite plutôt que d’une véritable création, nous retrouvons tout cela sous un titre allécheur et réparti en différents sketches interprétés par nos vedettes nationales... La plupart de ces histoires sont traitées d’une manière scabreuse de façon à mettre en joie le public en tablant sur ses sentiments grossiers... Les auteurs se veulent " diaboliques ", ils ne parviennent qu’à être inutilement méchants ; ils ont du " métier " certes, mais ils mettent ce métier au service d’une vision peu ragoûtante de l’humanité ". Même acrimonie de Michel Mardore dans " Les lettres françaises ", qui en profite au passage pour reprendre la vieille antienne de Duvivier " has been " : "L'indigence des historiettes, soulignée méchamment par la gaucherie de la narration, fait cheminer le spectateur entre les falaises de l'ennui et les précipices du ridicule. Avec la meilleure volonté du monde, il ne saurait être question, même pour un critique consciencieux, de se souvenir de tous ces fades épisodes... Toutes les pointes anticléricales du film restent d'un niveau bassement démagogique qui rappelle fâcheusement la lénifiante hypocrisie de "Don Camillo"... Décidément, la si décriée " Nouvelle Vague " peut s’escrimer à nous décevoir grâce aux douches écossaises d’œuvres plus qu’inégales, il n’empêche que ses pires erreurs masochistes demeurent au-dessus de cette forme de cinéma où la basse complaisance supplée au manque d’invention. A un tel niveau de médiocrité, cela tient de la manœuvre provocante : on sabote le "cinéma de papa" ". D’autres s’en prennent - et cela pourrait passer pour flatteur - à l’anticléricalisme supposé du film, et Jean Rochereau dans " La croix ", bien sûr, au premier rang d’entre eux : "Après " Les sept péchés capitaux ", " Les dix commandements ", c’est dans l’ordre ! Un certain ordre du moins, celui de cinéastes uniquement désireux d’exploitation commerciale et d’utilisation abusive de la religion...Cette dernière entreprise... se distingue d'abord par un anticléricalisme à la Homais qu'on voulait croire définitivement dépassé... En marge du précepte " Tes père et mère tu honoreras "... [les acteurs] édifient une histoire d'autant plus actuelle et poignante qu'elle rend aux parents adoptifs un hommage de qualité... Pour épargner Sodome, il eût fallu dix justes. On ne les trouva pas. Pour sauver " Le diable et les dix commandements " d’une mise en garde..., il eût fallu, hélas ! plus et mieux qu’un épisode sur sept. Tant pis !". Et de fait, certains sont indulgents pour un ou quelques sketches, tel Samuel Lachize dans " L’humanité " : "Mots d'esprit accumuleras et bons acteurs pareillement. Il faut voir les films à sketches comme un spectacle de marionnettes. Les ficelles y sont grosses, mais les saynettes sont courtes... Sur une idée amusante, Julien Duvivier a cousu savamment un ensemble habillé par Michel Audiard, Henri Jeanson et René Barjavel où la tragédie ironique se mêle à la pure bouffonnerie... Tous les sketches... ne sont pas de la même veine. Il en est même qui sont faiblards et longuets. Mais ils sont astucieux et se terminent tous par cette " chute " inattendue qu’on exige des histoires de société... ". Jean de Baroncelli, dans " Le monde ", se montre quant à lui toujours aussi diplomate : " Le dernier ouvrage de Julien Duvivier... ne s’adresse pas aux palais raffinés qui ne trouvent leur plaisir qu’aux mets préparés par Bergman ou Antonioni. C’est - pour poursuivre notre comparaison - un solide pot-au-feu, habilement cuisiné, copieusement garni, mais dont les morceaux, de qualité diverse, seront, selon les goûts, diversement appréciés... Il ne manque pas un ingrédient à la recette. Le tout, pour nous, spectateurs, est d’avoir de l’appétit ". Appétit qui ne semble pas manquer à Louis Chauvet, dans " Le Figaro " : " Il y a là beaucoup d’idées. Un peu trop peut-être. La philosophie des historiettes formant les sept sketches du film est plus poussée, plus abondante, plus ambitieuse que ne le suppose d’habitude un film à sketches. L’anecdote s’articule parfois sur des artifices voyants mais, dans les grandes lignes, elle témoigne d’une ingéniosité singulière... L’élément positif est qu’aucun des épisodes n’inspire ni l’indifférence ni l’ennui. Tous recèlent une grande richesse d’inventions : un appréciable capital d’esprit. Le film présente intérêt dans la mesure où précisément il déborde les lois du genre. Et l’on goûtera ses minutes les plus humoristiques ". Et c’est Paris-Presse qui se montre, finalement, des plus charitables, non sans un renvoi un peu curieux au Duvivier d’avant-guerre : "Les critiques sont priés de déposer leur hargne et leurs obsessions métaphysiques au vestiaire. Les films à sketches ne prétendent pas bouleverser la sensibilité contemporaine, on le sait. Ce sont des parades de cirque, avec grand déploiement d’otaries, de caniches savants, d’hippopotames et d’ours blancs. Trois petits tours de piste, et puis s’en vont. Le metteur en scène fait claquer son fouet et joue les dresseurs de fauves... Cela fait, en fin de compte, beaucoup de cornettes et de soutanes, et j'avoue que l'anticléricalisme saupoudré de grivoiserie qui perce ça et là ne m'amuse qu'à demi. En vieillissant, l'ermite Duvivier s'est fait diable. Il lui sera beaucoup pardonné en souvenir de "Golgotha".